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Dilemme de rentrée

Y aller ou pas ? Cette question travaille les différents partis à chaque négociation gouvernementale. Pour la plupart d’entre eux, l’idée prévaut que, en toutes circonstances, c’est toujours mieux d’y aller. Il y a plus à gagner en siégeant dans la majorité que dans l’opposition. On peut y faire passer des parties de son programme – ce qui est tout de même le but, en politique – et on peut consolider ses positions dans l’appareil d’État en participant à la grande distribution des mandats à laquelle il est procédé à chaque législature. Résultat : les partis qui n’en sont pas, c’est rarement parce qu’ils n’ont pas voulu en être, et presque toujours parce que d’autres ont préféré faire affaire sans eux pour être moins nombreux à partager. Pour des partis de gauche, l’affaire se complique par l’existence d’un mouvement social qui, en Belgique, reste puissant, dont le niveau d’exigence est élevé et dont ces partis doivent tenir compte. Depuis longtemps, le Parti socialiste a décidé qu’il devait en être de manière inamovible. Parti dominant du côté francophone, il a toujours su se rendre mathématiquement incontournable. Argument décisif : « Sans nous, ce serait pire ». Ce qui est probablement vrai. L’autre argument est moins souvent mis en avant, et pour cause : un gouvernement sans le PS s’empresserait de rééquilibrer les mandats et les zones d’influence qu’ils délimitent. Ce qui, selon les cas, ne serait pas forcément une mauvaise chose.

L’austérité qui s’annonce partout transpose aux États du continent les recettes éculée de l’ajustement structurel qui furent imposées par le FMI et la Banque mondiale à l’époque heureusement révolue des dictatures latino-américaines.

Mais cette fois-ci, les choses sont infiniment plus graves. Le prochain gouvernement se constitue sous une double contrainte. D’une part, il devra mettre en une œuvre une grande réforme de l’État. Depuis qu’on en parle, les masques sont tombés. Il ne s’agit pas seulement de décider du degré d’autonomie à accorder aux entités fédérées ou de tracer les frontières de Bruxelles. Il s’agit surtout de briser les solidarités et d’installer de la concurrence entre territoires au sein même de la Belgique. Ce projet intervient à contresens d’un discours européen vertueux affirmant la nécessité de renforcer cette solidarité entre les différents États. Projet en panne et auquel la droite flamande tourne ouvertement le dos. D’ailleurs, la N-VA n’en fait pas mystère : la maîtrise de la fiscalité sur les entreprises ainsi que celle du marché du travail doit lui permettre de mieux valoriser les performances économiques de la Flandre au moyen du dumping social et fiscal. Même si elle ne participe pas au gouvernement fédéral, c’est bien à partir du gouvernement flamand dont elle fait partie que cette politique sera menée. Au cœur de la question communautaire, il y a bien une position de droite et une position de gauche. D’autre part, il y a le contexte européen. Il est dramatique et aucun État ne saurait y échapper. L’austérité qui s’annonce partout transpose aux États du continent les recettes éculée de l’ajustement structurel qui furent imposées par le FMI et la Banque mondiale à l’époque heureusement révolue des dictatures latino-américaines. Comme ce fut le cas dans ces pays, des politiques d’austérité qui se traduiraient par des coupes sombres dans les dépenses sociales et dans les services publics au nom de la lutte contre les déficits déboucheraient immanquablement sur une chute de l’activité économique et sur un recul de l’emploi, décuplant la nécessité de dépenses sociales réparatrices au moment même où on aurait décidé de les réduire. La récession économique et la régression sociale vont ici de pair. Seule la résistance sociale peut faire obstacle à ce plan. Les partis socialistes qui, comme au Portugal, en Grèce ou en Espagne, ont décidé d’adoucir à la marge un remède qui tue le patient au nom du moindre mal ont été laminés ou le seront bientôt. Est-il indispensable de coupler dans la négociation gouvernementale le « communautaire » et le « socio-économique » ? Ne peut-on soutenir une réforme de l’État honorable, comme il en fut longtemps question, sans participer aux mauvaises actions qui s’annoncent en s’alignant sur sur les impulsions du trio infernal Cameron-Merkel-Sarkozy ? Si le PS et Ecolo se préparaient à assumer une austérité qui tourne le dos à la justice sociale, ils porteront la responsabilité du désespoir de ceux qui leur font confiance. Leçon d’Angleterre : du désespoir, rien de bon ne sort jamais.