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Ecolo : de l’isolement social à la décroissance électorale (uniquement en ligne)

Dans un contexte de défiance croissante des citoyens à l’égard des partis politiques, le positionnement singulier d’Écolo – tant en termes de pratique que de projet politique – devrait logiquement l’amener à se placer au-dessus de la mêlée et à gagner durablement la confiance des électeurs. Pourtant, il n’en est rien. Perçu de plus en plus par le citoyen comme « un parti comme les autres », Écolo a subi le 25 mai dernier une défaite qui le rapproche dangereusement du seuil électoral.

Il lui faut au plus vite reconnecter ses priorités historiques avec les préoccupations socio-économiques des citoyens. Cela n’implique en aucun cas pour Écolo de renier son ADN, mais plutôt de réapprendre à « communiquer avec son temps ».

Si, dans un premier temps, la plupart des figures de proue d’Écolo ont évoqué essentiellement des causes externes pour expliquer l’ampleur de la déconvenue, elles ont fini – suite à de fortes pressions internes et externes – par accepter l’idée qu’elles puissent en porter une part de responsabilité. Cette ouverture a permis l’émergence au sein d’Écolo d’une lecture critique « standard » de la défaite qui se résume essentiellement à pointer « l’absence de ligne claire », « l’excès de prudence » ou encore « la mauvaise communication » comme les principales causes de la défaite du 25 mai. Cette lecture transparaît notamment très clairement dans la note contributive des jeunes écologistes ainsi que dans le rapport Trans-Actions du quatuor chargé de l’état des lieux du parti qui ont été rédigées en juillet dernier. Assez paradoxalement, ces constats critiques présentent les mêmes écueils que ceux qu’ils entendent précisément dénoncer : forte retenue dans le discours et manque de clarté dans les réorientations stratégiques à adopter. Certes, un processus de refondation du parti – qui devra déboucher sur l’élection d’une nouvelle équipe de co-présidents en mars 2015 – a été lancé. Néanmoins, le risque demeure que le statu quo soit préservé moyennant quelques changements à la marge. Un tel cas de figure serait d’autant plus déplorable que l’effondrement de l’électorat d’Écolo semble bien être de nature structurelle. Autrement dit, à défaut d’une profonde inflexion de sa stratégie et de sa ligne politique, Écolo pourrait poursuivre la dégringolade qu’il enregistre depuis 2010. Quelles sont les raisons de cette crise structurelle ? La désaffection progressive des électeurs à l’égard d’Écolo découle principalement de sa difficulté à prendre en compte le facteur culturel dans son action politique. Tête pensante de la transition, Écolo reste encore fort détaché, culturellement parlant, du corps social. Certes, le projet écologiste est par essence en déphasage avec les aspirations portées par la majorité des composantes de la société, dans la mesure où il vise une transformation radicale des modes de production et des mentalités. Néanmoins, plutôt que de dissiper ce malentendu culturel, Écolo l’a aggravé ces dernières années. Deux facteurs – qui trouvent leur origine dans les choix stratégiques opérés suite à la défaite de 2003 – y ont fortement contribué.

