Retour aux articles →

Introduction

L’économie sociale, voilà bien un sujet qui agace. Avec ses contours flous, elle est un peu l’arlésienne du débat de société. On en parle beaucoup, sans jamais la voir. Certains doutent même de son existence. Et pourtant, compte tenu de la mort des grandes idéologies, l’économie sociale — ES pour les intimes (et en tout cas pour les auteurs de ce «thème») — résonne comme une promesse. L’ES, donc, ou l’avenir radieux… Faire de l’économie «autrement» est tout aussi utopique que frire des patates dans de l’eau chaude. L’économie a ses lois, ses codes et sa finalité. La production de richesse n’est possible que si des investisseurs prennent des risques et sont rémunérés pour cela par le profit. Si, et seulement si, cette condition est remplie, il est possible de redistribuer des revenus et de financer des services à la collectivité… C’est bien connu, il n’y a pas de social sur un désert économique. Par contre, d’autres affirmeront la nécessité de développer des activités économiques en donnant la primauté aux revenus du travail et dans lesquelles le capital n’est qu’une mise de fonds, plutôt qu’un facteur de production rémunéré par le profit. L’implication des travailleurs dans la gestion de leur entreprise et l’attention portée à la finalité de la production complètent la vision de cet autre économie possible. Enfin, il y aura ceux qui, soulignant l’activité débordante dans tous les domaines du social, de la santé et de la culture, de multiples associations, institutions, entreprises, et offrant, sans objectif lucratif, des services et des produits utiles à la collectivité, veulent rendre visible l’activité de ce secteur d’un troisième type. Activité qui non seulement nécessite la gestion adéquate de ressources (souvent publiques), mais qui contribue elle aussi à la prospérité et à la cohésion de nos sociétés. Ce «thème»tente d’apporter un peu de clarté sur cette question et explore les pistes d’un débat qui par de multiples aspects ne fait que commencer. Au terme de ce dossier, le dernier mot n’aura pas été dit. Il aura atteint son but s’il a fait rebondir, au-delà de l’introuvable définition, des questions aux implications politiques profondes. Quels sont les besoins à rencontrer et comment? Quelles sont les formes possibles de la création de richesse et de bien-être? N’est-il pas temps que les acteurs de cette nébuleuse pèse davantage dans le débat politique? Comment dans une société entraînée vers le «tout au marché», l’économie sociale peut-elle garder entr’ouverte la perspective d’une autre économie? Voilà bien des questions à soulever dans l’arène politique. Ce «thème» se divise en quatre étages. Le premier, conceptuel, rassemble trois points de vue «scientifiques». Ceux de Jacques Defourny, Nicolas Bardos et Mateo Alaluf. Si tous trois abordent les racines historiques de l’économie sociale, ils insistent à leur manière sur ce qui leur semble fonder le plus cette dernière. Si le premier s’arrête sur des notions juridiques, le second s’interroge sur les termes mêmes qui définissent généralement de l’économie sociale. Quant au troisième, il pointe le risque de précarisation des statuts des travailleurs du secteur dans un contexte actuel de crise de l’emploi. Et Gabriel Maissin de ponctuer cette partie en soulignant l’influence de la logique marchande sur l’économie sociale et la reconnaissance progressive de celle-ci dans la concertation sociale. Le concept d’économie sociale peut parfois agacer par ses contours flous, mais il ne doit pas faire oublier la réalité des acteurs et de réalisations concrètes de l’économie sociale et des entrepreneurs associatifs. C’est pourquoi le deuxième niveau est à mettre sous le signe du concret, du «terrain». Sur son palier, l’on peut feuilleter, avec Edgar Szoc, un bref abcédaire de l’économie sociale belge. Plus loin, deux entreprises nous ouvrent leur porte. La première est wallonne, le groupe de services La Lorraine, à Arlon, «tourne» depuis plus de 30 ans comme nous le raconte Claude Berg, son directeur. Nathalie Hoffstadt et Ana Teixeira nous font visiter la seconde, Poly Bonnevie, plus jeune, est bruxelloise, et s’occupe notamment de rénovation de façades. Marie-Caroline Collard pour la Wallonie, et Delphine Huybrecht pour Bruxelles restituent ces deux expériences dans un paysage plus général. Le troisième étage se veut réflexif et critique. D’abord, Delphine Huybrecht traite la question des rapports entre l’économie sociale et les politiques, qui considèrent surtout celle-ci comme un «filon d’emplois». Puis, Anne-Françoise Theunissen juge sévèrement la législation bruxelloise, beaucoup trop restrictive à son goût. Enfin, à travers un exemple concret, Éric Buyssens montre comment l’économie sociale s’est fait déposséder de la manne des emplois de proximité au profit du secteur privé, et contribuer à la marchandisation du social. Enfin, la hauteur du dernier niveau de ce dossier l’ouvre naturellement vers l’extérieur. En l’occurrence, vers la France, l’Europe et aussi au-delà de l’équateur. Ancien rapporteur pour le gouvernement Jospin d’une étude sur l’économie sociale, Alain Lipietz dépeint l’attaque puissante de l’actuel gouvernement français contre l’économie sociale «et solidaire» et donne une voie de salut possible à cette dernière. Rainer Schlüter pointe quant à lui les forces et faiblesses des différents modèles européens du secteur. En conclusion, un détour en Amérique latine où l’«économie solidaire» est une préoccupation de tous les instants eu égard aux enjeux socio-économiques du continent. Pour cela, nous avons donné la parole à Sophie Charlier. Ce dossier a été coordonné par Eric Buyssens, Jérémie Detober et Gabriel Maissin.