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La fusion Suez-GDF et ses conséquences en Belgique

Les stratégies de ce nouveau géant mondial de l’énergie, dont dépend Electrabel, auont un impact en Belgique. L’État belge sera présent dans le capital. Mais avec quel poids ?

Il y a quelques mois, en France, le projet de fusion entre les groupes privé Suez et public Gaz de France a été relancé. Celle-ci est prévue pour le premier semestre 2008. Actionnaire à hauteur de 79,8 % de GDF, l’État français devrait détenir 35 % des actions du nouveau groupe. Les principaux actionnaires du groupe Suez sont en effet le groupe Frère, face à des groupes publics français (Crédit agricole, CDC et Areva). La Commission européenne a accepté que l’État français détienne une «golden share» Action spécifique d’une société cotée en bourse, généralement créée dans un processus de privatisation, qui permet à un État d’opposer son veto à certaines résolutions du conseil d’administration (évolution du capital et des activités). La légalité des golden shares est mise en cause par la Commission européenne dans le nouveau groupe, eu égard à son caractère stratégique pour l’approvisionnement énergétique de la France. Pour le personnel de GDF, il s’agissait d’une privatisation de GDF, avec à la clé notamment la mise en cause du statut de ses salariés.

Nouvelle options stratégiques

Après la fusion avec GDF, Suez a l’intention de se refocaliser sur la production d’électricité, notamment nucléaire. Le groupe, qui exploite déjà sept réacteurs en Belgique et dispose de droits de tirage en France sur les centrales EDF de Tricastin et Chooz, veut être indépendant de ses fournisseurs et notamment du groupe public français Areva et serait intéressé par un doublement de ses capacités de production d’électricité en France, qui pourrait passer par un accord avec le groupe public Electricité de France (EDF). Dans le secteur du gaz, le nouveau groupe ambitionne la première place dans le bassin Europe-Amérique du Nord pour le secteur du gaz naturel liquéfié (GNL).

La Belgique est la principale source de profit du groupe Suez

Répercussions en Belgique

En Belgique, malgré les obligations de cessions d’actifs imposées par la Commission européenne, GDF-Suez devrait réussir à conserver des majorités de fait dans les maillons stratégiques de la production et de la distribution d’électricité, ainsi que dans l’approvisionnement et le transit de gaz. La Belgique est la principale source de profit du groupe Suez. Par contre, la présence de GDF en Belgique se limite au négoce de gaz et à sa participation dans SPE (Luminus), deuxième producteur d’électricité en Belgique. La fusion GDF-Suez doit conduire en Belgique à la cession de la participation de Suez dans Distrigaz et de celle de GDF dans SPE. Suez devrait en outre réduire sa participation dans le gestionnaire de réseau Fluxys. La question est de savoir si ces cessions suffiront à réduire la position de monopole dont disposent Suez et encore plus les deux groupes fusionnés sur les marchés belges du gaz et de l’électricité, la position de l’État français comme premier actionnaire du nouveau groupe étant susceptible de peser dans ces secteurs stratégiques. Une raison des avantages accordés par les pouvoirs publics belges au groupe Suez et éventuellement à GDF-Suez s’explique par le fait que les communes sont présentes tout au long de la chaîne de production et de distribution d’énergie, au travers des intercommunales, qui contribuent à des degrés divers aux financements des budgets communaux. Ces avantages ont été accompagnés historiquement par un encadrement du secteur et des accords relatifs à la tarification et aux investissements. La libéralisation du secteur, décidée au niveau européen, devait s’accompagner d’une régulation confiée au niveau fédéral à la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) et à trois régulateurs régionaux, ainsi que d’un découplage entre les activités de production, de transport et de distribution. En outre, périodiquement, des accords ont été signés entre Suez et le gouvernement belge (surnommés «Pax Electrica»), fixant les grandes lignes de l’organisation de la concurrence sur le marché belge. Enfin, l’État belge dispose d’une «golden share» dans le capital de Distrigaz, dans celui de Fluxys et dans celui de Synatom. Par contre, une telle action préférentielle lui a été refusée au sein du capital de GDF-Suez.

Le secteur de l’éléctricité

Actuellement, Suez détient la totalité du capital d’Electrabel, qui détient à son tour 27,5 % du gestionnaire de réseau Elia. Cette participation devrait être ramenée à moins de 25 % aux termes d’accords conclus avec le gouvernement belge en 2005.