Impasse gestionnaire

Le premier concerne l’approche excessivement gestionnaire adoptée par Écolo suite à ses participations successives dans les exécutifs. Traumatisé par l’épisode « Francorchamps » qui lui a accolé l’image d’un parti irresponsable et fossoyeur de l’économie, Écolo s’est évertué depuis 2003 à renforcer sa crédibilité en montrant sa capacité à apporter des solutions concrètes aux grands problèmes contemporains. Dans sa quête de légitimation de son projet politique, Écolo a cru bon néanmoins de troquer son image de parti utopiste contre celle d’un parti gestionnaire. Plutôt que de chercher le point d’équilibre entre utopie et réalisme, Écolo a clairement opté pour le second ces dernières années. Ce biais gestionnaire a eu pour effet de rendre Écolo particulièrement réfractaire aux confrontations idéologiques, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de ses structures. Vis-à-vis de l’extérieur, les figures de proue écologistes se sont montrées très réticentes ces dernières années à l’idée de s’impliquer dans des débats publics « clivants », qui jouent pourtant un rôle majeur dans la structuration de l’identité d’un parti politique. Outre le positionnement schizophrène affiché par Écolo par rapport au Traité budgétaire européen, celui adopté en matière de politique fiscale durant les élections 2014 est tout aussi éclairant à ce sujet. Alors que les trois partis traditionnels ont martelé leur électorat à coup de slogans chocs (impôt sur la fortune pour le PS et impôt à taux zéro pour le MR et le CDH), Écolo s’est manifesté péniblement en fin de parcours à l’aide d’une proposition inintelligible pour le grand public, mais « techniquement » irréprochable : la « globalisation des revenus ». L’exemple de l’enjeu fiscal démontre également que, même lorsqu’Écolo est poussé à se positionner sur une question à forte teneur idéologique, la tentation est toujours forte de s’en distancer en adoptant une posture « techniciste ». Celle-ci apparaît d’ailleurs aussi très clairement dans la communication du parti en matière de politique énergétique où le message politique est systématiquement noyé dans une avalanche « kilowattrique » de termes et acronymes obscurs .À titre d’exemples, les deux communiqués suivants sont des petits bijoux de ferveur techniciste (attention, âmes sensibles s’abstenir) : 12 mars 2013, « Pour le développement d’un éolien, pour les Wallons, avec les Wallons »; 17 janvier 2014, « Adoption définitive de la Tarification progressive, solidaire et familiale », .http://www.ecolo.be. Derrière cette stratégie d’évitement de la confrontation idéologique, se cache la croyance très ancrée actuellement au sein d’Écolo qu’il suffit d’apparaître comme de bons « techniciens » de la transition, dépositaires d’un bon bilan comptable, pour obtenir les faveurs de l’électeur. Ce credo est apparu très clairement lors du dernier meeting de campagne du 11 mai 2014 à « Tour et Taxis », où les ministres Écolo d’alors ont axé l’essentiel de leurs interventions sur les réalisations de la législature : tarification progressive de l’électricité, création de places dans les écoles, crèches, logements publics, Alliances Emploi-Environnement, réforme du Code wallon de l’aménagement du territoire, etc. Faut-il croire que les ténors du parti n’ont pas appliqué leur propre adage selon lequel « On ne gagne pas une élection sur un bilan » ? Le paradoxe, c’est qu’Écolo a perdu les élections 2014 en axant sa communication sur un bilan que les électeurs percevaient pourtant (la faute au « photovoltaïque ») comme largement négatif. Terminons enfin par souligner que l’allergie d’Écolo pour la confrontation idéologique s’est aussi manifestée au travers de son propre fonctionnement interne. À aucun moment, par exemple, le Conseil de fédération (parlement interne du parti) ne s’est vu accordé la possibilité de statuer sur l’opportunité d’un rejet du traité budgétaire européen (TSCG). De même, celui-ci n’a encore jamais eu l’occasion de clarifier la position du parti par rapport à la question de la prostitution (opposant « abolitionnistes » et « réglementaristes »). Parallèlement à cela, une certaine forme d’homogénéisation du profil politique des mandataires du parti s’est progressivement mise en place. Elle a été facilitée par l’abandon du poll en assemblée générale Le poll consiste en une élection directe par les membres présents en assemblée générale. Les comités de liste, composés d’une petite dizaine de personnes, font une proposition de composition de liste à une assemblée générale. La méthode du poll n’est plus utilisée que pour la sélection des têtes de liste pour les élections européennes. Les procédures pour l’un comme pour l’autre sont précisées dans les statuts d’Écolo (qui permettait le débat d’idées entre candidats), au profit de la méthode des comités de liste.

