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Haro sur le Qatar !

La Coupe du monde de football aura-t-elle lieu comme prévu au Qatar en 2022 ? La question a été posée dès 2010 dans cette chronique, lorsque la Fifa a pris son extravagante décision. Mais il s’agissait surtout de s’interroger sur les incertitudes de l’Histoire, dans cette région où se sont concentrées la plupart des guerres du dernier quart de siècle. Comment la Fifa pouvait-elle se projeter si longtemps à l’avance dans un tel champ de mines ? Il y avait là une volonté manifeste, pour cette Fédération très euro-occidentale, d’aller plus vite que l’Histoire, d’anticiper ses évolutions, les déplacements de ses centres de gravité politique et finalement de paraître se dés-occidentaliser. Le Mondial accordé au Qatar en 2022 (et à la Russie en 2018) au détriment du Japon, de la Corée du sud, de l’Australie, des États-Unis, de l’Angleterre, de l’Espagne et du Portugal, de la Belgique et des Pays-Bas, c’était une manière radicale de tourner le dos au vieux monde. Sans doute le Qatar a-t-il également intrigué en coulisses, et sous la table, pour obtenir cette consécration, mais de telles pratiques ne sont pas neuves, ni l’apanage des émirs. Bref dans cette affaire, la Fifa a bien joué une sorte de va-tout politique. Mais si la question du Mondial 2022 ressurgit aujourd’hui, c’est pour d’autres raisons, qui se mêlent et s’entremêlent comme jamais dans l’histoire du football. Le problème du calendrier d’abord, évoqué ici dès 2011, quand on s’est avisé qu’il était vraiment très difficile de jouer là-bas en plein été, soit par des températures de 40 à 50°C, et qu’il vaudrait donc mieux le faire en hiver. Levée de boucliers en Europe, la Mecque du foot mondial : « Touche pas à mon championnat ! », ont crié en chœur tous les entraîneurs de clubs, sauf ceux dont l’équipe est sponsorisée par le Qatar qui met ses œufs dans trente-six paniers. Et puis il y a les rivalités au sommet de la Fifa, les luttes d’influence, les batailles de succession au poste de président (le Suisse Sepp Blatter l’occupe depuis 1998, il en est à son quatrième mandat et envisage finalement d’en briguer un cinquième…) qui donnent lieu à toutes sortes d’accusations de corruption et de pressions diverses impliquant des personnalités du sport et de la politique, Sarkozy compris. France-football en a même fait un titre : le Qatargate ! Il y a enfin le dernier scandale, et non le moindre. Le Qatar construit neuf stades pour 2022, plus des hôtels, des ports, des routes, autant de chantiers pharaoniens où ne travaillent que des étrangers, selon la bizarre démographie du pays : d’une part 200 000 Qataris prospères, d’autre part 1 500 000 immigrés sous-payés originaires d’Asie du sud-est, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2022 ! De jeunes Népalais ont été importés en masse pour travailler sur ces chantiers, dans des conditions terribles, pour des salaires de misère – de la chair à béton sans aucun droit social. D’après une enquête du Guardian, au moins 44 d’entre eux viennent de mourir en deux mois. Combien encore jusqu’à la Coupe du monde ? La Confédération internationale des syndicats, Human rights watch, Antislavery international lancent des appels pour que cessent le massacre et l’indifférence. Mais qui peut croire que la Fifa renoncera à cette Coupe du monde pour de telles raisons ? Personne n’ignorait en 2010 que le Qatar était une dictature éclairée au gaz et que le droit du travail n’y était qu’une chimère. Rien de bien neuf donc, malgré ces morts très encombrants. Juste un accident de parcours sur la longue route de 2022… Non, le Qatar ne lâchera pas sa Coupe sous la pression de la Fifa ou de quiconque ; oui, il essayera sans doute de limiter les dégâts, d’améliorer un peu les conditions de travail sur ses chantiers de la mort. Personne à vrai dire ne pourra empêcher le Qatar d’accomplir son rêve démesuré. Mais lui ne pourra rien si les forces du temps et les vents de l’Histoire se déchaînent jusqu’à le balayer.