Retour aux articles →

Coup pour coup

Le direct, rien de tel pour faire une bonne émission de télévision. En direct, tout peut arriver. C’est comme au cirque : on a beau savoir que le numéro est au point, qu’il a été répété mille fois, que les acrobates sont surdoués et les risques quasi nuls, il y a toujours cette pointe d’incertitude, cette imprévisibilité des choses qui nous rive à notre siège et nous retient le souffle. Le sport télévisé en direct nous procure les mêmes sensations, entre peur et désir. Et puis il y a cette émission culte de la RTBF, « Studio 1 La Tribune », qui a parfaitement intégré ces données et qui use des mêmes effets, moins par son contenu que par son dispositif et sa réalisation en direct. Le contenu est surtout un prétexte, il est fait des dernières images du championnat belge de football, remontées, disséquées, repassées autant de fois que nécessaire. Le suspense, le vrai match est ailleurs : sur le plateau, en direct. C’est un drôle de match, dont on ne connaît pas les règles, mais dont on connaît très bien les protagonistes et dont on sait qu’ils ont été sélectionnés pour nous faire, chaque lundi soir, un grand numéro.

L’émission nous éclaire sur l’humaine difficulté à concilier grandeur et petitesse, beauté et laideur, idéalisme et réalisme. Le syndrome de ce qu’on appelle en football « la faute nécessaire ».

Les rôles sont parfaitement distribués, autour de Monsieur Loyal (Michel Lecomte) : vous avez le Savant (Rodrigo Beenkens), le Taiseux (Benoît Thans) et l’Histrion (Stéphane Pauwels). Le spectacle dure deux heures trente, le dispositif est très étudié : entrées et sorties des seconds rôles, allers-retours entre le grand plateau central et le mini-plateau en surplomb où officient l’Arbitre (Marcel Javaux) et le Médiateur (Benjamin Deceuninck). En bas, on s’empoigne, en haut, on fait assaut de courtoisie. L’émission est un microcosme, un précipité de ce monde du football qui charrie toutes les contradictions de l’époque. Comme le foot, et comme la publicité qui ouvre et referme l’émission (« Jupiler, les hommes savent pourquoi » Le slogan est aujourd’hui remplacé par « Jupiler, les supporters savent pourquoi », comme un lapsus définitivement révélateur….. ), l’émission est puissamment masculine, en dépit des efforts déployés par Michel Lecomte pour éviter le piège du machisme. En 2009, deux chroniqueuses ont fait un tour de piste sur le plateau, pendant quelques semaines, dans un rôle intenable : elles n’étaient pas là pour parler football, mais psychologie de vestiaire et futilités diverses. Elles n’ont pas été remplacées par des expertes en football (il en existe dans la presse et à la télévision), mais simplement éconduites. Erreur de casting, rideau. Et puis, comme le foot, l’émission nous éclaire sur l’humaine difficulté à concilier grandeur et petitesse, beauté et laideur, idéalisme et réalisme. Le syndrome de ce qu’on appelle en football « la faute nécessaire ». L’émission met en scène la lutte incessante entre le jeu et la compétition, le bénévolat et les affaires, le fair-play et la violence, mais c’est pour mieux constater que tout cela est proprement inextricable, et que la frontière est fort mince entre le bon et le mauvais supporter, l’amour de son club et la haine des autres.

Le crash s’est produit le 14 mars sous la forme d’un clash avec Marc Delire, un des seconds rôles de l’émission.

L’émission est elle-même structurée par ce nœud de contradictions, non seulement grâce à la subtilité du jeu de rôles (la componction du Taiseux, la gouaille de l’Histrion, l’ironie du Médiateur…) mais aussi par le fait qu’un seul et même acteur, Stéphane Pauwels, est en charge du coup de gueule et du coup de cœur ! Double rôle à double tranchant, et à haut risque quand chacun joue en direct. Le meilleur acrobate chute, un jour ou l’autre. Le crash s’est produit le 14 mars sous la forme d’un clash avec Marc Delire, un des seconds rôles de l’émission. Le débat tournait autour de l’image d’un enfant évacué d’une tribune en ébullition. Delire se disait glacé par les violences. Pauwels choqué qu’un père emmène son fils dans cette tribune. « Eh ! bien tu es un con, mon vieux ! », s’est emporté Delire dans un coup de gueule cri du cœur. Il a fallu deux bonnes minutes pour calmer les querelleurs sous l’œil goguenard du public et du Taiseux, habituel souffre-douleur de l’Histrion. Monsieur Loyal a eu le dernier mot, parfait résumé de l’inextricable situation : « On ne va pas donner l’exemple de la violence à des gens qui ont été violents ! »