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À qui profitent les certificats verts ?

Pourquoi le système de promotion d’électricité verte en Wallonie a-t-il été tant décrié ? Lancés en 2007 par le gouvernement wallon, les certificats verts – concernant le photovoltaïque – ont rapidement été victimes de leur succès. Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont fait marche arrière : le coût pour la collectivité était trop élevé. Le mécanisme a aussi été adapté, notamment pour moins profiter aux classes moyennes et supérieures. Comment en est-on arrivé là ?

Cet article a paru dans le n°82 de Politique (novembre 2013).

Le système des certificats verts Les mots et expressions en gros sont définis dans un glossaire en fin d’article a été établi afin de promouvoir la production d’électricité provenant de sources renouvelables : énergie solaire, éolienne et hydraulique, biomasse ou encore cogénération. L’énergie verte reste, aujourd’hui encore, plus chère à produire que l’énergie classique, fossile ou nucléaire. Cela s’explique notamment par le fait que les énergies renouvelables sont des sources décentralisées d’énergie, plus difficiles à relier au réseau, et que la technologie sur laquelle elles reposent demeure parfois très coûteuse. La vente de l’électricité produite ne suffit pas à soutenir financièrement ce type de projet.

Ce glissement d’un système de marché vers un système de subsides a dû être opéré parce que le marché des certificats verts en Wallonie est aujourd’hui saturé.

Le photovoltaïque tient depuis un moment le devant de la scène car le mécanisme de soutien qui lui est associé en Wallonie s’est révélé, comme en Flandre quelques années plus tôt, trop généreux et a mené à la paralysie du système global des certificats verts. Partant de là, il est sans doute légitime de se demander pourquoi ceux qui avaient les moyens d’investir dans l’installation de panneaux solaires ont pu profiter d’un système si favorable tandis que le financement de ce mécanisme repose sur l’ensemble des consommateurs d’électricité, dont ceux qui ne disposent pas de panneaux et ne profitent pas des économies d’énergie que ceux-ci génèrent.

Le système s’emballe, la facture s’alourdit

En Wallonie, le revenu qu’un producteur d’énergie verte peut espérer de la vente de ses certificats verts dépend, d’une part, du taux d’octroi de ces certificats et, d’autre part, de leur prix de vente, ainsi, bien entendu, que de la quantité d’énergie verte produite. Le taux d’octroi des certificats verts varie selon la filière considérée (solaire, éolienne, hydraulique…) sur la base du surcoût de production estimé de la filière ainsi que de la performance environnementale de celle-ci (taux d’économie de CO2) par rapport à des productions classiques de référence[1.Par production classique de référence, on désigne l’énergie fossile ou nucléaire.]. Lorsque l’on évoque le système des certificats verts, on a tendance à restreindre celui-ci aux seuls certificats accordés aux particuliers pour l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit de leur maison car le taux d’octroi pour cette filière est, ou du moins a été, particulièrement élevé. Comme la Flandre avant elle, la Wallonie a en effet fait preuve de beaucoup de générosité envers le photovoltaïque de faible capacité (moins de 10 kilowatts). Il faut cependant rappeler que les certificats verts sont également octroyés pour le photovoltaïque de plus de 10 kilowatts, pour l’hydraulique, pour l’éolien, pour la biomasse, pour la cogénération biomasse et pour la cogénération fossile. En 2007, le gouvernement wallon Di Rupo II (PS/CDH) a introduit un système d’attribution de certificats verts aux petites installations photovoltaïques placées en Wallonie, connu sous le nom de Solwatt. Victime de son succès, ce système s’est progressivement emballé. Après avoir d’abord réduit progressivement le taux d’octroi de certificats verts à la filière photovoltaïque, le gouvernement actuel – Demotte II (PS/Écolo/CDH) – est sur le point de l’abandonner au profit d’un nouveau système qui ne repose plus sur le principe de marché où s’achètent et se vendent les certificats verts, mais sur des primes fixes accordées au producteur lui permettant d’amortir son investissement sur huit ans.

