Retour aux articles →

« Bruxelles est en difficulté budgétaire, pas économique »

Pendant les négociations sur le financement de Bruxelles, on entend souvent parler de 500 millions pour Bruxelles. Vous publiez une étude.Magali Verdonck, Michèle Taymans, Stefan Ector, « .Étude pour un juste financement de la Région de Bruxelles-Capitale« , FUSL, octobre 2010 qui aboutit à un manque à gagner pour Bruxelles de 720 millions tandis que d’autres économistes néerlandophones estiment que Bruxelles n’a pas besoin d’un financement supplémentaire. Comment peut-on aboutir à des résultats aussi contrastés dans le monde scientifique ? Existe-t-il une grille de lecture politique dans ces rapports ? .Cet entretien a été réalisé en marge de l’article « .La loi spéciale de financement pour les nuls« . Il n’a pas été publié dan la revue Magali Verdonck : Il m’est facile d’expliquer la différence entre les 500 et les 720 millions puisque j’ai participé aux deux études. Les 500 millions proviennent d’une étude de 1999 (mise à jour, mais sur base de la même méthodologie, en 2003). A l’époque, la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) n’existait que depuis 10 ans. Depuis lors, la compréhension des problèmes budgétaires s’est affinée et la méthodologie a été revue. Par ailleurs, certaines compensations financières dont bénéficie la Région n’avaient pas été suffisamment prises en compte. Dès lors, les deux grandes différences méthodologiques entre 1999 et 2010 sont  la prise en compte la plus fine possible de tous les avantages et compensations dont bénéficie la Région bruxelloise au sens large. Ceci réduit évidemment les besoins estimés ;  la prise en compte des coûts et manques à gagner supportés par les communes bruxelloises. Ce volet était inexistant en 1999. Or, les communes souffrent également, budgétairement parlant, du statut de grande métropole et de capitale. Et quand les communes vont mal, c’est la Région qui leur vient en aide. Il fallait donc tenir compte de l’entité bruxelloise dans son ensemble, et pas uniquement de la Région. Ceci a augmenté l’estimation des besoins. Le montant de 500 millions d’euros a donc été réduit par le premier élément puis augmenté, dans une plus large mesure, par le second élément. Pour expliquer la différence entre les chiffres établis par des Bruxellois et les chiffres établis par de Flamands, il faut comprendre deux éléments principaux. Premièrement, les auteurs flamands, comme de très nombreuses personnes, confondent la situation économique de Bruxelles avec sa situation budgétaire. La situation économique est excellente. Bruxelles figure dans le top trois des régions européennes en termes de PIB par habitant. Mais le lien est très ténu entre cette activité économique et les moyens budgétaires de la Région. Or ces moyens sont indispensables pour créer et maintenir la prospérité économique (en investissant dans les infrastructures de transport par exemple) au profit de toutes les personnes travaillant à Bruxelles, pour venir en aide à ses habitants ou pour faire face au boom démographique. Pourquoi ce lien est-il si ténu ? En raison du partage des compétences fiscales entre niveaux de pouvoir, propre à la Belgique. L’activité économique génère essentiellement de la TVA (fédérale), de l’impôt des sociétés (fédéral) et de l’impôt des personnes physiques (IPP – fédéral). Les recettes de l’impôt des personnes physiques servent par ailleurs à calculer les dotations attribuées aux Régions. Sachant que l’IPP est perçu dans la Région du domicile, et sachant que la moitié des personnes travaillant à Bruxelles habitent et paient leurs impôts dans d’autres Régions, on comprend que Bruxelles voit peu la couleur de la richesse créée sur son territoire. Bruxelles est donc en difficulté budgétaire, pas économique. Si le handicap budgétaire n’est ni reconnu ni corrigé, la situation économique pourrait en pâtir, au détriment de tous les Belges. Il faudrait en effet limiter les dépenses dans le transport, la sécurité, la construction d’écoles pour faire face