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Dérives autocratiques au Setca

 

Un patron qui se fait condamner devant un tribunal du travail, ça arrive souvent et c’est plutôt un signe de bonne santé de cette juridiction. Mais quand ce patron est une organisation syndicale, qui plus est réputée pour sa combativité, et qu’on lui impute des comportements auxquels peu de patrons se risqueraient encore, il y a quelques questions se poser…

Le 3 septembre 2010, Erwin De Deyn, président, Myriam Delmée, vice-présidente, et Jean-Michel Cappoen, secrétaire général du Setca, la centrale des employés de la FGTB, notifiaient leur licenciement sur le champ pour motif grave à cinq permanents de la régionale de Bruxelles-Hal-Vilvorde. À l’époque, nous avions relaté les circonstances de ces licenciements, à savoir un désaccord sur un projet immobilier concernant les locaux syndicaux de la place Rouppe et de la rue de Tournai à Bruxelles. Nous avions marqué notre stupéfaction sur la brutalité de la procédure et la futilité de leur justification [1.« .Setca, des licenciements qui interpellent », Politique, n°68, janvier-février 2011.]. Le motif, écrivions-nous alors, s’il avait été invoqué par un patron, aurait révulsé n’importe quel délégué syndical.

En matière de droit du travail, le syndicat a pour fonction de contribuer, par la défense des salariés en justice, à générer une jurisprudence favorable aux travailleurs.

À présent, quatre ans après les faits, le tribunal du travail de Bruxelles vient de rendre son jugement ce 21 janvier pour trois des permanents licenciés : Eric Van Der Smissen, décédé depuis lors, Bernadette Mussche et Martin Willems[2.Le procès des deux autres permanents, Hendrick Vermeerch et Ria Cerulis, s’est déroulé devant une chambre flamande qui a reconnu l’absence de faute grave les concernant et leur a attribué en conséquence une indemnité. Le Setca est en appel de cette décision.].

Un licenciement formellement inexistant

Bernadette Mussche et Martin Willems soutenaient que le licenciement dont ils avaient été l’objet était inexistant puisque permanents élus par un congrès du Setca-BHV, ils ne pouvaient être licenciés, dans le cadre d’une « tutelle volontaire » exercée par le bureau fédéral, sans approbation des instances régionales. L’instauration d’une « tutelle statutaire » du Setca-BHV, dont s’est prévalu la direction, qui aurait rendu possible le licenciement à la place de la « tutelle volontaire », au moment de sa notification, est jugée irrégulière par le tribunal. Celui-ci considère que les droits de la partie concernée (les cinq permanents) ont été violés en raison « de la convocation tardive (une demi-heure entre l’heure de convocation et le début de ladite réunion) » et sans que soit mentionné « un point aussi fondamental que la mise sous tutelle statutaire d’une section régionale d’une organisation syndicale ». Le tribunal précise en conséquence : « cette convocation envoyée de manière quasi-concomitante au début de la réunion par e-mail alors que les destinataires étaient déjà en réunion constitue un abus de droit ». En conséquence, dans le cadre d’une « tutelle volontariste » en l’absence de ratification par le Congrès régional, le licenciement n’existe pas et les contrats de B. Mussche et de M. Willems « sont censés ne pas avoir été rompus ». « Ils doivent être autorisés à reprendre le travail et leur mandat de délégué permanent dans un délai maximum de quatre mois », ajoute le jugement.

