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Introduction

Politique a délibérément choisi de publier son dossier consacré à l’enseignement au lendemain des élections du 7 juin. Étonnant ? Plutôt que la rédaction d’un mémorandum parmi tant d’autres, plutôt qu’un réquisitoire ou un plaidoyer pro domo, nous avons choisi l’aventure d’un dossier à la fois analytique et prospectif. Avec le secret espoir de peser, un tant soit peu, sur les réflexions et décisions des acteurs du futur gouvernement de la Communauté française. Nous souhaitions aussi nous démarquer de l’emballement médiatique et passionnel suscité par les décrets «Mixité» et «Inscriptions». Ce qui nous hantait, c’était le décalage entre les généreuses intentions du décret sur les «Missions de l’école» et du «Contrat pour l’école»… et l’hécatombe scolaire au quotidien. Le scandale d’échecs et relégations qui touchent principalement et massivement les jeunes des milieux populaires. Malgré l’engagement et le professionnalisme de la plupart des enseignants. Pour baliser le terrain d’un enseignement démocratique et de qualité pour tous, nous avons fait appel aux contributions d’observateurs et de praticiens d’horizons divers. Ils ont pourtant en commun la conviction que tous les acteurs – politiques, syndicats, enseignants, entrepreneurs, associations, parents d’élèves – ont des révisions déchirantes à opérer. Rude tâche dans un secteur où les slogans et les «fausses évidences» abondent. Où la nostalgie de la «bonne» école de jadis et des «bonnes-vieilles-méthodes» fait rage ! Où des politiques, aussi volontaristes et progressistes soient-elles, ne pourront atteindre leurs objectifs sans l’adhésion des principaux acteurs : les enseignants, les parents… et les élèves. L’actuel gâchis, humain d’abord (les échecs répétés entraînent perte de confiance et d’estime de soi, fatalisme…), financier ensuite (le coût des redoublements est de 330 millions d’euros) est intolérable. Cette situation doit interpeller tous les citoyens, car nous sommes tous, à des degrés divers, concernés par l’avenir de l’École, une institution qui doit privilégier l’intérêt général et promouvoir des valeurs démocratiques. Mais qui, en réalité, s’englue chaque jour davantage dans les dérives d’un marché et d’une compétition sans merci au service des «forts». Notre espoir est que le lecteur sortira de ce dossier foisonnant avec une vision plus complète, plus complexe et plus nuancée des problèmes de l’enseignement en Communauté française. Donc plus « éclairé» pour s’engager dans des combats de longue haleine dont notre avenir à tous dépend. Sans oublier, comme le souligne très à propos François Dubet, que l’école ne peut résoudre tous les maux de la société, ni en porter la responsabilité. Une «bonne» société procédera aussi de notre engagement pour d’autres politiques du logement, de l’emploi, de la fiscalité, de la culture, de l’environnement… La première partie tente de comprendre l’école par de nouveaux paradigmes. François Dubet montre en quoi l’école exclut un grand nombre d’élèves, produisant un profond sentiment de désenchantement chez ceux-ci, qui pourrait engendrer la désertion des classes. Andrea Rea et Perrine Devleeshouwer pointent les carences structurelles de notre enseignement et en appellent à une refonte de l’organisation de l’école pour lutter contre l’inégalité scolaire. Pointant la crise de l’éducation qui affecte le sens de l’école tant pour les élèves que pour les enseignants, Jacques Liesenborghs préconise de repenser radicalement les «fondamentaux». Enfin, Nadine Plateau invite à poser la question du genre dans la formation, les matières enseignées et constate le peu d’engagement de tous les acteurs de la communauté enseignante en faveur de l’égalité des sexes. La deuxième partie du dossier pose un regard sur les acteurs du système éducatif. Un système pris en tenaille dans les enjeux institutionnels qui bousculent la Belgique. Eric Buyssens observe une tendance à encourager la régionalisation de l’enseignement, à perte pour les Bruxellois ? Danielle Mouraux et l’équipe politique de Changements pour l’égalité, mouvement sociopédagogique, observent la rencontre parfois explosive entre famille et école, des univers aux codes multiples. Paul Timmermans et une mère d’élèves questionnent ensuite, chacun à leur manière, les discriminations dans le système scolaire. Le premier remet en cause l’orientation précoce subie plus que choisie par les jeunes, en particulier les plus défavorisés. Il prône un tronc commun de 6 à 15 ans. La deuxième témoigne, elle, du parcours de ses enfants dans une «mauvaise» école, pourtant pas si mauvaise que cela… La dernière partie du dossier est consacrée à une table ronde autour du décret «Missions». De l’avis général, ce texte rédigé en 1997 reste une ligne de conduite fondamentale pour l’enseignement francophone. Si Godefroid Cartuyvels, Pascal Chardome, Christian Dupont et Hakim Hédia dégagent des pistes communes pour atteindre les objectifs du décret, comme une formation initiale sur cinq ans, ils développent aussi des visions opposées sur l’organisation de l’enseignement et la manière pour l’école de participer à une société plus juste. Pour conclure, Ides Nicaise nous invite à déconstruire nos stéréotypes sur l’enseignement en Flandre. Ce Thème a été coordonné par Eric Buyssens, Jérémie Detober et Jacques Liensenborghs, avec l’aide d’Olivier Bailly, journaliste indépendant.