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Les CPAS : complices ou victimes de l’austérié ?

Les CPAS le crient haut et fort ces dernières semaines : leurs finances sont en danger. Ce n’est pas nouveau. Depuis longtemps déjà, ils évoquent une « explosion » du nombre des demandes, dues entre autres à la politique d’exclusion de l’Onem. Et l’arrivée en fin de droit de dizaines de milliers de bénéficiaires d’allocations d’insertion début 2015 leur fait craindre le pire.

La pauvreté « explose ». Elle touche désormais 17% de la population belge, un enfant sur quatre, la majorité des allocataires sociaux mais aussi beaucoup de travailleurs. Que le nombre de personnes émargeant au CPAS « explose » semblerait donc normal. Pourtant, ce n’est pas le cas. Les statistiques du SPP Intégration indiquent qu’il y a bien eu une forte augmentation, de l’ordre de 10%, du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS) en 2009, mais elle a été suivie en 2011 par une diminution puis par une stagnation en 2012. Les premiers chiffres disponibles pour 2013 indiquent qu’il y aurait une augmentation des demandes de l’ordre de 2% par rapport à l’année précédente. Paradoxe : alors qu’une partie importante de la population s’est appauvrie, ça ne se traduit pas par une augmentation équivalente du nombre de bénéficiaires du RIS.

La plupart des chômeurs exclus n’aboutissent pas au CPAS

Voici deux éléments d’explication.

  1. Une partie importante de la population appauvrie n’a pas droit au revenu d’intégration. Ceci vaudra notamment pour une partie importante des bénéficiaires d’allocation d’insertion qui arriveront en fin de droit le 1er janvier 2015 (55 000 d’après les dernières estimations de la FGTB wallonne). En effet, les conditions d’octroi, les catégories de bénéficiaires, la prise en compte des revenus sont totalement différentes dans les deux régimes. La plupart des cohabitants, essentiellement des femmes et des jeunes, n’auront droit à rien. C’est déjà le cas pour les chômeurs sanctionnés ou exclus au cours des dernières années.
  1. Alors que le premier élément d’explication était « structurel », le second renvoie à la politique de plus en plus restrictive pratiquée par les CPAS eux-mêmes. Sur le terrain, les usagers font souvent l’expérience que l’accès au droit est de plus en plus aléatoire. L’examen d’une demande semble devenu un véritable parcours du combattant. L’octroi du RIS est conditionné par le respect de tant d’obligations souvent arbitraires, en particulier pour les jeunes via la signature d’un « contrat d’intégration sociale », qu’un grand nombre de demandeurs en sont exclus.
Afin de créer les conditions d’un traitement égalitaire, une revendication élémentaire s’impose : le remboursement à 100% du RIS par l’État aux CPAS.

Mention spéciale pour l’examen de la « disposition à travailler » qui est une des six conditions d’octroi du RIS. Cette obligation n’est encadrée ni par la loi ni par les arrêtés d’application, chaque CPAS pouvant agir à sa guise. Les exigences imposées par de nombreux CPAS à leurs allocataires sont fort proches de celles de l’Onem, dont ils se disent pourtant les victimes « collatérales ». Bref, on a souvent le sentiment que des CPAS sont atteints de schizophrénie quand ils dénoncent à cor et à cri les pratiques de l’Onem alors qu’ils les adoptent eux-mêmes, parfois de manière encore plus arbitraire. Ceci étant dit, il faut reconnaître que le retrait des allocations d’insertion à partir du 1er janvier 2015 aura un impact certain sur leurs finances. À ce moment précis, un nombre important de chômeurs arriveront en « fin de droit », puisque la limitation à trois ans du droit aux allocations d’insertion a pris cours le 1er janvier 2012. Au-delà de cette première « charrette », le poids de cette mesure continuera à se faire sentir de manière cumulative, au fur et à mesure qu’elle frappera de nouveaux contingents de chômeurs de cette catégorie qui se retrouveront sans revenu du jour au lendemain. Le gouvernement a décidé d’accorder aux CPAS des compensations financières eu égard aux charges supplémentaires qui leur seront occasionnées de ce fait. À partir de quand et sur quelles bases ? Mystère jusqu’à ce jour. Les compensations sont négociées par les CPAS. Seront-elles à la hauteur de leurs attentes ? Si oui, poursuivront-ils leur fronde contre les exclusions par l’Onem ?

