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En finir avec le paradoxe (uniquement en ligne)

Écolo peine à convertir en succès électoral l’écho public sans précédent dont jouissent ses grilles de lectures et enjeux fondamentaux. Tel est le paradoxe e a exploré pour l’avenir.

Nourris de rapports aux conclusions convergentes et alarmantes, nous sommes toujours plus nombreux à être sensibilisés à l’urgence climatique. Entre Tchernobyl, Fukushima et le pic pétrolier, nous sommes plus qu’avant préoccupés par les enjeux énergétiques. Dans la foulée des scandales politiques des années nonante et deux-mille, nous sommes davantage attentifs à la transparence et à l’éthique en politique.

Le défaut est congénital aux partis écologistes dont l’approche systémique des enjeux sociétaux rend inévitablement le projet plus complexe à définir. Or, la formulation de propositions complexes s’accommode mal de séquences politiques dont la rapidité et la brièveté se rapprochent de manière croissante des 140 caractères d’un tweet.

Ce ne sont là que quelques exemples récents qui témoignent du premier (et sans doute du plus difficile) combat remporté par l’écologie politique. Si cette dernière s’est pleinement saisie des traditionnelles questions socio-économiques, elle a surtout réussi à ce que les enjeux « verts » gagnent les esprits. En témoigne, notamment, la place acquise par les préoccupations environnementales ou de gouvernance parmi les priorités (au moins rhétoriques) de tous les partis politiques ; y compris ceux dont les fondements intellectuels sont ouvertement productivistes. En témoigne aussi la place occupée par les enjeux énergétiques, de mobilité ou d’aménagement du territoire lors des récentes législatures et campagnes électorales. Ces évolutions ne doivent toutefois pas faire perdre toute mesure. Trop souvent encore, dans le débat politique, les questions portées sur la place publique par les écologistes (qui ne se résument évidemment pas à l’environnement) ne trouvent pas un écho semblable à celui acquis par les problématiques économiques ou sociales plus traditionnelles. Qui plus est, la pertinence et l’urgence des enjeux portés par les écologistes déterminent souvent moins le choix d’un électeur que les enjeux ancrés dans le débat public de plus longue date. Néanmoins, ceci n’empêche pas que notre époque témoigne d’une sensibilité publique accrue aux enjeux portés par les écologistes. À l’aune de ces évolutions, les résultats du 25 mai dernier laissent entrevoir un paradoxe. Écolo peine à convertir en succès électoral l’écho public sans précédent dont jouissent ses grilles de lectures et enjeux fondamentaux. Le dernier scrutin a démontré que si le parti et son projet ont conquis les esprits, ils ont échoué à gagner les cœurs des électeurs. Ce paradoxe sera inévitablement exploré lors du processus de refondation initié par Écolo. Au départ de mon expérience militante, je livre ici trois balises qui contribueraient, à surmonter ce paradoxe.

L’innovation et la radicalité comme boussoles

Écolo a voulu reproduire en 2014 sa victoire de 2009, sans toujours prendre la mesure des circonstances exceptionnelles (affaires du PS, poids des enjeux écologiques dans la campagne, effet Javaux, etc.) qui l’ont conduit à attirer des électeurs issus des quatre coins du spectre politique francophone. Ce souci de conserver un maximum d’électeurs a dicté certains compromis ou choix programmatiques pour le moins sinueux. Pensons à la cacophonie entre les choix fédéral et régionaux à propos du traité budgétaire européen. Ou encore à des parties de programme ou communiqués (en matière de mobilité, notamment) truffés d’adverbes qui les ont en bonne partie embrumés. Le 25 mai 2014, ces choix tortueux ont été sanctionnés d’une double peine. D’une part, ils n’ont pas permis d’éviter le départ d’électeurs volatils, venus à Écolo en 2009 et inévitablement perdus à mesure que les circonstances du présent (affrontement gauche/droite sur l’austérité, menace du nationalisme flamand, etc.) s’éloignaient de celles de l’époque. D’autre part, ils ont éloigné du parti une série d’électeurs ou groupes d’électeurs historiques (pensons aux jeunes), dans un contexte francophone marqué par l’émergence de forces politiques qui n’ont pas hésité à surexploiter les zones d’ombres et incertitudes affichées par Écolo. Le processus interne qui se déploiera dans les mois à venir redéfinira certainement les grandes lignes du projet politique du parti. Gageons qu’il s’oriente davantage vers ce qui a historiquement fait l’originalité d’Écolo dans le paysage politique francophone : l’innovation et la radicalité. Le processus pourrait réfléchir à la façon dont le parti peut mettre à l’agenda politique des enjeux (la société du numérique, par exemple) et solutions (notamment en matières énergétiques ou de protection sociale, dans une perspective non-productiviste) qui restent à la marge ou largement ignorées du débat public. Il pourrait aussi déterminer comment refléter, dans le programme et l’action quotidienne du parti (en lien étroit avec la société civile), la clarté et la radicalité du projet de société formulé par le manifeste récemment adopté. Ceci afin d’éviter que perdurent ou se reproduisent certaines ambiguïtés et compromis malheureux qui brouillent le rapport d’Écolo au capitalisme, au productivisme ou encore au pacifisme.