Ce plan Qualiwatt devra mettre un terme aux dérapages engendrés par Solwatt et tiendra compte semestriellement de l’évolution des prix des installations photovoltaïques, ainsi que de la hausse attendue des prix de l’électricité. Ce glissement d’un système de marché vers un système de subsides a dû être opéré parce que le marché des certificats verts en Wallonie est aujourd’hui saturé. Jusqu’en 2011, les fournisseurs d’électricité (Electrabel, Luminus, Lampiris…), soumis à des quotas, achetaient les certificats que les producteurs d’électricité verte recevaient du régulateur wallon, la Commission wallonne pour l’énergie (Cwape), et répercutaient le coût qui en découlait sur les tarifs proposés à leurs clients. Mais compte tenu du niveau élevé de soutien au photovoltaïque de petite capacité, à savoir initialement de 6 à 7 certificats accordés chaque année durant quinze ans par mégawatt/ heure produit, une bulle s’est formée sur le marché des certificats verts. Depuis 2009, la puissance installée en photovoltaïque en Wallonie a quasiment doublé chaque année. Les quotas fixés aux fournisseurs par le législateur wallon ont été dépassés et le solde a été pris en charge par Elia, le gestionnaire de réseau de transport de l’électricité, qui a l’obligation de racheter chaque certificat au prix minimum de 65 euros. Pour rentrer dans ses frais, Elia a, le 1er octobre 2012, multiplié par cinq le « tarif de transport pour l’obligation de service public pour le financement des mesures de soutien aux énergies renouvelables en Wallonie ». Une nouvelle augmentation de ce tarif a également suivi en janvier 2013 et Elia a soumis au régulateur fédéral, la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg), de nouvelles hausses pour les mois à venir.

Depuis 2009, la puissance installée en photovoltaïque en Wallonie a quasiment doublé chaque année.

La Cwape a estimé à 2,5 milliards d’euros pour les quinze prochaines années la facture que devront prendre en charge les consommateurs d’électricité suite à l’emballement du système. Mi-2011, le régulateur wallon avait pourtant sonné une première fois l’alarme avant de plaider en novembre 2012 pour sortir le photovoltaïque de faible capacité du mécanisme des certificats verts. « Le déséquilibre dû au photovoltaïque a un effet pervers sur les autres filières renouvelables comme l’éolien ou la cogénération : plus aucune autre production n’est rentable à cause du photovoltaïque »[2.« Nous avons tiré la sonnette d’alarme en 2011 », Le Soir, 23 février 2013.] , résume le président de la Cwape, Francis Ghigny. À la fin du mois de mars 2013, le ministre-président de la Région wallonne, Rudy Demotte, a encore affiné les estimations de la facture à supporter pour les quinze années à venir : il s’agira en fait de 2,8 milliards d’euros. Afin de limiter les dégâts et de préserver l’activité économique, le gouvernement wallon s’est accordé fin mai 2013 sur une exonération partielle des entreprises concernant ce surcoût lié aux dérapages de Solwatt. Mais le gouvernement wallon ne souhaitait pas pour autant reporter la facture sur les consommateurs et il a proposé qu’un intermédiaire financier rachète une part des certificats verts disponibles sur le marché et les mette en réserve afin d’obtenir un lissage des coûts dans le temps.

Des régions en situation différente

Si les projecteurs sont essentiellement tournés actuellement vers le photovoltaïque wallon, il est bon de rappeler que la Flandre avant elle a également été confrontée à un emballement du système. Même si la Wallonie a fait du chemin depuis, la Flandre comptait, début 2012, environ 85% du photovoltaïque installé en Belgique (notamment parce que la Flandre a commencé plus tôt sa politique de soutien). Face à une saturation du marché flamand des certificats verts, la valeur garantie de ceux-ci, pour les installations entrées en fonction entre le 1er août et le 31 décembre 2012, a été revue fortement à la baisse par le gouvernement Peeters II (CD&V/SP.A/N-VA), passant de 210 à 90 euros, tandis que la durée d’octroi de ces certificats est passée de vingt à dix ans. La Flandre a ensuite opté pour un système où le soutien financier accordé aux particuliers propriétaires de panneaux photovoltaïques est calculé et réévalué régulièrement afin de garantir un rendement sur le total de l’investissement de 5%, sur une période de quinze ans[3.Ce dispositif est assez similaire sur le principe à ce que sera Qualiwatt en Wallonie.]. Tout comme en Wallonie, et malgré les adaptations déjà mentionnées, la facture relevant de la grande générosité, à l’origine, du système de soutien s’avère fort indigeste pour les consommateurs. La comparaison entre les deux régions n’est pas simple car les systèmes wallon et flamand fonctionnent différemment et n’ont pas vu le jour ni subi leurs dérapages au même moment. On peut cependant relever que le Conseil économique et social flamand (SERV) a évalué, dans un rapport datant du 6 avril 2011, à 1,3 milliard d’euros la répercussion dans la facture des consommateurs d’électricité du coût engendré par le système des certificats verts pour le petit photovoltaïque pour la seule période 2002-2010. Globalement, il est estimé que le soutien au petit photovoltaïque installé en Flandre atteindra 5 milliards d’euros.

