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La pensée unique sécuritaire

À peine le gouvernement avait-il trouvé un léger bonus inespéré pour son budget qu’il annonça qu’il en consacrerait la moitié à la sécurité. Et cela, au milieu d’une crise sociale sans précédent…

Les dérapages sécuritaires ne sont pas nouveaux. Ils surviennent régulièrement au gré des crises que traverse notre société. Plus le désarroi général est grand et l’insécurité sociale croissante, plus se développe la dérive sur la sécurité physique. Tout cela est connu. Mais il est en train de se passer autre chose dans notre pays. La pensée sécuritaire est devenue transversale : peu ou prou, elle infecte la plupart des partis. Certains exploitent le filon plus que d’autres. Pour les néo-populistes du Parti populaire, il s’agit naturellement d’un fer de lance, le sécuritaire est consubstantiel à leur identité politique. L’aile la plus à droite du MR emboîte le pas par opportunisme ou par bêtise. Ainsi Armand De Decker, le président du Sénat, qui veut « des centres d’éducation renforcés avec un encadrement militaire ». Mais certains au PS, comme Charles Picqué qui réclame notamment l’abaissement de la majorité pénale, ne sont pas en reste. Et les autres, le plus souvent, se réfugient dans un silence gêné ou impuissant alors que le thème de l’insécurité requiert précisément un effort pédagogique particulièrement vigoureux de la part des partis démocratiques pour combattre la démagogie triomphante. On ajoute quelques chevaux légers du néo-sécuritaire au pedigree vaguement progressiste qui manifestent en la matière le zèle des néophytes et les troupes sont en état de marche. D’autant que les médias confortent puissamment ce courant dominant. Le service public, depuis longtemps, n’échappe pas à la règle. Il y a quelques jours à peine, lors d’un fait divers qui coûta la vie à une passante à Bruxelles, le JT de la RTBF n’hésita pas à jouer le jeu de l’émotion sans borne, ni pudeur, enchaînant pour l’occasion les faits divers en tête de ses éditions. La conjugaison de la démagogie politique et de la surenchère médiatique provoque des effets dévastateurs.

Entre l’angélisme et la démagogie, il existe la voie du réel, la seule que la gauche puisse emprunter.

Et puis on assiste à des amalgames particulièrement dangereux de la part de certains chevaliers de la sécurité qui mélangent systématiquement, insécurité et islam, délinquance et jeunes d’origine immigrée. Le sommet est atteint par ceux qui véhiculant depuis toujours une pensée anti-égalitaire justifient aujourd’hui leur combat contre l’islam au nom de l’égalité homme/femme ou du droit des homosexuels. Si jadis certains qualifiaient l’antisémitisme de « socialisme des imbéciles », aujourd’hui l’hystérie islamophobe devient « l’antitotalitarisme des imbéciles » Voir Daniel Lindenberg, Le procès des Lumières, Paris, Seuil, 2009, p. 80 et suivantes. La confusion est à son comble, on mélange fait divers sanglant, crime passionnel, drame familial d’une part, violences scolaires, délinquance des jeunes et incivilités de l’autre. Et cette confusion sert largement à décontextualiser ces dernières, alors que le refus de l’impunité ne doit jamais cacher les causes profondes d’un dérèglement sociétal. Eric Janssens, président de l’association des magistrats de la jeunesse déclarait récemment : « En tant que procureur, j’ai en charge de dire stop à la délinquance et d’assurer la protection de la société. J’aimerais dire, ajoutait-il, qu’une violence énorme est faite aux enfants et aux adolescents par une société dont un septième vit dans la pauvreté, ce chiffre étant même de 20 % dans les grandes agglomérations. Les mineurs délinquants ne sont jamais que le miroir de cette société et la précocité de leur délinquance un des effets d’une pression sociale et économique terrible. En a-t-on conscience ? » La Libre Belgique, 15 mars 2010 Oui, il faut donc maintenir les deux termes : combattre le sentiment d’insécurité comme celui d’impunité. Ramener le premier à sa réalité – et à ses causes profondes –, réaffirmer pour le second la nécessité du cadre de la loi, de la règle et du vivre ensemble qui nécessitent évidemment des moyens supplémentaires. Entre l’angélisme et la démagogie, il existe la voie du réel, la seule que la gauche puisse emprunter.