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De quoi Dieudonné est-il le nom ?

«DE QUOI DIEUDONNÉ EST-IL LE NOM ?» : À l’occasion de son passage à Bruxelles et d’une nouvelle tentative d’interdiction, infructueuse, de son spectacle, l’humoriste Dieudonné occupe de nouveau l’avant-plan de l’actualité. Lors d’un débat organisé dans les semaines qui suivirent à l’ULB, la question soulevait les passions : Dieudonné est-il antisémite ? Pour les uns, son antisionisme ne sert qu’à cacher son antisémitisme. Pour les autres au contraire, c’est un humoriste de talent victime du «lobby sioniste» qui diabolise ses opposants en les traitant d’antisémites. Alors que pour ses détracteurs, Dieudonné camoufle sa haine des Juifs sous les dehors de positions pro-palestiniennes, pour ses partisans au contraire, grâce à son talent de provocateur, il révèle au grand jour le «complot sioniste», se protège contre l’embargo médiatique dont il est victime et défend la liberté d’expression. La question essentielle est-t-elle finalement de savoir si Dieudonné, dans son for intérieur, est ou n’est pas antisémite ? N’est-ce pas plutôt sa proximité avec Jean-Marie le Pen et le Front National et avec le négationniste Robert Faurisson qui pose problème ? Il y a peu, en invitant Faurisson à son spectacle du Zénith de Paris, il a sorti de la naphtaline ses thèses négationnistes qui ont pu bénéficier d’un public de plus de 5 000 personnes et du battage médiatique qui a suivi. Il faut se rendre à l’évidence : pour donner de l’audience aux thèses les plus abjectes il suffit de les interdire. Les sanctions ne serviront qu’à amplifier leur audience. En présentant une «liste antisioniste» en Ile-de-France pour le scrutin européen,Dieudonné en donne une preuve supplémentaire. Il aura suffi que Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, évoque sa possible interdiction pour que Dieudonné voie en lui son principal attaché de presse et présente ses candidats comme autant d’antisionistes. Peu importe que ceux-ci soient très majoritairement d’extrême droite, et qu’ils se donnent comme objectif de «combattre la sionisation des institutions en France et en Europe». Ca ne vous rappelle rien ? Ainsi, alors que les uns dénoncent l’antisémitisme derrière toute critique de la politique israélienne, les autres partent en guerre contre «la sionisation de la société». Les procès d’antisémitisme sous couvert de la défense d’Israël n’auront eu d’autre effet que de permettre à des vrais antisémites de se faire les hérauts de la liberté d’expression. La journaliste Elisabeth Lévy, qui assimile l’antisionisme à «un permis de haïr Israël», s’oppose pourtant à l’interdiction de la liste Dieudonné. «L’interdiction, écrit-elle, renforcerait la conviction (…) que les juifs sont puissants, qu’ils tiennent les médias et la politique, jouissent de protections exorbitantes et que ces privilèges sont la première cause des malheurs du monde» www.causeur.fr/liberté-pour-les-ennemis-de-la-liberté (11/5/2009). Le sionisme n’est rien d’autre qu’une doctrine politique qui revêt plusieurs variantes. Dans certains cas il fait bon ménage avec le racisme, tout comme l’antisionisme, lorsqu’il fraie avec le négationnisme et l’extrême droite, devient le déguisement de l’antisémitisme. Dieudonné, dans ce cas, serait le nom de ce couple diabolique. Quelle que soit la pensée intime de Dieudonné, le cumul de l’opprobre que l’on a fait peser sur sa personne et la menace d’interdiction de sa liste d’une part, la pénalisation du négationnisme qui s’est cristallisée sur la personne de Faurisson d’autre part, ont eu un effet médiatique démultiplicateur. Il est temps de prendre conscience du caractère contre-productif de la juridicialisation des débats et des vérités d’État inscrites dans des lois pour les imposer. N’est-il pas temps d’investir pleinement le débat politique plutôt que de le confier aux tribunaux ? L’interdiction expose au danger que la liberté d’expression s’arrête là où d’autres, même légitimement, se sentent choqués. Ce serait là le prélude d’un ordre moral qui réduit inéluctablement cette liberté. Et si nous prenions Dieudonné au mot. Si nous nous battions, avec nos propres arguments, notre intelligence et notre humour contre le négationnisme, l’antisémitisme et le racisme ? Le couple diabolique pourrait alors devenir le nom de la liberté d’expression. Même si l’opinion est imbécile et si ceux qui l’expriment sont misérables, elle ne peut être réprimée par la loi, à moins qu’il ne s’agisse d’incitation à la haine raciale.