Repli identitaire

Le choix stratégique opéré par Écolo après la défaite de 2003 de recentrer sa communication sur les enjeux environnementaux B. Lechat, « Ecolo, la marche verte : introduction à une histoire des idées écologistes en Wallonie et à Bruxelles (1968-2008) », Etopia, décembre 2008 constitue le deuxième facteur ayant contribué à creuser le fossé culturel entre Écolo et le citoyen. Le postulat de départ qui guide cette décision est que le meilleur moyen pour les écologistes de puiser dans leur réservoir de votes est de rester davantage « eux-mêmes » en s’appuyant sur leurs atouts. Plusieurs enquêtes commandées ces dernières années par Écolo, dont on peut s’interroger sur la teneur des questions posées, ont accrédité cette thèse en affirmant que les électeurs votent de façon certaine ou potentiellement pour Écolo pour les questions liées à l’environnement (alimentation, santé, économie verte, mobilité, énergies, etc.). En choisissant cette voie, Écolo s’est en quelque sorte inscrit dans une dynamique de recentrage similaire à celle amorcée depuis une vingtaine d’années au sein des grands groupes industriels. Selon cette stratégie managériale, le meilleur moyen pour les sociétés d’obtenir une croissance durable et rentable est d’exploiter le plein potentiel de leur cœur de métier. Si cette stratégie du recentrage se révèle redoutablement payante dans le champ économique (surtout pour créer de la valeur actionnariale), sa transposition au champ politique génère des résultats très contrastés. Seuls les partis politiques qui représentent de larges groupes d’intérêt – tels que le PS et le MR en Belgique – sont en mesure de tirer profit d’une telle stratégie. Ce n’est par contre pas le cas pour des partis comme Écolo qui, en raison de l’étroitesse de leur socle électoral, ne peuvent viser une forte « croissance » en se centrant uniquement sur leur cœur de métier. Cette stratégie de recentrage d’Écolo est d’autant plus étonnante qu’elle semble ignorer les sondages d’opinion qui indiquent que les citoyens continuent à placer l’emploi, les pensions, ou le logement bien avant l’environnement au cœur de leurs thèmes de préoccupation. Certes, Écolo est loin de faire l’impasse sur ces grands thèmes de société, qui sont largement couverts par son programme. Mais dans sa communication, Écolo a une fâcheuse tendance à encastrer ces enjeux clés dans des concepts écologistes qui demeurent obscurs pour la majorité des citoyens. Les trois priorités de campagne présentées par les co-présidents du parti en janvier 2014 sont éclairantes à ce sujet : entre l’énergie, la jeunesse et la « relocalisation de l’économie et l’usage efficient des ressources », difficile pour l’électeur d’y retrouver a priori ses propres priorités politiques…

Transformation ou chaos

En raison du caractère précurseur de son projet politique, Écolo dispose d’une marge de progression électorale indéniable. Mais, pour que ce potentiel se matérialise dans le futur, Écolo doit combler d’urgence la fracture culturelle qui le sépare aujourd’hui du citoyen. Cela implique d’infléchir sensiblement sa stratégie politique à deux niveaux. Premièrement, il lui faut abandonner sa posture gestionnaire, en ancrant ses propositions programmatiques dans un récit politique. Écolo doit redevenir aux yeux des citoyens le principal mouvement de résistance face à l’orthodoxie néolibérale. Pour y arriver, Écolo doit immanquablement se doter de nouvelles figures politiques capables de s’accorder avec – et non pas simplement comprendre – l’indignation citoyenne. Celles-ci n’émergeront que si Écolo réapprend à valoriser le pluralisme d’opinions en son sein, en ouvrant le débat sur les questions clivantes (réduction collective du temps de travail, fiscalité, renouveau démocratique, enjeux interculturels, etc.) et en remettant à plat ses procédures de confection des listes électorales. Deuxièmement, Écolo doit abandonner sa stratégie de repli sur les questions environnementales. Il lui faut au plus vite reconnecter ses priorités historiques avec les préoccupations socio-économiques des citoyens. Cela n’implique en aucun cas pour Écolo de renier son ADN, mais plutôt de réapprendre à « communiquer avec son temps ». Nombre de citoyens tentent encore aujourd’hui de comprendre son slogan de campagne pour les élections de 2010 : « Nous restons ouverts pendant les transformations ». À lui seul, ce message politique symbolise le déphasage culturel qui affecte aujourd’hui Écolo. À défaut d’une réorientation radicale de sa stratégie politique, Écolo verra son électorat continuer à s’éroder progressivement. Replié sur son cœur de métier et paralysé par sa posture gestionnaire, Écolo pourrait se transformer définitivement en parti de niche, appelé occasionnellement à faire l’appoint auprès de coalitions socialiste ou libérale. Une stratégie de survie qui s’avérerait plus que probablement fatale à moyen terme, ce qui constituerait un comble pour un parti pourfendeur de l’obsolescence programmée.