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Le mythe de Sisyphe de la politique migratoire de la Belgique ?

Après plusieurs années de mobilisation, des nouvelles mesures ont enfin été adoptées en matière de régularisation. Elles soulèvent de nombreuses questions, tant dans leur application que dans les suites qui seront données une fois cette opération clôturée. C’est le 15 septembre qu’a débuté la nouvelle opération de régularisation. Durant trois mois, les sans-papiers qui rentrent dans les nouvelles mesures ont la possibilité d’introduire une nouvelle demande de régularisation. Il aura fallu 16 mois d’attente pour que le gouvernement se mette enfin d’accord sur l’interprétation à donner aux mesures prévues dans l’accord de gouvernement sur la régularisation des sans-papiers. Ce sera finalement une opération unique de régularisation – en matière de prise en compte des attaches durables et du critère travail – qui prendra fin à la date du 15 décembre 2009, à l’instar de ce qui s’est fait en 2000. Et après cette date? C’est là que réside l’un des principaux enjeux de cette opération de régularisation. Depuis plusieurs années, bon nombre d’ONG, d’avocats et les organisations syndicales n’ont eu de cesse de dénoncer deux problèmes fondamentaux dans la politique de régularisation. Le premier était que cette politique est discrétionnaire, très peu balisée au niveau légal. Il était très difficile d’avoir une vision claire de qui est ou qui n’est pas régularisé et pourquoi. Dans la pratique, l’analyse des réponses de l’Office des Étrangers L’Office des étrangers est l’administration chargée de traiter les dossiers de demande de régularisation sous la responsabilité politique d’abord du ministre de l’Intérieur, ensuite de la ministre de l’Asile et de la Migration et enfin du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration.. à bon nombre de dossiers a montré une grande inégalité de traitement. C’est la raison pour laquelle des voix se sont élevées d’un peu partout pour réclamer un cadre juridique plus précis débouchant sur des décisions plus transparentes et plus égalitaires. Le deuxième problème qui était dénoncé est le caractère trop étriqué de la politique de régularisation. Trop sévère, celle-ci ne prend pas en compte la réalité sociale : elle offrait trop peu d’ouverture aux personnes (seules ou en famille) qui ont développé des liens importants avec notre pays et dont la vie, l’avenir est désormais ici. C’est pourquoi les ONG, les avocats et les organisations syndicales ont revendiqué une meilleure prise en compte des «attaches durables» rebaptisées «ancrages locaux durables» dans l’accord de gouvernement de mars 2008.

Les trois portes

L’accord de gouvernement du 18 juillet 2009 a ouvert trois «nouvelles portes» pour la régularisation des «sans-papiers». Mais sur ces trois portes, deux se refermeront le 15 décembre 2009. La première, plus consensuelle politiquement et qui restera ouverte à l’avenir, va permettre de régulariser tous ceux qui ont attendu pendant un temps déraisonnablement long Quatre ans d’attente en procédure d’asile + en recours au Conseil d’État + en demande de régularisation si famille avec enfants scolarisés et cinq ans si isolés.. dans une procédure sans réponse de l’État. La deuxième, qui a fait davantage débat au sein de la majorité et qui se refermera le 15 décembre comme critère balisé précisément devrait permettre de régulariser les sans-papiers qui peuvent prouver 5 ans de présence sur le territoire avant le 18 mars 2008, démontrer qu’ils se débrouillent dans une des langues nationales, qu’ils ont des liens sociaux en Belgique, qu’ils ont des compétences à mettre à disposition du marché du travail. Mais pour pouvoir bénéficier de cette mesure, ils doivent avoir eu un séjour légal ou fait une tentative crédible pour en avoir un. Mais qu’adviendra-t-il de ceux qui n’ont jamais tenté de régulariser leur séjour parce que, de façon logique, les avocats et associations auxquels ils se sont adressés le leur ont déconseillé, en l’absence de base légale leur permettant d’étayer leur demande? La troisième «nouvelle porte» se refermera également le 15 décembre. Elle prévoit de régulariser les sans-papiers présents sur le territoire depuis le 31 mars 2007 et qui détiennent une ou plusieurs offres de contrat(s) de travail leur garantissant un salaire équivalent à ce qu’on appelle le «revenu minimum moyen mensuel garanti». Cette porte d’entrée est la seule prévue pour les sans-papiers qui sont inconnus de l’administration parce qu’ils n’ont jamais rien demandé. C’est aussi la seule de l’arsenal qui prévoit de régulariser les intéressés à durée déterminée: ceux qui bénéficieront d’une «régularisation par le travail» devront réintroduire leur demande dans un an en faisant la preuve qu’ils travaillent toujours.

