Retour aux articles →

Haider, connais pas

Et l’Autriche, au fait? Vous entendez encore parler de l’Autriche? S’il faut en croire le silence des médias, des intellectuels et des dirigeants européens, tout doit s’être arrangé là-bas, tout est sans doute pour le mieux dans la meilleure Europe. Ca va même si bien que l’OVP, le parti conservateur autrichien qui gouverne avec le parti de Jorg Haider, vient d’être réintégré dans le PPE qui regroupe les partis de la droite modérée européenne. Ni vu ni connu. La quarantaine a assez durée. On a dû rêver en janvier dernier, on s’est fait très peur pour rien. Ou alors, c’était juste un coup de gueule, là, comme ça, pour dire qu’on est des démocrates, nous, qu’on n’est pas du genre à frayer avec des fascistes. Du moins, pas tout de suite, pas sous l’oeil des caméras. Devant les caméras, on jure ses grands dieux, on appelle au boycott, on quitte la salle de conférence quand la ministre autrichienne prend la parole. Après, bon, une fois que les médias sont occupés ailleurs, on ne va tout de même pas passer sa vie à prendre des poses, on s’ankylose à la longue. Au fond, avec le recul, une évidence s’impose: même dans un cas pareil, dans une affaire de compromission grave avec l’extrême-droite, c’est la communication politique qui l’emporte, c’est la formule qui compte, tout est dans l’effet de manche et de mode. On s’est rué sur le gadget Haider, il n’y en avait plus que pour lui, on en a vite épuisé tous les charmes pervers et on l’a jeté après usage. Il reste à espérer qu’il n’avait vraiment que cette éphémère valeur d’usage. Et si ce n’est pas le cas, à espérer que l’Europe réagira autrement à son réavènement. L’Europe? Justement. Comment ne pas comparer le tintamarre autour de la formation du gouvernement autrichien et le bruit discret produit par le projet de fédération européenne de Joschka Fischer? Il y a là pourtant une réponse autrement plus forte et plus vaste au problème autrichien, qui n’est jamais que le symptôme d’un malaise traversant tout le continent et qui procède en bonne partie d’une certaine vacuité politique. Le ministre allemand des Affaires étrangères propose une fédération des 15, dotée d’une Constitution, d’un président élu au suffrage universel, d’un gouvernement et d’un parlement (chambre des députés et sénat des nations). Le projet, qualifié aussitôt d’utopie, rompt avec la méthode des pères fondateurs de l’Europe et de leurs continuateurs (jusqu’à Kohl et Mitterand) : il ne s’agit plus, de CECA en marché unique et de serpent monétaire en euro, de pratiquer la politique du fait accompli, mais de mettre enfin les citoyens européens devant leurs responsabilités, de leur laisser le choix de l’avenir. Faire se joindre l’Europe d’en haut et l’Europe d’en bas. Le plus passionnant dans cette initiative est sans doute qu’elle vient d’Allemagne, ce pays qui a déjà renoncé au mark pour l’euro, monnaie trop fictive encore, trop peu « citoyenne », livrée aux caprices des marchés par absence, précisément, de volonté et d’unité politiques. L’Allemagne qui traîne toujours le boulet du nazisme, qui vient de renoncer au droit du sang pour définir l’appartenance nationale, qui est ouverte équitablement à l’est et à l’ouest. L’Allemagne qui se retrouve seule, pour la première fois, à l’avant-garde de l’Europe démocratique. C’est une chance et un défi, pour la France en particulier, très timorée depuis cinq ans, qui va présider l’Union pendant les six derniers mois de l’an 2000.