La facture engendrée par le soutien au photovoltaïque de petite capacité s’est donc avérée très lourde pour les consommateurs, surtout en Flandre et en Wallonie.

De son côté, la Région de Bruxelles-Capitale n’a pas dû faire face aux mêmes difficultés. Zone urbaine oblige, le développement des panneaux solaires chez les particuliers y a été moindre que dans les deux autres régions. Le gouvernement bruxellois a de plus modifié, dès le mois de mai 2011, l’arrêté qui organise le système des certificats verts de manière à éviter les dérapages. Quel que soit le moment où il se lance, quelle que soit la taille de son installation, chaque producteur d’énergie solaire doit pouvoir amortir son investissement en sept ans maximum. Pour cela, le nombre de certificats verts est calculé selon plusieurs paramètres économiques : variation des primes, avantages fiscaux, évolution des prix de l’électricité ou des investissements. L’objectif est notamment, en assurant une rentabilité constante, d’éviter les effets d’aubaine qui ont caractérisé les systèmes mis en place à l’origine en Wallonie ou en Flandre, ainsi que les marches arrière qui s’en sont suivies.

Les bénéficiaires du système

La facture engendrée par le soutien au photovoltaïque de petite capacité s’est donc avérée très lourde pour les consommateurs, surtout en Flandre et en Wallonie. Mais à qui profite ce soutien ? Sans conteste : aux particuliers et aux entreprises qui ont installé des panneaux solaires, aux sociétés tiers investisseurs, qui ont joué les intermédiaires dans l’installation de ces panneaux, ainsi qu’à la filière photovoltaïque. Il est très difficile de chiffrer l’avantage qu’un producteur d’énergie photovoltaïque tire exactement. Cela relève en effet du cas par cas, en fonction de la région, du système en vigueur (plusieurs systèmes coexistent en fonction de la date d’installation des panneaux), de l’état du marché (aujourd’hui saturé en Wallonie, il tourne de manière relativement constante ces dernières années à Bruxelles, autour des 85 euros par certificat), de la capacité de production d’énergie photovoltaïque d’une installation… Néanmoins, on peut estimer à moins de sept ans le retour sur investissement pour un particulier grâce aux systèmes de soutien mis en place et à la valorisation de l’électricité produite. Les propriétaires de panneaux photovoltaïques se mettent également en partie à l’abri des probables hausses du prix de l’électricité attendues les prochaines années. Sans compter qu’ils bénéficient également du « compteur qui tourne à l’envers ».

