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Démocratie (2)

Sous peine d’être ostracisé du débat public, personne ne peut mettre en doute les deux préceptes selon lesquels les marchés sont toujours plus intelligents que les politiques et les chefs d’entreprise plus intelligents que les fonctionnaires et les syndicalistes. Jean Hindriks, dans son article «La concurrence entre gouvernants : un impératif de bonne gestion public» (Regards économiques, avril 2005, n°29), nous invitait déjà à faire encore un pas en avant : il préconisait de livrer à la concurrence les communes, les villes, les régions et les pays au même titre que les entreprises. C’est cette concurrence qui permettrait «de discipliner les hommes politiques et de limiter les gaspillages en termes de dépenses publiques» Voir ma chronique «Le dictionnaire du prêt-à-penser : Démocratie» in POLITIQUE, juin 2005, n°40, p.5. Les électeurs mal informés ne font pas les bons choix (regardez les votes français et hollandais sur la constitution européenne), ils devraient être guidés dans leur vote par des consultants tels que Mc Kinsey ou par des institutions universitaires ou encore internationales comme l’OCDE. Ceux-ci établiraient par comparaison un classement des communes, régions ou États et présenteraient aux électeurs le palmarès final. La soirée électorale serait une sorte de cérémonie où l’on remettrait, lors d’un grand spectacle télévisé en direct, les récompenses aux bons élèves de la «gouvernance», alors que les mauvais seraient renvoyés à une prochaine session à moins qu’ils ne décrochent de la politique. Après la théorie, le professeur Hindriks est passé, avec son collègue François Gérard, aux exercices pratiques. Ils publient, toujours dans la revue des économistes de l’UCL (octobre 2005, n° 35), «le palmarès des villes et communes de Wallonie». Enfin, grâce aux médias qui ont donné une large audience à ce classement, les électeurs wallons sauront désormais pour qui voter dans quelques mois aux communales en toute objectivité. Parmi les 16 «indicateurs d’efficacité» retenus, 12 ont été confectionnés à partir de données relatives aux années 2000 ou 2001. Ce ne serait donc pas la gestion communale actuelle qui serait ainsi jugée mais la précédente, pourtant déjà sanctionnée lors des élections passées. À moins de considérer que «tous les politiciens se valent» – mais pourquoi établir alors un palmarès ? -, ce classement n’aurait d’autre effet que d’induire l’électeur à l’erreur. Ensuite, ni la pertinence des critères retenus, ni leur signification, ne sont interrogées. Les niveaux de fréquentation des écoles maternelles et primaires qui constituent les deux indicateurs en matière d’enseignement reflètent-ils «l’efficacité» du pouvoir communal ou les conditions sociales de la population ? L’insignifiance et l’inadéquation des critères ne semblent pas faire cependant davantage problème aux yeux des auteurs que l’obsolescence des données utilisées. L’important n’est pas en effet pour les tenants du «ranking» la pertinence du classement, mais la mise en compétition résultant de la pression devant conduire les gouvernants à améliorer leur score pour le classement suivant. La meilleure manière d’y arriver, c’est bien sûr d’augmenter sa visibilité en fonction des critères classants. Ainsi, «la masse de déchets récoltés par collecte sélective» améliorera le score communal même si la population n’est pas informée par exemple de l’existence à proximité d’un site pollué. Ce n’est bien sûr pas la complexité de la gestion démocratique de la commune qui déterminera sa compétitivité mais sa visibilité selon les critères de classement.