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Économie et politique

Avec la crise de la dette, les Européens découvrent très tard à quel point l’argent de leurs impôts ne suffit pas, ne suffit plus à financer leur mode vie. On peut toujours augmenter ou diminuer les taxes, mieux dépenser l’argent public ou rendre plus efficace un certain nombre de services, mais au-delà, la triste nouvelle vient surtout de cette dette permanente qui permet aux États occidentaux de continuer à vivre correctement malgré le déclin de l’Europe vis-à-vis des autres continents. La nouvelle arrive tard parce qu’elle n’est pas agréable à entendre, et que peu d’élus souhaitent aborder un sujet pourtant très préoccupant. Hubert Védrine l’a signalé très tôt : « Les Indiens et les Chinois rêvent de consommer comme nous au moment où nous avons une peur bleue de devoir un jour travailler comme eux ». Que faire alors ? S’endetter ! Avec la crise de la dette, l’idée de chiffrer systématiquement les programmes politiques et les politiques publiques a fait son apparition. Les débats pré-électoraux sont réduits à des oppositions de modèles mathématiques dont la crédibilité apparaît plus importante que la substance des politiques proposées. L’homme politique qu’il faut soutenir est désormais le bon père de famille qui sait gérer les comptes sans endetter le ménage. Il aura la particularité de ne jamais rien proposer sans expliquer où il compte lever les moyens de son action. Tout cela est assez ancien aux États-Unis mais relativement nouveau en France et en Belgique francophone. L’élan emporte d’ailleurs tout sur son passage et les rédactions embraient à leur tour, multipliant des reportages qui explorent les moyens pour mettre en œuvre une politique publique, une réduction d’impôts ou la suppression/création d’une nouvelle taxe. Chiffrer la politique est désormais la première obligation de l’homme ou de la femme qui souhaite proposer une politique, et les journalistes l’ont bien compris. Il y a certes des gros avantages à procéder de la sorte ! En devant expliquer où il souhaite faire des dépenses et des économies, le futur mandataire peut difficilement cacher les catégories de la population qui seront bénéficiaires ou victimes de telle ou telle coupe budgétaire, et partant, il est plus facilement identifiable à droite, au centre ou à gauche du spectre politique. En étant forcé de chiffrer un programme politique, il est aussi beaucoup plus difficile de promettre la lune. En réduisant l’action politique à une démarche comptable rationnelle, il y a enfin moins de place pour les promesses, et partant moins de place pour la méthode Coué : « Si on y croit tous, on y arrivera ! ». Ce qui précède va de soi mais représente un risque considérable ! Car la politique, c’est avant tout une affaire de symboles, d’espoirs et de promesses, et en aucun cas une affaire de statistique ou de mathématique. Pour rassembler autour d’un projet collectif dans un cadre délibératif, la politique a besoin d’agir au-dessus de la comptabilité, elle doit indiquer le chemin qui rassemblera le plus grand nombre d’électeurs sans être en permanence discréditée par la difficulté de budgétiser ses ambitions. Pour faire rêver et provoquer un nouvel élan, la politique doit être légèrement irrationnelle, ce qui lui permet d’initier un nouveau cap qui souvent permet a posteriori de trouver les moyens de son action. Si la responsabilité comptable précède tout, comme cela semble être désormais la tendance, on assiste à un désenchantement du politique qui ne peut mener qu’au discrédit et au final à l’inutilité de la politique.