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Errements du marché et débats occultés

Le coût de l’énergie ne cesse de croître et devient un souci pour le développement de notre économie, une source d’inquiétude grandissante pour les petits et moyens revenus. Les messages adressés récemment aux décideurs politiques par les organisations syndicales comme par le mouvement associatif et les CPAS sont éclairants à ce propos ; les débats récents à la Chambre autour d’une proposition de loi socialiste élargissant l’action du «Fonds mazout» aussi : l’inégalité en matière d’accès à l’énergie est profonde. L’absence de choix clairs et pertinents, à moyen et long termes, sur le plan énergétique est tout aussi préoccupante au lendemain de la conférence de Bali sur le climat. Le sort de la loi de sortie du nucléaire — plus exactement son contournement comme le soulignent les écologistes — a été un point de consensus (!) du processus de formation du nouveau gouvernement fédéral, et rien ne donne à penser que la Belgique soit en passe de se doter d’une réelle politique durable en matière d’énergie. L’impression qui domine est celle d’un dossier soustrait au débat démocratique, réglé sous la pression de certains lobbys, sans prise en considération des défis qui sont à notre porte. Les mérites tant vantés de la libéralisation du marché de l’énergie se font toujours attendre, et les mécanismes de régulation mis en place paraissent soit insuffisants, soit vidés de leur substance, comme le soulignait déjà un observateur il y a plus d’un an dans nos colonnes. Certains acteurs économiques deviennent dès lors, de facto, les vrais décideurs de la politique énergétique de notre pays. L’intérêt général est mis en péril par leur soif de bénéfices, les défavorisés s’enlisent dans le surendettement.

La construction d’un autre rapport de forces est réalisable, qu’on l’appelle «union nationale pour le climat» ou «alliance pour l’emploi et l’environnement».

Il paraît donc essentiel d’ouvrir largement un débat politique en profondeur sur notre modèle de société et la manière dont il doit évoluer pour maîtriser tant la demande que l’offre d’énergie de manière durable. Choisir effectivement «un autre XXIe siècle» suppose d’anticiper et de maîtriser les changements économiques, techniques, culturels, nécessaires pour préserver l’avenir et combattre les inégalités, tant dans nos pays du Nord que dans ceux du Sud. Sur ce dernier plan, on peut aussi espérer que la Belgique joue un rôle positif lors de sa présidence européenne en 2010 comme elle le fit pour Kyoto. Les tenants du modèle actuel ont une puissance non négligeable, mais, et c’est une découverte réjouissante du présent dossier, les partisans d’un changement de cap énergétique manifestent une convergence intéressante sur ses objectifs et ses moyens. La construction d’un autre rapport de forces est donc réalisable, qu’on l’appelle «union nationale pour le climat» ou «alliance pour l’emploi et l’environnement». Les possibilités d’action sont vastes (utilisation rationnelle de l’énergie, adaptations des logements, production d’énergies renouvelables…), les moyens potentiellement disponibles — notamment sur le plan financier (par la création ou l’élargissement de fonds structurels, ou encore via une fiscalité adéquate) — sont importants, bien plus que ce que le discours dominant ne le laisse entrevoir.

Conduite

En ouverture, Edwin Zaccaï pose les balises du débat sur le couple énergie-égalité ; avec le penseur allemand Wolgang Sachs, il rappelle opportunément que «la durabilité implique de bâtir un mode de vie permettant la justice». Prenant ensuite en considération les différentes contraintes — physiques, économiques, environnementales, culturelles et géopolitiques –, José Daras invite à construire un nouveau projet énergétique pour notre pays et pour la planète. Appelant comme lui de leurs voeux la constitution d’un rassemblement pour le développement durable, Anne Panneels et Jean Sloover soulignent le potentiel important qui existe pour maîtriser la demande d’énergie, et proposent d’utiliser à cet effet les «bénéfices échoués» résultant de l’amortissement des centrales nucléaires. Certains groupements économiques sont ainsi invités à contribuer, et certainement le groupe Suez, dont l’influence sur le débat énergétique en Belgique est apparue en filigrane dans ces différentes contributions. Son évolution récente est décortiquée par Anne Vincent. Viennent ensuite trois contributions éclairantes sur les choix à opérer en matière de production d’énergie : au-delà du retour au nucléaire démystifié par Mikael Angé, l’apport de l’énergie éolienne — en ce y compris au redéploiement industriel et donc à la relance de l’économie — est décrit par Isabelle Valentiny, tandis que Michel Huart développe des lignes de force pour l’ensemble des énergies renouvelables (25% en 2020 ?). Après une analyse de la situation avant et après la libéralisation du marché de l’énergie, Claude Adriaenssens propose l’instauration d’une tarification solidaire et progressive de l’énergie. Rejoint en cela par le collectif Le Ressort, qui plaide pour un rôle accru du secteur public comme fournisseur (intermédiaire ou non) et comme producteur d’énergie. En étudiant de près la manière dont les différents groupes sociaux adaptent leurs comportements de consommation, Grégoire Wallenborn montre combien la lutte contre les inégalités doit prendre en compte les diverses «cultures de l’énergie». Philippe Defeyt décrit avec précision la situation des ménages précaires en matière d’accès à l’énergie et les remèdes envisageables, en ce compris une action sur les causes de leur insécurité énergétique. Yvan Mayeur insiste sur la nécessité de développer cette action structurelle et transversale si l’on veut réellement opérer une évolution vers plus d’égalité. Le dossier se conclut avec des pratiques de terrain : Evelyne Jadoul expose la stratégie intersyndicale en matière d’énergie dans les entreprises, tandis que Inês Mendes explique la démarche coopérative «Power4you» initiée ensemble par des acteurs associatifs, syndicaux, mutuellistes, pour faire baisser le prix de l’énergie et soutenir l’électricité «verte». Ce dossier a été coordonné par Jean-Paul Gailly