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Autour des « bassins scolaires »

Tout qui compte dans le monde enseignant ne cesse d’en entendre parler depuis deux ans. La ministre en a fait son cheval de bataille en début de législature. Mais aujourd’hui, le projet de «bassins scolaires» est dans l’impasse. Il faut dire que celui-ci interroge le fonctionnement même du système éducatif. Censés répondre aux pauvres résultats chroniques — en termes d’efficacité et d’égalité — de l’enseignement obligatoire en Communauté française, les bassins scolaires remettent en cause le mécanisme de concurrence entre réseaux et entre écoles. Une «révolution copernicienne» dont plusieurs acteurs du milieu scolaire ne voient pas d’un très bon œil.

Depuis quelques années, un nouvel ovni a fait son apparition dans le champ éducatif en Communauté française. On savait juste qu’il était peut-être appelé à devenir un échelon important des politiques éducatives. On parle ici des «bassins scolaires». À la fois vecteur d’égalité à partir de la transformation des relations entre écoles et outil de rationalisation de l’offre d’enseignement. Depuis quelques semaines, on en sait un peu plus. Un colloque leur a été consacré. Organisé par l’Institut Emile Vandervelde (IEV) et le Mouvement ouvrier chrétien (Moc) « Les bassins scolaires : un outil pour une école plus égalitaire et plus efficace?», samedi 25 novembre 2006 — FUNDP Namur , il présentait au monde de l’enseignement les résultats d’une étude interuniversitaire développant le concept de bassin. Et depuis? Ils suscitent, du côté du système (réseaux, représentants de PO, syndicats…) des positions tranchées allant de la franche opposition à l’adhésion (presque) sans réserve. En revanche, dans le monde enseignant, c’est plutôt le scepticisme ou l’indifférence qui prévalent.

Qu’est-ce qu’un bassin scolaire ?

C’est, selon Bernard Delvaux, un des chercheurs qui a réalisé l’étude interuniversitaire, «un dispositif de régulation intermédiaire concernant tous les établissements d’un territoire». Plus concrètement, c’est un espace géographique construit en observant les flux d’élèves entre écoles. Ces flux font apparaître les aires dans lesquelles les écoles recrutent leurs élèves, et plus précisément une série d’espaces interconnectés par la mobilité, voulue ou contrainte (relégation, exclusion…), des élèves. Les bassins doivent permettre de visibiliser les interdépendances entre écoles: celles qui attirent les «bons élèves», celles vers lesquelles les autres rejettent les «publics moins désirables». On n’est pas dans une logique administrative, comme pour la zone, mais bien dans une analyse relevant de la «géographie sociale», fondée sur la description des pratiques des acteurs de l’école. L’idée est de constituer un des échelons de la décentralisation des politiques éducatives avec des organes propres rassemblant les établissements du bassin pour les amener à se concerter.

Origines du projet

C’est suite aux (très) mauvais résultats des élèves de la Communauté française lors des deux dernières études réalisées pour le compte de l’OCDE (les enquêtes Pisa) que les décideurs du système éducatif se sont penchés sur les manières de réduire les inégalités générées par l’école. Priorité annoncée de la politique d’enseignement sous cette législature, la lutte contre les inégalités appelle une réforme d’un système qui fonctionne sur le mode du marché. Les bassins représentent l’une des pistes dont dispose le gouvernement de Marie Arena pour lutter contre le fonctionnement particulièrement inégalitaire du système éducatif en Communauté française et plus particulièrement contre la ségrégation entre écoles. On trouve une trace des bassins dans la Déclaration de politique communautaire de l’été 2004. Ils constituaient même un des principaux éléments du futur «Contrat stratégique pour l’école». Si le concept reste encore vague, il incarne néanmoins la volonté du gouvernement d’harmoniser l’offre d’enseignement, en particulier dans l’enseignement qualifiant. Par ailleurs, il cherche à mettre en place les conditions d’une gestion conjointe, par tous les acteurs scolaires d’une même entité, au niveau d’un même réseau. L’idée est de «favoriser la gestion conjointe entre écoles en vue de bénéficier d’une solidarité dans le financement et de bénéficier d’un encadrement et de ressources pédagogiques plus étendues». L’idée se fonde sur la responsabilisation des écoles au niveau local. En d’autres termes, on table sur l’intelligence collective des acteurs et leur bonne volonté. Cette coopération encouragée entre écoles pourrait prendre différentes formes : du transfert pur et simple de moyens par solidarité au développement de projets en passant par la mise en commun de ressources. Les projets regroupant plusieurs écoles pourraient, par exemple, consister en des actions collectives d’information et d’orientation des élèves, en des dispositifs d’accompagnement et de formation des enseignants, en des accords collectifs avec les autres acteurs sociaux, culturels et économiques présents dans le bassin (le secteur des écoles de devoir, l’animation culturelle…). Mentionnés entre les lignes dans la Déclaration commune réunissant syndicats, réseaux et partenaires sociaux, les bassins ont été évoqués dans le projet de Contrat stratégique pour l’éducation. Puis, on a perdu leur trace dans la version finale du Contrat pour l’école. Les bassins n’étaient plus évoqués qu’implicitement. «Des niveaux décentralisés existants ou à créer». Mais entre temps, une recherche interuniversitaire avait été commanditée par la ministre de l’Enseignement. Elle s’est clôturée en juillet 2005. Ensuite, il a encore fallu attendre près d’un an avant que la ministre Arena ne le remette a goût du jour. C’était à la rentrée 2006, avec l’annonce par Marie Arena de sa volonté de travailler cette année scolaire sur les bassins scolaires. Enfin, la tenue de ce colloque avec en toile de fond, la volonté d’instruire le dossier, de prendre la température avant d’avancer dans l’une ou l’autre voie.