à l’accroissement de la population… Ou alors il faudrait accroître encore la pression fiscale, ce qui n’est pas excellent pour l’activité économique non plus. Deuxièmement, les chiffres flamands se basent sur une méconnaissance de la loi de financement. Ils disent, à juste titre, que les recettes d’impôts régionaux (surtout des droits d’enregistrement) sont bien supérieures à Bruxelles qu’ailleurs. Mais ils oublient de dire que quand ces impôts, anciennement fédéraux, ont été transférés aux Régions en 2002, les dotations régionales ont été amputées à due proportion afin d’assurer une neutralité budgétaire à l’opération. La RBC a donc vu sa dotation IPP réduite dans une proportion bien plus importante que celle des autres Régions, annulant l’avantage apparent. Il n’est donc pas correct de ne mettre en avant qu’une partie du montage. Si Bruxelles souffre d’un manque de financement, c’est que les réformes précédentes n’ont pas été bien négociées par les élus bruxellois. Que peut-on retenir des erreurs passées et comment mieux négocier à l’avenir sur des sujets aussi complexes comme le financement équitable de notre région ? Magali Verdonck : Dans le passé, et surtout au moment de la régionalisation du Fonds des communes, les Bruxellois n’ont pas assez réfléchi à long terme. A cette époque, la part du Fonds des communes revenant aux communes bruxelloises est passée de plus de 20% à moins de 10% du total. Il faut rappeler qu’à cette époque (années 1970), le revenu par habitant bruxellois était bien supérieur à la moyenne belge. La situation budgétaire semblait très solide. Les élus n’avaient pas vu venir l’exode urbain des classes moyennes qui perdure depuis plusieurs décennies et plombe les budgets régional et communaux. Il y avait aussi une méconnaissance de la faiblesse du lien entre situation économique et situation budgétaire. Ainsi, par exemple, l’arrivée des institutions européennes a été vue comme une excellente affaire et les élus bruxellois n’ont jamais pensé à en faire payer le prix à l’État fédéral. Mais en raison des coûts engendrés par cette présence (manifestations, nouveaux habitants…) couplés aux exonérations fiscales dont bénéficient les travailleurs et immeubles de ces institutions, l’avantage à long terme est loin d’être évident en termes de recettes publiques régionales et communales. Je pense que la connaissance des dynamiques budgétaires est bien meilleure aujourd’hui et que les Bruxellois ne s’y laisseront plus prendre. Enfin, je l’espère. En tout cas, ils ont toutes les données en main pour ne plus commettre d’erreur. Vision de long terme et connaissance pointue de la loi de financement sont les éléments clé. Il faut aussi que les Bruxellois perdent leurs complexes. La Région bruxelloise est la poule aux oeufs d’or du pays. Il ne faut pas l’étouffer par manque d’oxygène budgétaire. J’ai parfois l’impression que les Bruxellois finissent par croire eux-mêmes à certaines critiques non étayées qui leur sont faites. Votre étude identifie les sources existantes du financement de Bruxelles, les mécanismes actuels de compensation et les nouvelles perspectives de financement supplémentaire. S’il ne fallait choisir qu’un seul nouveau moyen rapide et facile à mettre en place, que suggéreriez-vous aux négociateurs ? Magali Verdonck : Je suggérerais, comme nous l’avons fait avec Philippe Cattoir au dernier Congrès des économistes belges de langue française, de tenir compte du nombre de navetteurs dans le calcul de l’intervention de solidarité nationale (dotation fédérale attribuée aux Régions dont les recettes d’IPP par habitant sont inférieures à la moyenne nationale). Il s’agit de tenir compte de la population bruxelloise, mais également des navetteurs qui travaillent à Bruxelles où ils gagnent leur vie et entraînent une série de coûts (transport, sécurité, propreté…) mais qui paient leurs impôts ailleurs. Ceci s’inspire fortement du modèle allemand où les besoins spécifiques des villes-État sont reconnus depuis bien longtemps. Propos recueillis par Mehmet Koksal.