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Le maître de l’illusion

Se souvient-on qu’il inventa l’expression «paparazzi» ? Dans La Dolce Vita qui décrit une certaine société romaine des années 60, Fellini avait donné le nom de Paparazzo à l’un des photographes qui, à la recherche frénétique d’un scoop, harcelaient les stars et les demi-célébrités de la Via Veneto. L’expression est passée à la postérité et le Maestro était bien le premier à mettre en scène la mise en spectacle de la société (que l’on appelait pas encore la peopelisation). Film culte, La Dolce Vita est aussi celui qui a ouvert les voies de l’onirisme et de l’inconscient fellinien «Fellinien», un autre qualificatif passé à l’histoire bien au-delà des frontières du 7e art et cela du vivant de son auteur. Un film qui marque encore le début de l’utilisation du studio au détriment du décor naturel dans l’œuvre de Fellini. Avec les studios (de Cinecitta, évidemment) et les décors, l’homme de Rimini, ce réalisateur à la fois populaire et intellectuel, va devenir le maître de l’illusion mais aussi de sa déconstruction. «Partout, écrit l’historien du cinéma Jean A. Gili J. A. Gili, «Le Maestro au travail – La Magie d’un démiurge», in Tutto Fellini, Beaux Arts éditions. Jean Gili vient également de publier Federico Fellini, le magicien du réel, Gallimard, Découvertes, 2009 , les ciels sont des toiles peintes et la mer d’immenses feuilles de plastique agitées par des machinistes : Il faut que tout soit factice, factice mais crédible Souligné par nous , s’exclame Fellini !» L’observation des mécanismes de l’illusion est aussi un des thèmes de la passionnante exposition «Fellini, la grande parade ?» Dans le cadre de «Tutto Fellini», un ensemble de manifestations consacrées au réalisateur cet hiver à Paris organisée au Jeu de Paume à Paris jusqu’en janvier dernier. Confrontation d’extraits de films, de photos (superbes), de dessins du Maître, de ses écrits et manuscrits, d’articles, d’affiches et d’entretiens : c’est toute l’œuvre de Fellini qui est questionnée dans cet entrecroisement stimulant. Les paparazzi et la presse à scandales mais aussi les ravages de la publicité (à laquelle Fellini s’adonna quelques fois, toujours avec malignité), les premiers dégâts provoqués par la télévision déjà berlusconienne Notamment dans Ginger et Fred (1986) et Intervista (1987) : Fellini porte un regard visionnaire, et noir, sur ce pan essentiel du monde contemporain. Plus largement, Sam Stourdzé, le commissaire de l’exposition, le souligne : «C’est cette analyse de la construction de l’image médiatique qui traverse toute son œuvre, une analyse du cinéma lui-même comme intermédiaire entre la réalité et sa perception». Toujours dans La Dolce Vita, une des scènes les plus célèbres de l’histoire du cinéma, celle qui unit Anita Ekberg et Marcello Mastroianni dans la fontaine de Trévi, va donner l’occasion à Fellini de «tester le pouvoir de l’image de répétition», comme l’indique l’exposition. Dans Intervista, 25 ans plus tard, Fellini fait revoir la fameuse scène à Anita Ekberg. Mais en fait ce n’est pas exactement la même scène : Fellini l’a complètement remontée, recadrée, utilisant parfois d’autres plans. Et personne ne le remarquera. On peut voir les deux séquences en parallèle dans «Tutto Fellini». Ce qui intéresse Fellini dans Intervista, indique Sam Stourdzé, «ce n’est plus le rendre compte de La Dolce Vita mais de l’appréciation que nous nous en sommes faite. Sylvia et Marcello sont devenus, malgré lui, un couple mythique. Il réinterprète la scène de la fontaine pour s’en tenir à cette seule image. (…) Fellini décontextualise la scène en la recadrant sur ses protagonistes. Toute distorsion est désormais éliminée. Il recrée ainsi l’illusion du couple.» Le Maître de l’illusion est ravi du tour qu’il nous joue. Et il nous dit que le spectateur est en quelque sorte le coproducteur des images. Sa perception peut aussi influencer l’illusion dont la déconstruction est plus que jamais salutaire. La leçon de Fellini vaut pour toutes les images qui nous entourent.