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La tragédie du président

Il est encore trop tôt pour l’affirmer sans hésitation, mais Barack Obama est peut-être en train de perdre définitivement ce qui allait sans doute rester comme le seul combat d’envergure de son double mandat. Les choses peuvent encore évoluer mais à ce jour, le président des États-Unis est en train de rater grossièrement ce qui devait laisser son nom dans l’histoire, ce qui devait prouver à ses administrés qu’il existe encore une différence entre le parti démocrate et le parti républicain, entre ce qui relève du progrès et du changement d’après les premiers et ce qui relève du conservatisme, et du maintien de l’ordre établi d’après les seconds. De surcroît et paradoxalement, ce n’est pas sur la bataille des idées que le président aura fini par se casser la figure, mais sur la mise en œuvre d’une vision qui avait fini par s’imposer et à devenir inéluctable. Et cela risque aussi de faire l’histoire ! En se concentrant sur la bataille des idées – faire passer le principe d’une couverture « santé » beaucoup plus large (Obamacare) –, en consacrant toute son énergie à persuader une partie des puissants et à tenir en respect ses opposants, en se concentrant sur les professionnels de la politique et des médias, en incluant aussi dans la négociation de puissants acteurs privés issus de l’industrie pharmaceutique, en utilisant au final toutes ses ressources pour imposer sa réforme, Barack Obama a négligé un des aspects fondamentaux de la politique : les modalités pratiques de la mise en œuvre d’une politique publique. Depuis plusieurs semaines, de nombreux citoyens sont officiellement et légalement tenus de consulter « Healthcare.gov », de découvrir la nouvelle législation, de voyager dans les méandres des statuts (employeur, indépendant, salarié, jeune, vieux, très pauvre, très vieux, etc.), d’identifier l’état de leur couverture maladie, et au cas où ils ne seraient pas couverts, de s’inscrire obligatoirement dans un des programmes du gouvernement, et partant choisir parmi de multiples offres privées en comparant les prix. L’Obamacare repose sur le principe de mutualisation : l’État peut intervenir d’avantage mais tout le monde doit souscrire une assurance auprès d’acteurs privés qui restent en concurrence dans un cadre cependant désormais mieux régulé. À ce jour, le site ne fonctionne pas du tout ! Et les gens ont pris peur un peu comme si l’échec technologique n’était que l’antichambre du cauchemar qui allait suivre. Outre de nombreux messages d’erreurs, le site est très lent, il patine dès que plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs sont en ligne ensemble, et surtout, la plateforme semble incapable de gérer des centaines de cas particuliers avec des historiques de soins de santé, de compagnies d’assurances et de cotisations multiples et variés. Des utilisateurs s’émeuvent de voir leurs données de santé (privées) accessibles en quelques clics par des tiers, faute de protections appropriées, et certains assurés se voient mécaniquement perdre leur couverture santé, alors que le président avait écarté ce risque parmi ses nombreuses promesses. D’autres, enfin, se retrouvent sur des voies de garage technico-administratives sans aucune certitude d’être encore couvert médicalement, et encore moins d’être couvert le lendemain sur le lieu de travail en cas d’accident. Très vite, à juste titre, les gens s’affolent et contactent par téléphone leurs assureurs, leurs anciens assureurs ou leurs employeurs ou encore les administrations liées à la sécurité sociale, ou les compagnies privées, et là c’est la panique ! Personne n’a les mêmes données, c’est le désordre et l’improvisation qui dominent. Au final, on se méfie du site, et de la réforme ! Les partenaires privés craignent pour leur image et menacent de se retirer du partenariat ! Avec le peu de temps qui nous sépare des élections parlementaires de mi-mandat prévues fin 2014, ce qui devait marquer la présidence du président Obama risque fort de se transformer au mieux en tragédie, au pire en farce ! n