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BHV : il faudra toucher aux vaches sacrées

Une solution existe pour BHV: l’arrondissement serait scindé mais la population francophone de la périphérie de Bruxelles se verrait reconnaître des droits de minorité nationale.

On y a échappé pendant quelques semaines, mais ça ne pouvait pas durer. Maintenant que Guy Verhofstadt a rendu public son «rapport au roi Albert II» sur la réforme des institutions, Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) et les autres dossiers communautaires vont à nouveau hanter les nuits du sérail politique et faire saliver nos médias. Car le défi n’est pas mince: il faut absolument éviter un mauvais compromis annonçant par avance la prochaine crise. En se limitant à l’abcès de fixation que constitue BHV, peut-on dégager une solution qui rencontre les aspirations des trois parties en présence, à savoir la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale et les francophones de la périphérie? Nous pensons que cette solution existe. Elle tient en trois points. Un: l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde sera scindé. Deux: on ne touchera ni aux frontières de la Région bruxelloise ni à son statut de capitale fédérale bilingue. Trois : la population francophone qui réside dans la périphérie se verra reconnaître des droits de minorité nationale, dans l’esprit de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe (1995) que la Belgique a signée en 2001 mais qu’elle ratifiera sans réserve. Les deux premiers points, qui rencontrent les thèses flamandes traditionnelles, se retrouvent dans la note Verhofstadt, mais le troisième s’en écarte, en renversant ce qui, en Flandre, constitue un tabou. Bien entendu, ces trois points doivent être pris en bloc, pour ne pas rompre les équilibres internes de la proposition. Détaillons. Un: Dans son arrêt du 26 mai 2003, la Cour d’Arbitrage a signifié que le découpage actuel des circonscriptions électorales était discriminatoire et inconstitutionnel et devait donc être modifié. Bien sûr, la scission pure et simple de l’arrondissement n’est pas la seule formule envisageable. Comme on le rappelle souvent du côté francophone, on pourrait reconstituer une circonscription à l’échelle de tout l’ancien Brabant. Mais seule la scission de BHV est en phase avec l’évolution institutionnelle de la Belgique qui privilégie l’homogénéité administrative des territoires régionaux. Dommage collatéral: il y aura désormais très peu de chance de faire élire directement un député bruxellois flamand à la Chambre — sauf par le biais d’une éventuelle circonscription fédérale pour une partie des sièges. Deux: Que gagnerait Bruxelles à étendre ses limites vers sa périphérie résidentielle? Quelques recettes fiscales supplémentaires enlevées au Brabant flamand. Mais en termes de cohésion et de cohérence, Bruxelles y perdrait. Les communes périphériques ne sont pas des communes urbaines. Par ailleurs, personne ne nie que le développement de la Ville-Région déborde largement de son territoire étriqué. Mais ce genre de situation se retrouve dans toutes les zones urbanisées d’Europe. Il existe de nombreuses formules pour gérer au niveau de bassins transrégionaux, voire transfrontaliers, les problèmes classiques de toute métropole comme la mobilité et l’aménagement du territoire. Dans le contexte belge, cela passe obligatoirement par une coopération forte entre les trois Régions, comme l’indique justement le Premier ministre dans sa note. Trois: Le noeud du problème BHV, d’où le reste des difficultés découle, réside dans une question mineure, mais où de grands principes sont en jeu: le sort fait aux francophones de la périphérie bruxelloise. La note Verhofstadt identifie une seule minorité nationale en Belgique : les germanophones dans les cantons de l’Est. Pourtant, selon nous, il existe bien en Flandre une petite minorité nationale parlant le français et concentrée en certains points le long de la frontière linguistique, devenue aujourd’hui une frontière régionale. Comme d’autres frontières, celle-ci semble quelquefois arbitraire et introduit de la coupure là où il y a de la continuité. Pour autant, il ne peut être question de la déplacer perpétuellement en fonction de l’évolution du peuplement des communes, voire des quartiers. Mais dans un monde idéal, la stabilité des frontières et la souveraineté qui s’y attache sont équilibrées par l’universalité des droits fondamentaux. Ceux-ci sont d’abord individuels, mais ils peuvent aussi être collectifs dès qu’une certaine proportion de la population est concernée. C’est le cas ici, comme ça peut l’être, dans l’autre sens, à Comines ou à Flobecq. Sans aucun doute, l’éradication du français en Flandre fut une étape nécessaire de l’émancipation flamande. Maintenant que cette émancipation est acquise et que c’est la Flandre qui donne le ton en Belgique, elle serait bien inspirée de suivre l’exemple du Canada, Etat binational où les minorités francophones et anglophones qui subsistent de part et d’autre de la ligne de démarcation linguistique disposent de droits individuels et collectifs dans le respect de la langue majoritaire. En périphérie bruxelloise, la présence francophone est désormais stabilisée. La scission de BHV ne pourra rien y changer. Mais si la Région flamande veut se prémunir de toute extension ultérieure de la «tache d’huile» autour de Bruxelles, il y a un excellent moyen: qu’elle contribue, par un refinancement adéquat, à rendre la capitale fédérale plus attractive afin que sa classe moyenne n’ait plus envie de la quitter. Une remarque, pour terminer. Nous n’avons pas abordé la question des institutions bruxelloises. Celles-ci sont sûrement perfectibles, tout en respectant les grands équilibres qui prévoient l’égalité des deux langues officielles et une représentation garantie pour la minorité flamande à Bruxelles, en contrepartie de sa fonction de capitale fédérale et des mécanismes de protection de la minorité francophone dans le cadre de l’Etat fédéral (parité gouvernementale, lois à majorité spéciale…). Mais cela n’a strictement rien à voir avec la question de BHV et il ne saurait être question d’échanger des «concessions francophones» à Bruxelles contre des «concessions flamandes» en périphérie, ou le contraire. Certains ne manqueront pas de descendre en flammes le «mauvais francophone» ou le «mauvais Flamand» qui ont rédigé cette proposition sans respecter les vaches sacrées de leur propre communauté. Il n’y a pourtant pas beaucoup d’alternatives. Cette opinion émanant d’intellectuels flamand et francophone est également publiée mardi en néerlandais dans le journal «De Morgen».