Le nouveau groupe GDF Suez pourrait développer sa production d’électricité à partir de gaz français et ainsi développer les importations d’électricité en Belgique

La participation de GDF dans SPE pourrait être cédée à son autre actionnaire, le britannique Centrica. Mais il semble qu’EDF soit aussi intéressée. EDF Belgium détient 50% de la centrale nucléaire de Tihange 1, ce qui représente 3 % de la production belge. EDF est également active dans la vente d’électricité aux entreprises belges. Enfin, EDF Energies nouvelles détient 20 % dans le projet éolien offshore C-Power au large de Zeebrugge. Comme Suez à l’égard de Distrigaz, GDF donne la priorité pour la cession de sa participation dans SPE à un acteur susceptible de lui offrir une capacité hydraulique intéressante combinée à une bonne fourniture en gaz et relativise le droit de préemption de Centrica. Au-delà de cette cession, GDF compte se concentrer sur l’avenir des activités de distribution d’Electrabel dans le secteur du gaz, en s’assurant de nouvelles sources d’approvisionnement. Le nouveau groupe GDF Suez pourrait développer sa production d’électricité à partir de gaz français et ainsi développer les importations d’électricité en Belgique.

Le nucléaire

La fusion GDF Suez pose aussi le problème du contrôle du fonds de démantèlement des centrales nucléaires. Aux termes d’une convention conclue avec l’État belge en 1985, les producteurs d’électricité se sont engagés à supporter intégralement les charges du cycle des combustibles nucléaires, du démantèlement des centrales nucléaires et de la décontamination des sites en question, à constituer à cet effet des provisions dans leurs comptes et à alimenter celles-ci par des cotisations annuelles. Ces provisions sont versées à la société de provisionnement nucléaire (Synatom), qui en assume la gestion. Synatom est une filiale d’Electrabel, dans laquelle l’État belge est présent. Un comité de suivi a également été créé dont la mission est de contrôler la gestion du passif nucléaire avec des représentants de la Creg, de la Banque nationale de Belgique et de l’Ondraf Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies. Le passif nucléaire est financé par le consommateur d’énergie Par le biais de la cotisation fédérale sur les KWh pour les obligations de service public, la Creg, le Fonds Kyoto et le passif nucléaire. Le coût du démantèlement des centrales nucléaires est aujourd’hui estimé à 10 milliards d’euros, une somme beaucoup plus élevée que celle contenue actuellement dans le fonds Synatom, à savoir 4,3 milliards d’euros.

Le secteur du gaz

L’accord conclu entre Suez, GDF et la Commission européenne prévoit la cession de Distri-gaz, afin de permettre à un nouvel entrant de s’établir sur le marché belge. Distrigaz, assure 80% de l’approvisionnement en gaz en Belgique et, avec le record de rentabilité par personne employée en Belgique, est considérée comme une «pépite» du groupe Suez. Celui-ci, pour sa part, précise que la cession de Distrigaz ne se fera pas avant la fusion des deux groupes et qu’il ne recherche pas la meilleure rémunération, mais la meilleure formule d’échange avec d’autres actifs, notamment des capacités de production hydrauliques. Parmi les groupes intéressés, EDF rappelle son intérêt à améliorer son accès au gaz et pourrait en échange céder certaines tranches nucléaires à Suez, mais la question est l’aspect politiquement sensible du contrôle par un État étranger de l’approvisionnement en gaz. Cet aspect est évidemment aussi présent dans le cas de Gazprom. La présence de la société russe en Belgique se limite à la fourniture de molécules par le biais d’une filiale commune avec le groupe allemand BASF et à un projet de stockage avec Fluxys, mais les connexions de la Belgique avec les grands marchés européens devraient l’intéresser. Les investissements du groupe GDF-Suez dans le domaine du gaz en Belgique devraient comporter une augmentation des capacités de regazéification. Il n’est pas exclu que le groupe GDF-Suez, outre le maintien de son contrôle sur l’activité stratégique des prix du terminal gazier et l’accroissement de son emprise sur son pôle gaz naturel liquéfié en Belgique, puisse garder le contrôle sur les autres activités stratégiques en termes de fixation des prix que sont le transit, les contrats d’approvisionnement et les contrats gaziers pour les centrales électriques turbine gaz-vapeur (TGV) leur appartenant. Cela devrait être réalisé par le transfert de ces activités respectivement à Fluxys et à GDF, qui resteraient ainsi au sein du groupe tandis que la société Distrigaz cédée ne recouvrerait plus que le marché de la consommation finale belge. La signification de la «golden share» de l’État fédéral dans Distrigaz se pose donc à terme, Dunkerque pouvant notamment se poser en concurrent de Zeebrugge. Enfin, de façon plus générale, cette nouvelle dilution de l’ensemble Tractebel-Electrabel devrait se traduire par des pertes d’emploi en Belgique dans les activités de services (études, trading, gestion) et d’encadrement, à haute valeur ajoutée, rapatriées au sein d’autres entités du nouveau groupe.