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Les femmes migrent aussi

«Réfugiés. Demandeurs d’asile. Migrants. Clandestins accostant comme ils peuvent sur les rives européennes de la Méditerranée, à moins de s’être noyés avant. À regarder les images, à écouter les commentaires, on a l’impression que l’immigration est une affaire d’hommes : de jeunes gens partis chercher, au péril de leur vie, de quoi subvenir aux besoins des leurs, tandis que les femmes attendent patiemment à la maison, au milieu d’une ribambelle d’enfants, l’argent qu’enverra le mari, le frère, le fils… — Dans les mouvements actuels des sans-papiers, on voit quand même un grand nombre de femmes… — … mais pas souvent parmi leurs porte-parole… — Je dis peut-être une bêtise, mais est-ce tellement important? Homme ou femme, un migrant est un migrant, qu’importe que l’on écrive «M» ou «F» sur l’absence de carte d’identité… — Justement si, c’est important! Parce que les femmes partent parfois pour des raisons spécifiques, échapper à un mariage forcé, par exemple; qu’elles empruntent des filières spécifiques, pour aboutir à des exploitations spécifiques, en esclaves domestiques ou dans la prostitution; et qu’elles rencontrent aussi des dangers spécifiques, parce qu’elles voyagent avec des enfants ou encore, parce qu’elles encourent toujours le risque de viols, par les passeurs comme par leurs compagnons de voyage… — Bonne nouvelle, pour la première fois, l’ONU s’intéresse au sujet Rapport 2006 sur l’état de la population mondiale publié par le Fonds des nations unies pour la population consacré aux femmes migrantes.., et que découvre-t-on? Qu’un migrant sur deux est une femme, que dans certains pays comme les Philippines, le Sri Lanka ou l’Indonésie, la proportion peut aller jusqu’à 80~%! En plus, alors que c’est l’homme qui garde l’image du pourvoyeur d’argent, ce sont les femmes qui envoient vers leur pays la plus grosse part de leurs (maigres) salaires: l’équivalent de 200 milliards d’euros, bien plus que l’aide publique au développement! — Alors c’est «gagnant-gagnant»? Ces femmes améliorent à la fois le sort des leurs dans leur pays d’origine et celui des habitants de chez nous, où elles prennent en charge des tâches aussi utiles que négligées, comme la garde des enfants, les soins aux personnes âgées et aux malades… — … et c’est ainsi qu’après leur avoir piqué les matières premières, nous dévalisons aussi ces pays de leurs cerveaux et de leurs mains! Rien que la Grande-Bretagne aura besoin de 250~000 infirmières d’ici deux ans: de quoi vider une bonne partie de l’Afrique et de l’Asie! — Mais les infirmières, c’est en quelque sorte l’aristocratie des sans-grades; la plupart de ces femmes aboutiront plutôt dans l’économie dite «informelle». Le rapport le dit bien: ce sont avant tout les conditions d’immigration restrictives de nos pays développés qui mettent beaucoup de ces femmes en danger, en les livrant aux trafiquants. — Mais au fait: pourquoi n’accueillons-nous pas décemment ces femmes dont nous avons tellement besoin? Pourquoi d’ailleurs en avons-nous tellement besoin? Parce que nous refusons d’investir dans ces domaines comme la santé, les soins aux personnes, en laissant ces emplois précaires, peu protégés, mal payés, aux femmes d’ici, et quand elles n’en veulent plus, dans ces conditions en tout cas, nous les abandonnons aux femmes d’ailleurs. Une bonne manière de ne pas s’interroger sur ces besoins-là et la façon de les satisfaire!»