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L’autre face de la gauche

François Martou Président du Mouvement ouvrier chrétien..croit-il en Dieu? Denis Grimberghs Président de la Démocratie chrétienne de Wallonie et de Bruxelles, courant de gauche au sein du CDH.. va-t-il à la messe? Franchement, on n’en sait rien. Et, oserait-on ajouter : on s’en tamponne. Et, de fait, ni François Martou ni Denis Grimberghs, quand ils interviennent dans le débat public, ne font allusion à une quelconque transcendance qui les inspirerait. Ils en appellent à la raison, à l’équité, au droit, bref à des catégories accessibles à tout un chacun et qui sont totalement indépendantes des convictions métaphysiques que les uns et les autres peuvent professer. À partir des initiatives que prennent ces deux responsables sur la scène publique, il est donc impossible de répondre à la question qui les concerne. Bien entendu, toute femme ou homme public est normalement animé de principes moraux et ceux-ci s’enracinent généralement dans les grandes traditions philosophiques et religieuses. Mais on n’estime pas qu’il soit pertinent d’en faire état publiquement. Ce constat ne se limite pas aux personnes. Il vaut aussi pour les institutions. Prenons, par exemple, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). Dans ses pratiques, dans ses prises de position ou dans les critères mis à l’adhésion des membres, on chercherait en vain une référence chrétienne explicite et exclusive. Mais alors, quel est le sens et l’intérêt de maintenir cette «étiquette» qui réfère le premier syndicat de Belgique à une religion ? Et comment comprendre que ce «monde sociologique chrétien» soit, en Belgique, aussi vigoureux, alors que ce pays n’échappe à la désaffection massive que connaît l’Église catholique dans ses œuvres et dans ses pratiques ? Tout se passe comme si le «fait chrétien» était l’objet d’un curieux phénomène d’entropie : le cœur du dispositif – la foi en Jésus de Nazareth – refroidit, mais son rayonnement atteint toujours de larges couches de la population qui ne maintiennent que des liens ténus avec ce centre. Ce fait n’est pas exceptionnel : on peut être «chrétien» sans croire au paradis, comme on peut être socialiste sans croire aux lendemains qui chantent de la société sans classes. L’existence d’un horizon même flou structure le chemin qui est supposé y conduire, indépendamment de la croyance qu’on l’atteindra un jour. Mais l’entropie en est resté à un stade intermédiaire, puisque subsiste toute une méta-société qui ne considère pas que la référence chrétienne soit obsolète. Même s’ils «convergent» (pour utiliser un concept à la mode), un militant chrétien de gauche n’est pas identique à un militant socialiste, en tout cas pour le moment. Certains émettront l’hypothèse que, à travers de multiples médiations, le cœur du dispositif est toujours à l’œuvre et que le «message de l’Évangile» s’incarne plus et mieux dans ce fait chrétien qui a percolé dans la société plutôt que dans une Église institutionnelle crispée autour d’un pape moyenâgeux. POLITIQUE a voulu mieux comprendre ce qui était le substrat spécifique de cette «gauche chrétienne» plus vivante en Belgique que dans aucun autre pays européen. C’est aussi à un voyage en nous-mêmes que nous vous convions puisque cette revue, conformément à son ambition, a planté des racines des deux côtés de la barrière philosophique. Dans ce pays, contrairement au reste de l’Europe, qui dit «démocrate chrétien» dit appartenance politique de gauche. Une singularité que parcoure Henri Goldman sur les premières marches de ce Thème. De la crypte de ce dernier, observateurs, et ancien acteur pour le second, des diverses émanations politiques de la gauche chrétienne depuis 50 ans, Pascal Delwit et Claude Debrulle inventorient et dissèquent ses spécificités. Déambulant près du chœur, Jean-Claude Brau, nous renseigne sur son rôle d’aumônier au sein du Moc et de la CSC. Plus loin, dans une des chapelles, Jean-Jacques Viseur nous rappelle pourquoi le «C» de la Démocratie chrétienne garde toute sa pertinence en 2005. Près du portail, Anne-Françoise Theunissen s’étend quant à elle sur l’évolution identitaire récente de Vie féminine, marquée par une distanciation par rapport à ce même «C». À quelques mètres d’elle, quatre représentants de la nouvelle génération militante des chrétiens de gauche, Sylvie Roberti, Jérôme Wayenborgh, Frédéric Possemiers, Nermin Kumanova, discourent, assis sur des chaises de la nef principale, sur leur présence en ces lieux et s’interrogent sur l’importance de Dieu dans leur vie et leur engagement. Un des bas-côtés de ce dossier est réservé aux luttes ouvrières, passées et futures. Marc Vandermosten, d’abord, expose la diversité des conceptions philosophiques partagées par les syndicalistes chrétiens. Dans un document rédigé par Willy Thys, la CMT rappelle les fondements du syndicalisme chrétien international et s’attelle à tracer ses orientations de demain au sein d’une organisation plus large. À chaque extrémité du transept, le regard absorbé par les vitraux, Gisèle Vandercammen et Jean-Marie Faux se sentent autant au-dedans qu’au-dehors. La première nous emmène à la rencontre des communautés de base, plus à l’écoute des «gens d’en-bas» que du magistère. Le second nous retraçant son parcours de prêtre militant en dehors de l’Église. Enfin, de la hauteur de la tribune, Myriam Tonus interroge l’identité chrétienne d’aujourd’hui, en posant la question de sa réappropiration. Et non loin d’elle, dans la lecture de La Revue Nouvelle, Henri Goldman y repère une « identité chrétienne en creux ». Ce Thème a été coordonné par Anne-Françoise Theunissen, Jérémie Detober et Henri Goldman.