En effet, pour les installations de capacité inférieure à 10 kilowatts, la quantité d’électricité injectée sur le réseau peut compenser une partie, voire la totalité de la quantité d’électricité prélevée de ce même réseau. Avant que le prix des certificats verts ne s’effondre suite à la saturation du marché, les particuliers voulant s’équiper en photovoltaïque étaient susceptibles de rentabiliser encore plus rapidement leur investissement. Ils pouvaient aussi recourir au système du tiers investisseur. Une société se chargeait de tout le versant administratif lié aux certificats verts, ainsi que du remboursement du prêt contracté pour acheter les panneaux, en échange des certificats verts perçus par le particulier. Celui-ci ne devait donc pas concrètement financer son installation mais bénéficiait bien entendu des économies d’énergie associées. Le prêt initial était toutefois contracté par le particulier et non pas par le tiers investisseur. Le propriétaire des panneaux était donc responsable de ce prêt. Pendant les belles années du photovoltaïque wallon, les sociétés tiers investisseurs ont profité du très généreux soutien accordé à la filière puisqu’elles se rémunéraient grâce aux certificats verts dont la valeur sur le marché surpassait l’investissement de base consenti pour placer les installations. Mais depuis, le système a été revu et nombre de ces sociétés ont tout simplement « rendu aux particuliers leurs certificats verts, à charge pour eux de les revendre pour rembourser leur prêt. Cela est bien entendu devenu plus difficile sur un marché tournant au ralenti et se trouvant même aujourd’hui à l’arrêt. Des entreprises belges profitent également d’une réduction de leur facture d’énergie grâce au photovoltaïque, ou aux autres filières de production d’énergie verte (éolienne, cogénération…).

D’autres entreprises ont fondé leur activité sur le développement même des énergies renouvelables, générant ainsi de l’activité économique et des emplois. Un peu plus de 2 000 installateurs de panneaux solaires étaient ainsi enregistrés auprès de la Cwape pour la Wallonie et Bruxelles à la fin du mois de juin 2013. Le cluster Tweed[4.Le cluster Tweed est une organisation wallonne rassemblant plus d’une centaine d’entreprises actives dans le secteur de l’énergie durable.] a quant à lui réalisé, au mois d’octobre 2012, une cartographie des acteurs technologiques wallons et bruxellois de la filière photovoltaïque, soit quelque 220 acteurs identifiés, parmi lesquels des entreprises, des centres de recherche, des bureaux d’études, des départements universitaires ou des centres de formation. On y retrouve des fabricants de composants technologiques, des développeurs de projets, des entreprises centrées sur la question du recyclage ou sur la promotion de la filière…

Un choix politique

Si l’on reste centré sur la question du photovoltaïque chez les particuliers, il peut sembler fort injuste que seuls ceux ayant les moyens d’investir dans des panneaux solaires profitent du système alors que l’ensemble des consommateurs finance le mécanisme de soutien associé et pâtit des dérapages qui sont intervenus.

En encourageant le soutien du renouvelable, l’UE entendait défendre l’intérêt de l’ensemble des consommateurs et non pas celui, unique, des détenteurs de panneaux solaires.

À l’origine, le soutien aux énergies renouvelables n’était pas censé favoriser une filière plutôt qu’une autre, ni certains particuliers plutôt que d’autres. Il relevait d’un choix politique qui devait profiter à tous. C’est une obligation européenne qui explique la mise en place de dispositifs favorables à la production d’électricité verte. L’Union européenne entend en effet atteindre 20% de sources d’énergie renouvelables dans la consommation énergétique européenne totale à l’horizon 2020[5.Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.]. Pour y parvenir, la Commission européenne a imposé aux États membres des objectifs nationaux contraignants de manière à apporter certaines garanties aux producteurs d’électricité verte qui voudraient se lancer sur le marché. Ainsi, en 2020, 13% de la consommation finale d’énergie en Belgique devra être produite à partir de sources renouvelables. En 2005, la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie finale en Belgique était de 2,2%. Afin de répartir l’effort à produire de manière appropriée entre les différents États membres, l’UE a tenu compte de la situation de départ de chaque État, de son PIB, de sa consommation d’énergie… En encourageant le soutien du renouvelable, l’UE entendait défendre l’intérêt de l’ensemble des consommateurs et non pas celui, unique, des détenteurs de panneaux solaires. La directive de 2009 explique ainsi que soutenir les énergies renouvelables permettra à moyen terme de réduire les émissions des gaz à effet de serre, d’accroître la sécurité d’approvisionnement en énergie de chaque État, de développer la technologie et l’innovation dans ce secteur, mais également de créer des perspectives d’emploi et de développement régional. Selon le texte adopté par le Parlement européen, « il est admis que l’innovation et une politique compétitive et durable dans le domaine de l’énergie permettent de créer de la croissance économique. Dans bien des cas, la production d’énergie à partir de sources renouvelables dépend des petites et moyennes entreprises (PME) locales ou régionales. Les perspectives de croissance et d’emploi offertes, dans les États membres et leurs régions, par les investissements effectués dans la production d’énergie à partir de sources renouvelables aux niveaux régional et local sont considérables »[6.Directive 2009/28/CE, op. cit.].