Incertitudes

Bon nombre de sans-papiers peuvent espérer passer par une des trois portes. Mais, pour autant, cet accord n’est pas la panacée. Tout d’abord, les décisions prises par le gouvernement ne sont pas consignées dans une loi ou dans une circulaire mais dans une simple instruction indiquée sur le site de l’Office des étrangers. Celle-ci peut donc être remise en cause à tout moment sans même devoir être rediscutée au sein du gouvernement et encore moins devant le parlement. En outre, ces mesures instaurent une différence de traitement entre les sans-papiers qui n’ont jamais eu de séjour légal, ni tenté de régulariser leur séjour et les autres. Cette distinction était manifestement indispensable pour certains partis de la majorité. Mais elle n’a pas grand sens : en quoi ce critère permet-il de distinguer de bons citoyens potentiels par rapport à d’autres qui le seraient moins? Que se passera-t-il au-delà la date du 15 décembre 2009? Le caractère provisoire des deux plus importantes mesures nous ramène à notre revendication initiale de plus grande sécurité juridique en matière de définition de ce que représentent notamment les «circonstances exceptionnelles» mentionnées dans l’article 9bis de la loi de 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Enfin, la régularisation par le travail risque bien d’être un miroir aux alouettes. Parce qu’on donne ici des papiers à des «utiles» qui gagnent leur croûte et ne risquent pas d’être à charge de la collectivité, cette mesure est probablement la plus légitime aux yeux de nos responsables politiques et d’une bonne part de l’opinion publique. On espère qu’elle permettra de donner un contrat légal à ceux qui travaillent aujourd’hui dans notre système économique sans protection et à des salaires bradés en «blanchissant leurs emplois» par la même occasion… Mais le risque est grand que seuls les happy fews qui travaillent pour des patrons corrects ayant les moyens de payer les cotisations sociales et le salaire conventionnel soient régularisés. Cette mesure risque fort de ne rien changer pour tous ceux qui travaillent pour des patrons peu scrupuleux et/ou dans des secteurs soumis à une concurrence intense due à la spéculation sur le travail comme à la pression que les consommateurs – nous!… – exercent sur les prix qui entraîne une pression toujours plus grande sur les coûts de production donc d’abord sur les salaires… Dans ces cas-là, le travail des clandestins n’est pas un accident de parcours mais bien une nouvelle forme d’organisation socioéconomique. Les attentes sont donc nombreuses. Mais on sait déjà que les nouvelles mesures décidées par le gouvernement n’apporteront qu’une réponse partielle à la question posée par la présence d’une nombreuse population sans titre de séjour légal. Avec la plupart des acteurs associatifs, le Ciré demande que le gouvernement vérifie dès à présent la mise en œuvre de l’opération et l’évalue dans le futur. Les éléments positifs de l’opération devront continuer à être appliqués dans le cadre d’une politique migratoire structurelle. Sans quoi, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la question de la régularisation des sans-papiers ne tardera pas à revenir sur les devants de la scène. Avec encore et toujours les mêmes questions et les mêmes situations de détresse que celles que nous avons connues.