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Europe : le naufrage (présentation)

Il y a dix ans, le dernier numéro que Politique consacrait aux questions européennes s’intitulait : « Europe, l’espérance immobile ». Une décennie plus tard, force est de constater que l’espérance s’est muée – au mieux – en dépit et que l’immobilisme a laissé la place à la marche forcée de l’austérité et des plans d’ajustement.

Une décennie plus tard, force est de constater que l’espérance s’est muée – au mieux – en dépit et que l’immobilisme a laissé la place à la marche forcée de l’austérité et des plans d’ajustement.

À la veille d’élections européennes dont on sait déjà que l’importance sera éclipsée par les débats régionaux et fédéraux, il nous paraissait essentiel de revenir sur quelques uns de ses enjeux, fidèlement à la devise de la revue, qui fait des questions touchant à l’UE des sujets de politique intérieure plutôt que d’Affaires étrangères. Dans une vision à la fois rétrospective et prospective, Paul Goossens évoque quelques uns des grands échecs de la social-démocratie sur le plan européen, ainsi que les maigres espoirs que peut laisser entrevoir un retour relatif de la gauche au sein du prochain Parlement et de la prochaine Commission. Éric Ravenne rappelle quelques-unes des victoires les plus éclatantes du Parlement européen. Si ces victoires sont souvent plus que symboliques, elles auront été éclipsées par l’activisme « austéritaire » de la Commission et l’orientation de plus en plus intergouvernementale des prises de décision. En même temps qu’il voit s’élargir son champ de compétences et d’interventions, le Parlement européen assiste, impuissant souvent, complice parfois, à l’émergence de la Troïka et à l’imposition d’une austérité aussi brutale qu’inefficace. Cet activisme austéritaire, aucun pays n’est mieux placé que la Grèce pour en ressentir les effets les plus néfastes. L’économiste grec Petros Linardos en illustre diverses conséquences dramatiques pour son pays. Faute d’une véritable solidarité européenne, la situation aujourd’hui exceptionnelle de la Grèce pourrait bien devenir notre avenir commun. L’enlisement de l’OMC n’est pas synonyme de fin du processus de mondialisation du commerce : une logique bi- ou plurilatérale a succédé à celle, multilatérale de l’OMC. L’Union européenne y joue une part aussi active que prédatrice, comme le démontre Inès Trépant. En l’occurrence, ces affaires européennes-là sont encore un peu plus intérieures que les autres puisque c’est sous l’égide du Commissaire belge Karel De Gucht qu’ont été menées ces politiques attentatoires à la souveraineté des pays les plus pauvres. Gérassimos Moschonas montre en quoi les échecs de la socialdémocratie sont quasiment intrinsèques à la forme même de l’Union européenne, à la difficulté d’y transcender conceptions et intérêts nationaux, y compris au sein même de la famille socialdémocrate. Ce n’est donc pas tant le manque de courage ou d’imagination qui est en cause, que les blocages induits par la complexité de l’architecture institutionnelle. Enfin, Edgar Szoc s’attache à démontrer l’intérêt d’une proposition qui, pour utopique qu’elle puisse apparaître, n’en est pas moins discutée dans des cénacles inattendus : celle d’allocations de chômage au niveau de la zone euro, capables de créer une véritable solidarité interpersonnelle entre travailleurs, en même temps que de répondre à la fragilité systémique d’une union monétaire dénuée de solidarité budgétaire. Si l’immobilité de l’espérance pouvait avoir quelque chose d’exaspérant, le dynamisme nuisible de la situation actuelle offre-t-il au moins quelques prises à l’action : s’il est un constat sur lequel chacun s’accorde, c’est que l’UE, et la zone euro en particulier, sont moins stabilisées que jamais. Les évolutions qu’elles ne manqueront pas de connaître dans les années à venir constituent autant d’occasions de mobilisations. Ce Thème a été coordonné par Edgar Szoc et Éric Walravens.