Aux États membres de déterminer ensuite de quelle manière ils mettront en place le soutien approprié aux énergies renouvelables… Gardons également à l’esprit que le photovoltaïque de basse capacité, qui fait l’objet de l’attention des médias et des inquiétudes légitimes des consommateurs (particuliers et entreprises qui voient leur facture augmenter), ne représente qu’une des filières concernées par les certificats verts. Dans son rapport annuel spécifique consacré à l’évolution du marché des certificats verts, la Cwape estime que les certificats verts octroyés en 2012 pour les installations solaires photovoltaïques représentent presque 50% des certificats verts à rendre par les fournisseurs en 2012 pour satisfaire à leurs obligations de quota. La filière photovoltaïque dans son ensemble ne représente pourtant que 10% de la production d’électricité verte wallonne en 2012, contre 7% pour l’hydraulique, 24% pour la cogénération fossile, 27% pour l’éolien et 32% pour la biomasse. La Cwape conclut dès lors que si le système Solwatt a permis le développement de la filière solaire photovoltaïque en quelques années, il est également responsable du déséquilibre avéré sur le marché des certificats verts, déséquilibre qui a mené à la saturation du marché et à l’apparition d’un stock imposé à l’achat par Elia. En 2012, en Wallonie, le niveau de soutien moyen était de 455 euros par mégawatt/ heure dans le photovoltaïque, contre 99 euros par mégawatt/ heure pour la moyenne des filières vertes (photovoltaïque inclus).

Des mesures en faveur des faibles revenus

Le système Solwatt a permis à ceux qui avaient les moyens d’investir dans le photovoltaïque d’obtenir un retour rapide sur investissement, couplé à d’intéressantes économies d’énergie. Investir dans des panneaux solaires n’est cependant pas à la portée de tous les revenus : il faut compter environ 10 000 euros pour une installation de 5 kilowatts et environ 18 000 euros pour une installation de 10 kilowatts. Ceux qui disposaient des moyens nécessaires ont fortement profité d’un système qui était financé par l’ensemble des consommateurs. Le déséquilibre en faveur des hauts revenus semble évident. Il faut toutefois lui apporter des nuances. Premièrement, certaines communes ont choisi de jouer elles-mêmes les tiers investisseurs afin que le système profite à tous les habitants. C’est le cas de la commune de Flobecq. Deuxièmement, le plan Qualiwatt, qui succède à Solwatt, introduit très clairement des mesures en faveur des faibles revenus.

Existait-il une volonté politique de favoriser les classes moyennes ou aisées ou le dérapage Solwatt trouve-t-il son origine dans une simple « erreur de calcul » ?

