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Etudes de médecine : la sélection, remède miracle ?

Bête noire des ministres de l’enseignement supérieur, Némésis du mouvement étudiant et épouvantail sacré des recteurs et doyens, le numerus clausus imposé aux aspirants médecins était devenu au fil du temps le plus solide des marronniers de l’actualité universitaire. Initialement motivé par des préoccupations corporatistes et libérales liées à la gestion du système de santé, le contingentement fédéral de l’accès à la médecine a toutefois joué un rôle important dans les débats agitant le milieu académique. Peu de sujets auront fait couler tant d’encre, de salive, de manifestants et d’honoraires d’avocats ces dernières années. Et pour cause : le cas des étudiants de médecine cristallise à lui seul la plupart des enjeux dans le secteur.

Un garrot adéquationniste

Résumons : en 1996 est votée une loi autorisant à limiter le nombre de médecins agréés chaque année afin d’éviter une situation de pléthore. Cette décision créé une tension dans les facultés de médecine, fréquentées par une grande majorité d’étudiants se destinant à une pratique curative remboursée par la sécurité sociale nécessitant donc un agrément public (appelé numéro INAMI). Pour éviter que le nombre de diplômés n’excède les quotas fédéraux, les Communautés décident de limiter l’accès aux études médicales. En 1997, la Flandre instaure un examen d’entrée, toujours en vigueur. En Communauté française, un filtre fut d’abord placé au terme de la troisième année d’études de médecine (1996 – 2003), puis de la première année (2005 – 2008). Rien n’obligeait le législateur communautaire à créer ces barrages : l’accès aux études de kinésithérapie est ainsi demeuré libre côté francophone, alors que cette pratique est également soumise à un contingentement fédéral. A l’époque, la sélection reposait sur un postulat adéquationniste : le système éducatif n’a pas à produire un nombre de diplômés excédant la demande. Tout d’abord, parce qu’il serait cruel de laisser des étudiants s’engager dans de longues études sans pouvoir leur garantir l’avenir professionnel espéré. Ensuite, parce que nos universités disposent de peu de moyens, et que ceux-ci doivent être prioritairement consacrés à la formation des étudiants « utiles ». En dépit de leur bon sens apparent, ces arguments n’ont pas longtemps résisté aux faits. Les sagas de « reçus-collés » ont montré que les systèmes de sélection n’ont rien de moins cruel que le risque de chômage en fin de parcours. Par ailleurs, ce risque avait été très mal évalué : la Belgique manque aujourd’hui de médecins et doit faire appel à des praticiens étrangers pour combler les carences occasionnées par ses politiques restrictives. Le recours à la sélection pour rapprocher l’offre et la demande de diplômés a donc fait long feu. En 2010, confrontée pour la première fois à une surproduction de kinésithérapeutes, la Communauté française s’est gardée de retomber dans l’écueil du numerus clausus communautaire. Après quelques mois de pression, en juillet 2013, le Gouvernement fédéral reconnaissait le bien-fondé de cette position et supprimait le contingentement de cette profession également en pénurie.

Un dépistage précoce de l’échec

Cette évolution du contexte, tout comme plusieurs procédures de recours, ont eu raison du numerus clausus communautaire En revanche, l’adéquationnisme ne semble pas encore passé de mode, alors que cet épisode en a prouvé la faiblesse principale : la « valeur » d’un diplôme sur le marché de l’emploi peut varier fortement en l’espace de quelques années. Mais le serpent de mer de la sélection ne tarda pas à resurgir face à l’afflux d’étudiants généré par la suppression de tout filtre académique dans les études médicales. Dès novembre 2009, le doyen de la faculté de médecine de l’Université de Liège annonce que « la majorité des nouveaux inscrits commenceront par être confrontés à l’échec » et dénonce « un gâchis » R. Guttierez, Un test d’aptitude pour les étudiants en médecine ?, Le Soir, 18 novembre 2009. Il propose la mise en place d’un test indicatif à l’entrée, permettant à l’étudiant d’évaluer sa capacité à suivre les études de médecine. Cette idée sera reprise par le ministre de l’enseignement supérieur dans le cadre d’une réforme générale de cette formation Réforme qui, en outre, permet aux jurys de contraindre les étudiants en situation « d’échec grave » à suivre des séances de remédiation ou à étaler leur première année, s’ils ne préfèrent pas se réorienter vers une autre formation. La sélection en médecine, auparavant outil de mise en adéquation avec les quotas fédéraux, se présente désormais comme instrument de lutte contre l’échec. Certes, pour l’heure, le test d’entrée n’est pas contraignant : un échec n’empêche pas à l’étudiant de s’inscrire. Mais son présupposé est clair : les faibles taux de réussite en première année de médecine s’expliquent par l’inadaptation d’une large part des étudiants aux exigences de cette formation. En d’autres termes, la médecine, ce n’est pas pour tout le monde, et il est nécessaire que les postulants intègrent cette idée avant de s’engager dans ce parcours. L’épreuve est présentée comme un moyen de prévenir cet échec, en évaluant les connaissances du candidat en sciences dures, principalement. Cette évaluation préalable a fourni ses premiers résultats : environ 3000 étudiants se sont inscrits à l’une des deux sessions organisées. Plus de dix pourcents d’entre eux ne se sont finalement pas présentés, et environ 80% de ceux qui se sont soumis à l’épreuve ont obtenu une note inférieure à 10/20. Tous ont pourtant satisfait aux exigences du certificat de l’enseignement secondaire supérieur (CESS) – exigences qui constituent le seul prérequis que l’on puisse attendre d’un étudiant en première année du supérieur.

Traiter le symptôme en aggravant la maladie

Ce résultat pourrait inspirer un satisfecit aux défenseurs de la sélection : le test prouve qu’une majorité d’étudiants ne sont pas préparés aux études supérieures, devraient passer préalablement par des formations préparatoires et des heures de remédiation, voire s’orienter vers l’enseignement non-universitaire. A contrario, on peut considérer qu’il exprime surtout les maux respectifs du secondaire, où se perpétuent de profondes inégalités, et du supérieur, où de nombreux haut responsables restent prisonniers d’une vision plutôt restreinte de l’accès démocratique au savoir « Qu’il y ait plus d’enfants de médecins en médecine, d’enfants de juristes en droit et d’enfants de journalistes dans la presse, cela s’appelle l’hérédité des caractères acquis » déclarait ainsi le doyen liégeois précité au journal Le Soir, le 13 juillet 2011, sans que l’on ne sache trop s’il s’agissait de fatalisme ou de darwinisme social. Cependant, si la mise en œuvre de cet outil soi-disant diagnostique s’est accompagnée de mesures visant à soigner les carences des étudiants, il n’a apporté aucune piste de solution au problème structurel touchant notre système éducatif. Au contraire, il a réduit le cursus de base en médecine de sept à six années, sous couvert d’harmonisation européenne. Cette réduction s’est opérée en bonne partie au détriment du modeste sas d’acclimatation que constituent les cours généralistes au programme de la première année. A l’heure où l’on évoque une possible généralisation de ce test à l’ensemble des formations universitaires, le doute plane donc sur les intentions réelles des auteurs de cette réforme. S’agit-il de favoriser la réussite du plus grand nombre d’étudiants ou plutôt d’esquiver les défis qu’implique la nécessaire démocratisation de l’enseignement supérieur, faute d’avoir les moyens d’assumer pleinement cet objectif ? C’est le débat qui attend les acteurs politiques et académiques pour les prochaines années.