Un financement des CPAS toujours plus rationné

Le financement des CPAS pose question, indépendamment du transfert de charges dues aux exclusions de chômeurs. Il constitue une architecture très complexe qui mêle tous les niveaux de pouvoir : fédéral, régional, local et même européen (pour l’octroi de certains subsides importants). Les villes sont censées combler le déficit des CPAS, mais elles ne sont désormais plus dans cette logique. L’intervention d’une commune dans le financement de son CPAS – la « dotation communale » – est fixée dans le budget. Au CPAS de se débrouiller avec ce qu’on lui donne. Les moyens financiers ne sont plus déterminés en fonction des besoins, ce sont les besoins qui doivent s’adapter aux moyens. Lors du récent vote des budgets 2014 des villes et CPAS, les dotations communales ont été rabotées, parfois seulement indexées et parfois même pas. Alors qu’on s’attendait pourtant à une « explosion » des demandes…

La faute au fédéral ?

Les fédérations de CPAS dénoncent le transfert de charges du fédéral (Onem entre autres) vers le local sans que les moyens ne suivent. Elles n’ont pas tort… sauf que le « fédéral » est composé des mêmes partis que ceux qui dirigent les CPAS locaux. D’un côté ils votent l’austérité, de l’autre ils s’en plaignent. D’aucuns parlent d’une « communalisation de la sécurité sociale ». Il serait plus juste de parler du remplacement de pans entiers de la sécurité sociale par un système d’aide sociale qui est d’essence totalement différente. Les allocations de chômage sont, dans le principe, allouées indépendamment de la situation financière ou patrimoniale (l’instauration du taux cohabitant ayant cependant enfoncé un sacré coin dans ce principe). Ce n’est pas le cas pour les allocations relevant de l’aide sociale (RIS, allocation pour handicapé) qui sont accordées sur base de l’« état de besoin » du demandeur et de sa famille.

Un droit « à géométrie variable » ?

Ceux qui dénoncent cette « communalisation » sont souvent les mêmes qui défendent farouchement le maintien de l’autonomie la plus grande des CPAS. Or, les acteurs de terrain sont unanimes sur ce point : il existe de grandes différences de traitement d’un CPAS à l’autre. Que ce soit dans la façon d’appliquer la loi fédérale instaurant le droit au RIS ou dans la détermination du type d’aides complémentaires au RIS. Est-il acceptable qu’un droit aussi élémentaire soit à géométrie variable ? Afin de créer les conditions d’un traitement égalitaire, une revendication élémentaire s’impose : le remboursement à 100% du RIS par l’État aux CPAS. Actuellement, le taux de remboursement varie entre 50 et 100% en fonction d’un certain nombre de critères, dont la taille du CPAS et la catégorie de bénéficiaires. Cette revendication devrait se situer dans la perspective d’un refinancement global des CPAS. Dans la même optique, ne pourrait-on pas mettre en débat le caractère communal de l’institution ? Est-ce un tabou ? On entend déjà hurler les CPAS… Les CPAS, « dernier rempart contre la pauvreté » ? Le seul vrai rempart consisterait à mettre fin aux politiques d’austérité en vigueur depuis de longues années. On n’en prend pas le chemin. Les fédérations de CPAS poussent des cris d’alarme. Mais au-delà de la survie de l’institution, ce sont bien les droits élémentaires des usagers qui sont en danger. Le risque existe que ces cris d’alarme servent de prélude à des mesures de restrictions qui frapperaient les plus pauvres.