Fin 2010, Flobecq, la commune belge la mieux équipée en panneaux photovoltaïques, a mis sur pied l’asbl Collines sous Levant, qui joue les intermédiaires entre la Cwape et les habitants de la commune qui souhaitent s’équiper en panneaux solaires. Pour financer l’achat de ces panneaux, l’asbl a contracté un emprunt auprès de la banque Triodos. C’est une différence notable par rapport aux sociétés tiers investisseurs, puisque c’est la commune de Flobecq qui a, par le biais de son asbl, contracté le prêt nécessaire pour l’installation des panneaux, et non les habitants qui bénéficient de cette installation. Le remboursement de cet emprunt s’effectue progressivement via l’argent rapporté par les certificats verts délivrés par la Cwape, en fonction de l’énergie produite. Les habitants de Flobecq n’ont donc rien dû avancer pour s’équiper, ni souscrire aucun emprunt. À travers Qualiwatt, le nouveau régime qui verra bientôt le jour en Wallonie, le gouvernement wallon a également souhaité tenir compte du revenu dont disposent les candidats au photovoltaïque afin d’épauler davantage les moins favorisés. À l’article 5 de son projet d’arrêté datant du 18 mai 2013, le gouvernement wallon explique en effet que le soutien au photovoltaïque de petite capacité sera désormais limité dans le temps pour atteindre un temps de retour simple sur investissement de neuf ans et un taux de rendement sur vingt ans (lié aux économies d’énergie) de 4%. C’est le principe général. Le projet d’arrêté précise cependant que le temps de retour simple sur investissement pour les revenus « moyens et modestes » sera fixé à huit ans avec un taux de rendement sur vingt ans de 5%. Pour les revenus « précaires » enfin, le soutien accordé visera un retour simple sur investissement de sept ans et un taux de rendement sur vingt ans de 7%. Afin de respecter ces différents critères, compte tenu notamment de la production d’électricité verte, la Cwape devra adapter tous les six mois le montant du soutien accordé au producteur, selon son profil. Sur ce point, la Cwape, chargée de se prononcer sur le texte du gouvernement wallon, se montre assez sceptique. « C’est beaucoup trop complexe d’étudier chaque cas individuel, explique Francis Ghigny. Pour cela, il faudrait augmenter les effectifs du régulateur. Il aurait été plus simple d’accorder la même prime à tout le monde, sur base d’une augmentation estimée du prix de l’électricité. Éventuellement, les ménages les plus pauvres pourraient recevoir une prime supplémentaire mais délivrée par l’administration. »[8.« Des surcoûts estimés à 4 millions d’euros », La Libre Belgique, 26 avril 2013.]. Dès lors, dans un avis rendu le 7 juin 2013, la Cwape insiste pour que le mécanisme retenu respecte le principe d’une simplicité opérationnelle jugée indispensable. Afin de prendre en considération le niveau de revenu des bénéficiaires, la Cwape propose qu’une prime supplémentaire unique soit octroyée aux clients protégés et aux clients bénéficiants de revenus précaires.

Le gouvernement a suivi l’avis de la Cwape sur le principe d’une prime unique mais n’en a pas encore communiqué le montant. Enfin, les détenteurs de panneaux photovoltaïques devront bientôt mettre la main à la poche afin de financer, en partie, les aménagements dont le réseau électrique de basse tension à besoin. Ores, responsable de 80% du réseau de distribution d’électricité en Wallonie, a ainsi annoncé à la mi-mai 2013 qu’il comptait prélever une cinquantaine d’euros par an et par kilowatt produit auprès des propriétaires des panneaux solaires pour leur utilisation du réseau puisqu’ils injectent une partie de l’électricité qu’ils produisent, et cela gratuitement jusqu’à ce jour. Or l’arrivée sur le réseau d’un nombre croissant d’installations de faible production d’électricité, liée au développement des énergies vertes, induit des coûts supplémentaires pour la gestion du réseau basse tension, qui doit être adapté. Ores a introduit une demande auprès de la Creg afin que cette tarification puisse entrer en vigueur à l’automne 2013.

Ne pas jeter les certificats verts avec l’eau du photovoltaïque

En choisissant de soutenir de manière exagérément généreuse le photovoltaïque de petite capacité, les responsables politiques ont réussi à promouvoir l’installation de panneaux solaires chez les particuliers, singulièrement ceux bénéficiant de revenus moyens ou élevés, mais ils ont également mis en difficulté le système des certificats verts dans son ensemble. Existait-il une volonté politique de favoriser les classes moyennes ou aisées ou le dérapage Solwatt trouve-t-il son origine dans une simple « erreur de calcul » ?

Ce soutien doit viser la juste rentabilité des investissements consentis et non le profit parfois injustifié dont ont profité les propriétaires de panneaux solaires.

Force est de constater que s’il s’agit d’une mauvaise appréciation mathématique du soutien à accorder au photovoltaïque de petite capacité, la Wallonie n’est pas la seule à avoir péché par générosité. La Flandre, mais également nos voisins français et allemands, ont eux aussi dû faire marche arrière et réviser fortement à la baisse l’aide accordée au secteur face à un emballement du système. Il est également important de rappeler un autre élément venu lui aussi participer à la surchauffe du photovoltaïque : une surproduction des panneaux solaires, spécialement en provenance de Chine, a poussé le prix des installations solaires à la baisse et a contribué au dérapage du système de soutien mis en place. Si différents paramètres sont donc entrés en ligne de compte, on ne peut cependant nier que les choix politiques initialement opérés favorisaient de facto des ménages disposant des capacités financières ou d’emprunt nécessaires pour acquérir une installation initialement coûteuse.