Pas de faute grave…

Puisque le licenciement des deux permanents était jugé inexistant, le tribunal n’avait même pas à examiner les raisons invoquées par la direction du Setca ni les circonstances de leur licenciement. La situation est cependant différente pour le troisième permanent, Eric Van Der Smissen. Celui-ci étant décédé, la question de la réintégration ne pouvait être envisagée. Le tribunal devait en conséquence statuer sur le montant des indemnités compensatoires de préavis et du préjudice matériel et moral au bénéfice de ses deux enfants qui sont ses héritiers. La différence d’appréciation concernant le projet immobilier avait été considérée comme motif grave à l’encontre des permanents et comme une attitude négative et d’obstruction visant à discréditer le secrétariat fédéral. « Il n’y a, constate le tribunal, aucune preuve de discréditer le secrétariat fédéral mais seulement la volonté d’informer l’ensemble du comité exécutif ». Les termes utilisés ainsi que les propos tenus dans les courriels mentionnés par la direction « ne dénotent aucunement une volonté de nuire ». Et le tribunal de poursuivre : « Le fait de s’opposer à une proposition .…. en y apportant une contradiction étayée, une suggestion constructive d’examens comparatifs .et. une mise en garde quant à la fiabilité fiscale du projet immobilier tel que présenté par le secrétariat fédéral ne peut être raisonnablement considéré comme une faute grave.» La conclusion est cinglante pour la direction de la Centrale : « Admettre le contraire reviendrait à nier tout processus démocratique dans la prise de décision et l’essence même de la concertation sociale ». En conséquence, « le tribunal considère qu’il n’existe pas de motif grave justifiant le licenciement de feu M. Van Der Smissen. Le licenciement est donc déclaré irrégulier et une indemnité compensatoire est due ».

… mais un abus de droit

Le tribunal considère en outre que les conditions dans lesquelles les licenciements se sont déroulés « ont été particulièrement brutales et irrespectueuses des formes dans lesquelles un licenciement doit avoir lieu ». Le jugement mentionne à ce propos : « Le passage par la tutelle statutaire pour pouvoir licencier sans obligation d’approbation des organes compétents du secteur BHV Setca, la convocation à minuit le 2 septembre 2010 par SMS à se présenter le lendemain à 9 heures par les défendeurs .= la direction fédérale., le refus de laisser pénétrer le demandeur .E. Van Der Smissen. à la réunion de section prévue le 3 septembre 2010, la diffusion immédiate à la presse du licenciement sur le champ sans autre explication laissant planer le doute sur les raisons de ce licenciement pour motif grave, l’évacuation de toutes les données collectées par le demandeur depuis 26 ans mises à la poubelle sans autre ménagement sont autant de circonstances entourant le licenciement qui démontrent un usage abusif du droit de licenciement ». Le tribunal décide en conséquence « que M. Van Der Smissen a subi un dommage moral distinct de celui réparé par l’indemnité compensatoire de préavis ».

Une violence gratuite

Le cas d’Eric Van Der Smissen, âgé de 64 ans et 3 mois (et près de 34 ans d’ancienneté) au moment du licenciement et à présent décédé, illustre bien la dérive autocratique de la direction du Setca. Il aurait suffi en effet d’attendre 9 mois pour que la mise à la retraite de celui-ci mette fin au conflit le concernant, sans qu’il en coûte au syndicat. À présent, le tribunal condamne le Setca à payer à ses héritiers une somme de 297 485,64 euros à titre d’indemnité compensatoire de préavis augmentée des intérêts légaux et judiciaires et une somme de 1000 euros pour abus de droit. Le syndicat est également tenu à verser une somme équivalente à 33 fois la quote-part mensuelle d’assurance groupe aux ayant droits d’Eric Van Der Smissen. Le jugement révèle une gestion irresponsable qui a conduit au licenciement des permanents. Il souligne des comportements autoritaires que le syndicat est censé combattre dans les entreprises, comportements doublés de brutalité. Il révèle aussi un fonctionnement du syndicat qui permet de court-circuiter ses propres instances et de priver les militants et les affiliés de toute capacité d’intervention dans les décisions. En matière de droit du travail, le syndicat a pour fonction de contribuer, par la défense des salariés en justice, à générer une jurisprudence favorable aux travailleurs. En procédant au licenciement des cinq permanents pour faute grave en l’absence de tout motif, le Setca aurait contribué, si le tribunal lui avait donné raison, à banaliser le licenciement pour faute grave et aurait ainsi conforté la position patronale. Par son jugement, le tribunal a protégé le droit du travail contre la centrale syndicale chargée de le défendre agissant de ce fait à l’encontre des intérêts des salariés en tant que classe. Dans n’importe quelle organisation, les responsables doivent rendre des comptes. A fortiori dans un syndicat, ce jugement doit faire l’objet d’un débat démocratique. Il est à craindre que le Setca choisisse de faire appel du jugement de manière à retarder encore l’échéance, sans égard pour le tort causé à toute la FGTB.