Un message précis, percutant et accessible

L’innovation et la radicalité du parti auront un écho d’autant plus important que son message sera clair. Certains (disent qu’ils) s’érigent en protecteurs des plus vulnérables, d’autres se revendiquent comme le meilleur soutien à entrepreneuriat. À qui s’adresse Écolo et que leur dit-il ? Les projets des partis politiques francophones ont tous leur part de complexité. Cependant, à en croire leurs résultats électoraux, certains partis parviennent à élaborer des slogans et formules qui marquent et convainquent davantage le citoyen. Tandis qu’à l’heure actuelle, trop d’électeurs (voire de militants) peinent à caractériser clairement et précisément le message et le projet politique d’Écolo. Le défaut est congénital aux partis écologistes dont l’approche systémique des enjeux sociétaux rend inévitablement le projet plus complexe à définir. Or, la formulation de propositions complexes s’accommode mal de séquences politiques dont la rapidité et la brièveté se rapprochent de manière croissante des 140 caractères d’un tweet. Qu’on déplore ou non cette évolution du débat public, Écolo gagnerait à trouver le juste équilibre entre un projet qui se laisse plus difficilement réduire à des slogans et les impondérables de la communication politique actuelle. Ainsi, dans son processus de reconstruction, Écolo pourrait réfléchir à la manière de traduire les nombreux diagnostics et solutions qu’il formule en un message politique précis, percutant et accessible. Un message qui fait le lien entre le projet du parti et une série d’aspirations qui lui font écho et sont formulées par des groupes de citoyens qui dépassent largement le cercle des premiers convaincus. Cette réflexion sur le message permettrait aussi de répondre à un enjeu fondamental : singulariser le parti, dans un contexte de bousculade des gauches dans l’opposition francophone.

Des actes univoques

Enfin, Écolo (re-)convaincra certainement davantage en renouant avec une exigence de conformité entre ses actes et ses principes. À ce titre, espérons que le processus initié dans la foulée de la défaite électorale corrige certains hiatus entre déclarations et actions (notamment la multiplication des mandats). Qu’il aboutisse à des décisions qui empêchent que la dérogation devienne la règle. Certes, faire de la politique nécessite de composer avec des partenaires sans doute habitués à plus de souplesse (oserions-nous : de complaisance ?). Certes, ne pas accepter le compromis sur certains principes jugés fondamentaux peut fermer des portes à un parti moins accommodant que d’autres partenaires potentiels. Toutefois, l’absence d’équivoque entre la parole et les actes conforte des électeurs et militants exigeants quant à la crédibilité et la fiabilité d’Écolo. L’absence d’équivoque attire aussi de nouvelles forces, progressivement déçues des renoncements et écarts à répétition des autres formations politiques. Bref, ne pas déroger à certains principes peut fermer des portes, mais permet de conserver la confiance des convaincus et de convaincre un public plus large. Face à une porte fermée, le poids des électeurs et militants conservés ou acquis peut toujours permettre de forcer la fenêtre d’un édifice politique, d’abord et avant tout, bâti sur les rapports de force électoraux.