Le souci actuel de permettre aux ménages à moindre revenu l’accès au photovoltaïque de petite capacité constitue donc une évolution. Pour les différentes filières du renouvelable, la nécessité d’être subsidiées persiste pourtant. Mais ce soutien doit viser la juste rentabilité des investissements consentis et non le profit parfois injustifié dont ont profité les propriétaires de panneaux solaires ou les sociétés tiers investisseurs à l’heure de gloire du petit photovoltaïque. Les entreprises impliquées dans le renouvelable s’opposent, elles aussi, à un soutien démesuré à l’une ou l’autre filière, car si cela entraîne un développement important du secteur à court terme, c’est dans la durabilité que doit s’inscrire celui- ci.

Soutenir la production d’énergie renouvelable est un choix politique qui trouve son sens dans l’ambition d’accroître, pour une région ou un pays, son indépendance énergétique et de stimuler l’économie locale. Mais ce choix a un coût qu’il ne faut pas nier et qui ne sera accepté que s’il est justement réparti.


Glossaire

Biomasse : matière renouvelable (sous forme solide, liquide ou gazeuse) issue de la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l’agriculture, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que de la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers. Certificat vert : un certificat vert est un document immatériel attestant qu’un producteur a produit une quantité déterminée d’électricité verte, au cours d’un intervalle de temps déterminé. Les certificats verts sont émis par le régulateur fédéral (Creg), pour l’éolien offshore, ou les régulateurs régionaux (Cwape, Brugel et Vreg), pour les autres filières. En Wallonie, les certificats verts sont émis par la Cwape sous forme électronique. Ils ont une durée de validité de cinq ans. Après chaque octroi, la Cwape met à disposition des producteurs verts un extrait de compte reprenant les détails de l’octroi ainsi que la situation de leur compte. Cogénération : la cogénération est la production simultanée, dans un seul processus, d’énergie thermique (chaleur ou froid) et d’électricité. Ce système permet de réaliser une économie d’énergie par rapport à la production séparée des mêmes quantités de chaleur et d’électricité. Gestionnaire de réseau de transport : l’électricité produite est acheminée via le réseau à haute tension, géré en Belgique par Elia. La gestion de ce réseau est une activité régulée qui n’est pas soumise à la concurrence : Elia est l’unique gestionnaire de transport d’électricité en Belgique. Gestionnaire du réseau de distribution : à l’exception de quelques gros consommateurs, les clients ne sont pas raccordés au réseau de transport (haute tension). Ce sont les gestionnaires de réseaux de distribution qui amènent le courant à basse tension vers les entreprises et les particuliers. Il s’agit d’une activité régulée. Ces différents gestionnaires de réseaux de distribution exercent un monopole sur le territoire dont ils sont responsables. La plupart d’entre eux sont des intercommunales. Photovoltaïque de faible capacité : ce terme vise les installations photovoltaïques de capacité de production d’électricité inférieure ou égale à 10 kilowatts. Il s’agit ici de différencier les panneaux solaires installés chez les particuliers de ceux adoptés par des entreprises ou dans le cadre de projets de plus grande ampleur et à caractère commercial. Ces installations de petite capacité bénéficient de dérogations au niveau administratif afin de faciliter leur mise en place. Régulateur : la Belgique dénombre quatre organes de régulation de l’énergie : un au niveau fédéral (Creg) et un pour chacune des trois régions (Cwape, Brugel et Vreg). Parmi ses nombreuses missions, la Creg approuve, ou non, les propositions tarifaires émises par les gestionnaires de réseau. En ce qui concerne le système des certificats verts, les régulateurs régionaux sont les principaux interlocuteurs des producteurs d’électricité verte et des fournisseurs, soumis à l’obligation d’acheter les certificats verts.