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Électriciens, preneurs d’otage

L’arrêt de Doel 3 et Tihange 2 pour cause de microfissures dans les cuves a été suivi de celui de Doel 4, victime d’une erreur humaine (ou d’un acte de sabotage ?). Les deux premiers réacteurs pourraient ne jamais redémarrer, le troisième ne sera pas relancé avant le printemps 2015. Électrabel en profite pour agiter le spectre d’un black-out électrique. Une campagne est orchestrée qui vise tout à la fois à justifier le nucléaire, à imposer les choix patronaux en matière de politique énergétique et à créer dans l’opinion un climat de résignation face aux futures hausses de prix. En octobre dernier, les porte-parole d’une série de grandes entreprises énergétiques européennes (dont GDF-Suez) organisaient à Bruxelles une conférence de presse pour exiger de la Commission la fin des subsides aux renouvelables et « un changement radical de la politique énergétique de l’UE ». Oui au charbon et au gaz de schiste – pour produire de l’électricité sans danger pour la compétitivité – et oui au nucléaire – pour réduire les émissions de CO2 sans danger pour la sécurité d’approvisionnement : tels étaient en substance les messages patronaux… Les menaces de black-out entrent dans ce cadre. Électrabel et ses maîtres français savent le nucléaire menacé. L’opinion publique craint un nouveau Fukushima. La découverte des microfissures dans les cuves des réacteurs fait peur et compromet le projet patronal de prolongation de la vie des centrales. Or celles-ci, parce qu’elles sont amorties, rapportent des surprofits importants. Le 31 juillet dernier, le quotidien français Les Échos faisait savoir que l’arrêt de Doel 3 et Tihange 2 ampute le résultat net de GDF-Suez de 40 millions d’euros chaque mois… Apparaître comme assoiffé de profit au point de mettre la vie et la santé de millions de gens en danger n’est guère populaire. C’est pourquoi Électrabel détourne l’attention vers la menace d’une pénurie. Tout le pays est ainsi pris en otage, mais les médias se gardent bien de présenter les choses sous cet angle : il est plus facile de dénoncer les grévistes du TEC ou de la SNCB, n’est-ce pas ? Quant au politique, il s’incline toujours plus bas devant les électriciens : les formateurs Michel et Peeters proposent carrément de prolonger Doel 4 et Tihange 3, voire même d’accorder dix années de plus à Tihange 1… au nom de la sécurité d’approvisionnement. Cette sécurité d’approvisionnement peut, à terme, être beaucoup mieux assurée en planifiant la transition vers un système énergétique 100% renouvelable. Un système économe, décentralisé, riche en emploi, géré par les pouvoirs locaux avec la participation des citoyen-ne-s. Dans l’immédiat, il s’agit d’imposer la remise en route des centrales au gaz – que les producteurs ont fermées ces dernières années pour des raisons de profit – et de prendre une série de mesures pour réduire la consommation dans la justice sociale. Tout cela est possible, mais à une condition : que l’énergie soit retirée des mains du privé.