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Beaucoup de risques, quelques opportunités

Selon la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, les agrocarburants pourraient, à long terme, représenter une opportunité pour le développement rural, à condition de créer des filets de sécurité pour protéger les plus pauvres de la faim et de réévaluer les politiques actuelles.

La médaille et son revers : tel aurait pu être le titre générique du dernier Rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2008, de la FAO, consacré aux agrocarburants, tant le développement de ce secteur peut être une arme à double tranchant. Tout dépend de qui la détient et de ce qu’il en fait. Parmi la batterie de recommandations qu’il contient, ce rapport en souligne une, plus urgente : la création «de filets de sécurité appropriés afin de permettre aux populations pauvres et vulnérables d’accéder à l’alimentation». La part de responsabilité des agrocarburants, reconnue de toutes parts dans la hausse des prix des produits agricoles, varie fortement selon les instituts de recherche : entre 3 et 70%. La demande de terres de culture (sucre, maïs, oléagineux) pour les agrocarburants, censés réduire la dépendance aux énergies fossiles, pourrait ainsi contribuer à renverser la tendance à la baisse des prix de ces matières premières agricoles, baisse qui avait pesé sur la croissance de l’agriculture dans la plupart des pays en développement au cours des dernières décennies. Même si l’on assiste avec la crise financière actuelle à une nouvelle chute des cours, la perspective de la FAO qu’ils restent élevés durant les dix prochaines années ne semble pas remise en cause. Toutefois, «les agriculteurs pauvres ne devraient pas profiter de l’essentiel des retombées positives .de la hausse des prix. et seront la population la plus vraisemblablement exposée à ses effets négatifs».

Une place pour les petits agriculteurs ?

Si des mesures sont prises pour garantir l’accès à l’alimentation des plus vulnérables, les agrocarburants pourraient à terme, selon la FAO, se révéler une occasion de redynamiser l’agriculture dans les pays en développement, «avec des conséquences positives en matière de croissance économique, de réduction de la pauvreté et de sécurité alimentaire». Le 6 octobre 2008, Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour l’alimentation, rappelait lors de la tenue de la Commission développement du Parlement européen que «les biocarburants doivent être soutenus pour différentes raisons sauf environnementale. Mais ils peuvent permettre d’augmenter les revenus des agriculteurs et de diminuer les dépendances énergétiques des pays». Dans un premier temps, les investisseurs dans les agrocarburants recherchent une certaine sécurité d’approvisionnement, via le développement de grandes plantations, qui créent de l’emploi, des revenus, mais qui font planer le spectre du modèle de monoculture d’exportation et paraissent peu compatibles avec le soutien aux petits exploitants et avec les impératifs de sécurité alimentaire. Aussi, comme le rappelait Olivier de Schutter, «nous devons aider les petits agriculteurs, car si les biocarburants peuvent être bénéfiques, ils le seront surtout pour les grands producteurs». Pour la FAO, «la participation des petits agriculteurs par le biais de l’agriculture contractuelle (ou ‘sous-traitance agricole’) est peut-être le système le plus simple pour créer le marché nécessaire tout en préservant la production des denrées de base et en assurant une croissance favorable aux pauvres». Elle cite en exemple le modèle brésilien de «carburant social» grâce auquel les fabricants de biodiesel qui achètent aux petits producteurs défavorisés bénéficient d’une exonération d’impôt partielle, voire totale. Les États, s’ils développent les infrastructures nécessaires à l’utilisation locale de ces agrocarburants, pourraient voir leur facture énergétique réduite et les agriculteurs trouver des débouchés, des emplois et un accès à l’énergie. Selon la FAO, «l’expérience a montré que le développement des cultures commerciales des petits exploitants ne se fait pas forcément aux dépens de la production vivrière ou, plus généralement, de la sécurité alimentaire», faisant référence au coton malien qui a stimulé la production de céréales secondaires. Mais on voit qu’actuellement des cultures de coton, qui permettaient en alternance de produire des céréales, sont remplacées par des cultures de jatropha, qui ne permettent pas cette rotation avec les cultures vivrières.

Des politiques concertées

Le principal enjeu actuel et à venir pour une majorité d’États dans les pays du Sud consiste à mettre en place des politiques de développement du secteur sur la base d’études approfondies de leur contexte spécifique, car il n’existe pas de modèle prêt à l’emploi. Le rapport de la FAO ne fait d’ailleurs pas l’économie de quelques conseils en terme de politiques publiques à mener, comme investir dans les infrastructures, l’irrigation, la vulgarisation et la recherche, mais aussi améliorer les marchés d’intrants et de produits en zones rurales, afin que les petites exploitations ne soient pas désavantagées, et établir des contrats de sous-traitance. Mais le principal problème, notamment pour les pays africains, est qu’avant même que toutes les dispositions légales et réglementaires aient été prises, des initiatives anarchiques se multiplient partout en Afrique. Les politiques de nombreux pays qui ont fixé des objectifs d’incorporation des agrocarburants dans les transports, dont la plupart des pays européens, les États-Unis mais également des pays comme la Chine ou l’Inde qui seront amenés, pour les atteindre, à importer des quantités importantes de matières premières ou de produits transformés, ont créé une ruée de nombreux investisseurs dans le secteur et sur les terres de certains pays. La Fao appelle à la révision de ces politiques afin d’y intégrer des critères de durabilité. Les conditions sont nombreuses à réunir pour que les agrocarburants soient une chance pour le développement rural, mais si elles le sont, ils pourraient augurer des possibilités d’investissement presque inédites. Pour que l’Afrique puisse en profiter, des politiques nationales et régionales sont à construire, en concertation avec les producteurs agricoles, comme le réclame la fédération des ONG au Sénégal , afin de trouver ensemble les méthodes stratégiques pour cultiver et exploiter ces agrocarburants sans mettre en danger la sécurité alimentaire plus qu’elle ne l’est déjà. Dans la plupart des pays africains qui n’ont pas élaboré de politique de développement du secteur ou ne l’appliquent pas, les investisseurs ont les coudées franches. Au Burkina Faso, par exemple, certains incitent les paysans à cultiver des agrocarburants dans le but de les exporter. Le risque d’affecter des terres vivrières à la culture de agrocarburants et de renforcer ainsi l’insécurité alimentaire est alors particulièrement élevé. En Afrique du Sud, en revanche, selon le réseau des Citoyens unis pour les énergies renouvelables et la durabilité, l’action de la société civile sur les autorités s’est révélée payante. Le document stratégique sur les biocarburants du gouvernement sud-africain, après avoir été guidé par une approche industrielle en vue de l’exportation, se concentre désormais davantage sur l’intégration des petits exploitants et sur la consommation locale. Scénario imprévu, la crise actuelle et son corollaire, la baisse de 40 % du prix du pétrole brut depuis juillet dernier, pourraient compromettre la rentabilité économique du secteur et freiner les investissements. Mais le débat ne se refermerait pas pour autant.