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175 ans de Belgique : qu’y a-t-il à fêter ?

La Belgique: stop ou encore? Au nord du pays, ces derniers temps, le fédéralisme a la vie dure. Sans être systématiquement voué aux gémonies. Pour l’auteur, il s’agit avant tout de sortir d’une logique communautaire poussée jusqu’à l’absurde et de reconstruire des ponts entre le Nord et le Sud.

Les nombreuses festivités autour du 175e anniversaire de la Belgique et du 25e anniversaire du fédéralisme connaissent un succès populaire autant que critique. Mais vu la réalité politique, à l’arrière-plan de laquelle une grande partie de cette année festive s’est écoulée, on est en droit de se poser la question de savoir s’il y a vraiment tant que cela à fêter. Dans quel état se trouve la nation après 175 ans, dont 25 dans une configuration fédérale? En ce qui concerne l’avis des Belges, il ne semble pas vraiment y avoir d’ambiguïtés. Cela a peut-être échappé au cercle «select» autour de la rue de la loi qui s’est acharné sur les tableaux synoptiques, les scissions verticales ou autres confessionnaux du dossier BHV, mais il s’avère que l’opinion publique — y compris en Flandre — n’est guère troublée par de telles dossiers symboles. Plus généralement, les recherches montrent que l’attachement à la Belgique n’en est pas érodé. Cela ne signifie nullement qu’un reflex régional serait absent en Flandre, mais pour la plupart des Flamands, il n’exclut pas un sentiment belge. Dans le monde politique flamand, le contraste Flandre-Belgique semble par contre beaucoup plus difficile à surmonter. Malgré ses 25 ans, le fédéralisme n’est manifestement pas suffisamment adulte — en tout cas du côté flamand — pour épouser sans complexe la réalité belge. Ainsi, un certain nombre de choses qui, implicitement ou explicitement, auraient dû se faire après un quart de siècle, se sont révélées impossibles à réaliser dans les faits. Prenons par exemple la petite école secondaire de Poperinge, en Flandre occidentale. Les parents et la direction de l’école, arrivés à la conclusion que les élèves connaissent mal le français, projettent d’enseigner quelques matières secondaires dans la langue de Molière. Une demande de subsides est introduite dans le cadre du projet à travers lequel Frank Vandenbroucke, le ministre flamand de l’Enseignement, veut encourager les expériences innovantes dans les écoles. La demande est refusée, car contraire aux lois linguistiques. L’école décide alors de tenter l’expérience sur ses fonds propres, mais on l’avertit qu’en agissant ainsi elle se place dans l’illégalité. Le projet est abandonné. Les lois linguistiques n’ont évidemment pas été promulguées sans raison et cette anecdote ne constitue en aucun cas un plaidoyer pour les abolir. Mais il devrait à tout le moins être possible d’envisager des exceptions pour des projets de cette nature. Aucun établissement ne serait obligé d’offrir ce «service», et aucun parent d’y envoyer son enfant. Mais laissons les écoles et les parents libres de lancer des initiatives de ce genre. Le marché scolaire tranchera. Au plan universitaire, un problème similaire se pose. Les recteurs de la VUB et de l’ULB, qui souhaitent collaborer pour faire face à l’internationalisation croissante de l’enseignement supérieur, se sont également heurtés à des limites décrétales. Ils ont récemment lancé eux aussi un appel aux autorités pour les aider à surmonter l’obstacle. Dans le domaine culturel, la Flandre a conclu des accords avec de nombreux pays et régions, mais pas avec la Communauté française de Belgique. Un des objectifs de la politique sportive est de scinder le football amateur en deux ligues, une flamande et une wallonne. Partout dans le monde, des initiatives sportives sont prises pour que les gens se rencontrent, le monde politique flamand st clairement hostile à l’idée d’équipes sportives strictement allochtones, mais footballeurs flamands et wallons ne doivent apparemment surtout plus jouer les uns contre les autres. Et, ensuite, l’on constate que le fossé entre francophones et Flamands ne cesse de s’élargir. Ce constat est d’ailleurs régulièrement fait par des journalistes. Dans aucun autre pays fédéral, les structures médiatiques n’ont poussé aussi loin le repli régional qu’en Belgique. Il y a bien sûr des raisons à cette situation, mais le fait est qu’il est devenu impossible de collaborer, même autour des projets les plus évidents. Ainsi, Flamands et francophones éliront bientôt, chacun de leur côté, le «plus grand Belge». Il y a bien eu des pourparlers entre la VRT flamande et la RTBF francophone pour faire cause commune, mais les hiérarchies n’ont marqué aucun empressement à ce qu’ils aboutissent. Tout au long de la saga Bruxelles-Hal-Vilvorde, qui repose essentiellement sur un désaccord entre politiques flamands et francophones, les télévisions n’ont quasiment proposé que des émissions où chaque partie débattait avec elle-même. À une exception près, responsables flamands et francophones ont distillé chacun de leur côté leur propre thèse devant leurs propres électeurs à travers leurs propres médias. Quand un homme politique francophone souhaite quand même explicitement s’exprimer dans les médias flamands, la chose semble tout bonnement louche. «Di Rupo veut devenir premier ministre», dit-on alors, sur le même ton que s’il avait prémédité un meurtre. Pourtant, n’est-il pas naturel qu’un homme politique, où que ce soit dans le monde, souhaite s’exprimer, notamment à travers les médias, pour pouvoir être élu et aspirer, le cas échéant, à la plus haute fonction ? Si effectivement Elio Di Rupo vise le poste de premier ministre, le fait qu’il doive dans ce but commencer à écumer tous les plateaux de télévision flamands relativise quelque peu sa légendaire omnipotence. À ma connaissance, Guy Verhofstadt ne s’était pas donné beaucoup de peine, à l’époque, pour se rendre populaire auprès de l’opinion publique francophone, alors que son image de libéral dur des années quatre-vingts n’était pas spécialement bien accueillie en Wallonie, où les électeurs de gauche sont plus nombreux. Ce qui serait nécessaire, c’est donc plutôt inciter les personnalités politiques à rendre des comptes à l’opinion publique de l’autre communauté, notamment par le biais des médias. C’est là un des problèmes essentiels de la Belgique fédérale d’aujourd’hui. Une circonscription électorale fédérale pour une partie des élus pourrait y remédier, mais cela aussi, semble-t-il, se heurte à la logique actuelle. Et, ensuite, l’on constate que les conflits communautaires ne cessent de s’envenimer.

