Retour aux articles →

Judéophobie

JUDEOPHOBIE : Mot récent, introduit dans le vocabulaire antiraciste, pour désigner la haine des Juifs. Comme chaque mot appelle son antonyme, sont apparus également Islamophobie ou encore Arabophobie. On est bien d’accord pour reconnaître que chacun de ces termes désigne une forme spécifique de racisme. Mais comment convenir de l’urgence de lutter contre l’une ou l’autre de ces formes? La «victimisation» qui occupe l’avant-plan médiatique se prête bien pour définir les priorités de l’antiracisme. Dans cette concurrence macabre de victimes, les uns n’hésitent pas à aligner la Shoah et la montée récente des actes antisémites et les autres les crimes de la colonisation et le racisme quotidien dont ils sont l’objet. Du coup, les autres formes de racisme perdent toute visibilité. Ils sont relégués à l’arrière de la scène médiatique occupée par la guerre menée par les Israéliens contre les Palestiniens et celle des États-Unis contre le terrorisme. Il faut le reconnaître, comme en témoigne la mobilisation des médias, dans cette concurrence morbide de victimes, l’arabophobie (ou islamophobie) recueille moins de suffrages que la judéophobie. Pour preuve, l’histoire de Michaël Tranchon, alias Phineas. Jeune français déséquilibré, fasciné par l’extrême droite, il cherchait à se faire reconnaître comme bourreau. Il a donc d’abord, en quelque sorte naturellement, essayé d’agresser un Arabe à coup de hache. Mais face au peu d’audience de cet acte dans les médias, il s’est attaqué alors aux Juifs pour accéder enfin à la notoriété. En aucun cas la judéophobie et l’augmentation des agressions contre des Juifs ne peuvent trouver une justification dans l’occupation Israélienne et les drames vécus par les Palestiniens. De même, des agressions contre les Juifs ne peuvent justifier un racisme anti-arabe. Comment qualifier par exemple cette radio autoproclamée «la voix de la communauté juive de Belgique» qui attribue le récent succès électoral du PS à Bruxelles au fait que ce parti soit composé pour moitié «de folles», pour l’autre «de Maghrébins» supposés «attendre leur heure» et «prêts à tuer lorsqu’ils seront devenus majoritaires…»? C’est aussi sur ces ondes que l’on peut entendre, comme si de rien n’était, que «la seule extrême droite dangereuse parle arabe». Inutile de dire que les Juifs dont l’opinion ne s’accorde pas à la leur sont méprisés. Ils sont englués «dans leur haine de soi» et ne sont d’ailleurs même pas des Juifs. Comme l’écrit très justement Esther Benbassa, «le travail fait jusqu’ici sur l’antisémitisme a pris la forme d’une sorte de leçon adressée au monde pour empêcher la répétition de l’horreur. Que les Juifs aient conservé et transmis le traumatisme du génocide à ceux qui les ont suivis est tout à fait compréhensible. Mais que sait-on des Juifs à part leur extermination? Qu’apprend-on d’autre sur eux? Et aujourd’hui, à l’image de l’extermination se superpose celle de la puissance d’Israël dans la guerre qui l’oppose aux Palestiniens. On retient les deux images, toutes deux réductrices. Les Juifs n’ont pas été que des victimes et ne sont pas que des bourreaux». Découper le racisme en autant de tranches que de groupes discriminés non seulement dénature son sens mais entraîne dans son sillage une course lamentable à la victimisation. Dans cette comptabilité sinistre chaque communauté se lance dans une surenchère de dénonciations pour faire reconnaître son statut de victime. L’hystérie communautaire, l’emballement médiatique et les surenchères politiques complètent ce tableau. Si l’on veut arrêter enfin de fabriquer la banalisation et la perversion de l’antisémitisme, il est temps de retrouver le chemin d’une lutte commune contre le racisme.