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De la proximité humaniste de terrain

« Clairement, il faut faire en sorte, dans ce pays, que des messages forts répondent aux problèmes majeurs sur le terrain. » Cette phrase, citée par Bertrand Poirot-Delpech dans un article intitulé « Degré zéro du discours politique » (Le Monde du 15 mai 2002), a été réellement prononcée par un homme politique français, dont l’auteur tait charitablement le nom. Tout y est : la transparence (« clairement »), le message « fort », le problème « majeur », et le « il faut faire en sorte »…en se gardant bien de préciser quoi et comment. Et, bien sûr, le « terrain ». Ah, que ferait-on sans le terrain! Là où l’on peut délicieusement, durant quelques minutes de campagne électorale, s’encanailler dans la « proximité » des « vrais gens »! Quand on voit, en France, Raffarin dans le métro ou Sarkozy dans les commissariats, on se prend à rêver d’un Marc Verwilghen faisant le gardien de prison à Lantin, d’une Laurette Onkelinx à la caisse d’un supermarché un samedi après-midi, d’un Frank Vandenbroucke opéré d’une appendicite dans un hôpital en sous-effectifs! L’exigence de « proximité », la volonté affichée de « descendre sur le terrain », contiennent déjà un aveu: la sous-représentation parlementaire et encore plus ministérielle de catégories sociales comme les salariés ou les allocataires sociaux… La salve de changements de nom des partis politiques belges participe du même vide intégral. Ainsi, quand le SP devient le SP.A, le « A » de « anders », « autrement », évite prudemment de préciser le sens du changement. Spirit va encore plus loin dans la vague. Au moins au Nord les chrétiens restent des chrétiens, les libéraux des libéraux et le Vlaams Blok, toujours pareil à lui-même, annonce clairement la couleur: flamand et comme tout bloc qui se respecte, fermé sur lui-même. Coté francophone, les nouveaux sigles semblent avoir pour principe d’en dire le moins possible sur son programme. Autrefois, on créait une association, une ligue, un front, les amis de ceci ou cela… et on « construisait » au parti, pardon Le Parti, comme une espèce d’apothéose. Maintenant, c’est presque un gros mot. Certes, Ecolo avait pris les devants, mais à une époque où ce n’était pas une mode. Aujourd’hui, c’est le parti qui se transforme en union, rassemblement, mouvement. Voyez le MR: comment faire moins en termes de clarté politique? Non seulement on est un « mouvement », ce qui sonne tellement plus moderne que « parti » ( ce que Taguieff dénonce dans un pamphlet contre le « bougisme ») mais en plus, on se déclare partisan de réformes! Quelle audace! Les mauvaises langues demanderont à quoi cela servirait de faire de la politique si ce n’est pour « réformer », c’est-à-dire changer quelque chose, fût-ce en reculant. Au moins, l’ancien PRL indiquait le sens du changement: libéral. Maintenant on se contente d’annoncer qu’on va bouger. Cela devrait suffire. Le changement du PSC en CDH est un sérieux concurrent sur le terrain de la banalité. Le Centre est très couru en ce moment. Même l’extrême droite, quand ça l’arrange, se réfère à la « Démocratie ». Et qui oserait se dire anti-Humaniste? On a beaucoup glosé l’abandon du C de chrétien, beaucoup moins sur celui du S de social. On a vu une dissidence de droite, les Chrétiens Démocrates Francophones, le CDF. Verra-t-on une dissidence de gauche pour récupérer le S, avec l’apparition d’un SDF? Ah zut, le sigle est déjà pris… Il serait temps que le PS se secoue un peu: se dire à la fois un « parti » et « socialiste », c’est cumuler les ringardises. Heureusement, diront les mauvaises langues, sa politique ne correspond guère à sa dénomination… Et si on lançait un nouveau parti (pardon, mouvement) à Bruxelles? Proximité du Terrain Bruxellois, ça sonne bien, non? Ah zut, ça fait PTB, c’est embêtant, là aussi le sigle est déjà pris…