Pour une Flandre mature

Dans ces conditions, faut-il désespérer de l’avenir de la Belgique fédérale ? Pas nécessairement. Les choses bougent dans les domaines évoqués ci-avant, même si provisoirement, l’on en est encore aux balbutiements. Ainsi élirons-nous bientôt peut-être deux «plus grands Belges », mais la VRT et la RTBF désigneront quand même un seul candidat belge pour «Eurosongs for Kids». Selon ses propres dires, Bert Anciaux Ndlr : actuellement ministre flamand de la Culture, Spirit.. s’efforce actuellement de mettre en place un accord culturel entre les Communautés flamande et française. Des voix s’élèvent, notamment aussi au sein du gouvernement flamand (citons, par exemple, la vice-ministre-présidente flamande libérale Fientje Moerman) en faveur de l’enseignement multilingue. Malgré les querelles politiques de l’année écoulée et une participation hésitante aux festivités «175-25», le discours qu’Yves Leterme Ndlr : ministre-président flamand, CD&V.. a prononcé le 11 juillet dernier Ndlr : date de la fête de la Communauté flamande.. était nuancé, ouvert et s’inscrivait dans une perspective fédéraliste. Son invitation adressée à ses collègues des gouvernements régionaux et communautaires à assister au banquet officiel était un geste symbolique qui n’avait rien d’évident. Ces signaux quelque peu contradictoires suggèrent que les années à venir seront cruciales pour l’avenir de la Belgique. Certains penchent pour le séparatisme. Ce n’est pas un objectif politique déshonorant. D’autres confessent encore verbalement, dans le meilleur des cas, leur foi dans le fédéralisme, mais sans aller beaucoup plus loin. Dans son discours du 11 juillet, le ministre-président flamand a surtout insisté sur l’intérêt, pour l’avenir du fédéralisme, d’un approfondissement de l’autonomie régionale. Du moment qu’on ne touche pas à certains mécanismes essentiels de solidarité, cette orientation n’est pas nécessairement contradictoire avec une attitude fédéraliste ouverte et décomplexée qui permet, à partir de l’autonomie existante, des formes de collaboration et des aménagements au niveau fédéral, en vue d’en améliorer le fonctionnement. Mais c’est donc aussi à ce fédéralisme digne de ce nom qu’il faut travailler avec engagement et conviction. Cela vaut d’ailleurs aussi pour le monde politique francophone, car bien qu’il se déclare ouvertement attaché à la Belgique, cette rhétorique n’est pas toujours soutenue dans les faits. Ainsi, les clichés véhiculés par certains sur une Flandre égoïste voire raciste, où l’incompréhension envers l’importance que la politique flamande attache toujours aux lois linguistiques, ne sont pas de nature à renforcer la loyauté flamande à la Belgique non plus. Il se fait cependant qu’en Flandre, il faut une bonne dose de courage politique pour défendre l’idée d’un fédéralisme digne de ce nom. Celui qui s’y risque passe pour «belgicain» ou «unitariste» et sera catalogué comme «mauvais Flamand» par certains. La même étiquette sera sans nul doute plaquée sur ce texte. Avant de me taxer de «belgiciste rétrograde», souvenez-vous qu’il y a un demi-siècle, celui qui se risquait à prononcer le mot «fédéralisme» était considéré comme un danger public. Les plus grands flamingants de cette époque ne pouvaient que rêver de la manière dont la Belgique actuelle est organisée. C’est pourquoi, après 25 ans de fédéralisme, il est temps que la Flandre aussi devienne enfin adulte.