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Les malheurs de Roger

«Ah, encore un dossier sur Mai 68 ! Encore un bilan de ses «dérives», ses «excès», ses «impasses»… Au nom du féminisme, permettez-moi au contraire de lui rendre un hommage vibrant, car si quelque chose en est resté de précieux, c’est bien le bouleversement de la vie des femmes, qu’elles soient féministes ou non. — Justement, je viens de terminer le bouquin de Jean-Pierre Le Goff, indispensable sur le sujet, paraît-il Toutes les citations sont extraites du livre de Jean-Pierre Le Goff, Mai 68, l’héritage impossible, chapitres 19 et 20. Eh bien, on ne peut pas dire qu’il partage ton avis. Rien que les intertitres des deux chapitres consacrés à la révolte des femmes, c’est déjà tout un programme: Le fantasme de la toute puissance. Le sexisme inverse. Ou pire: Le «crime parfait?» où il raconte, avec force détails, le meurtre d’un bébé mongolien au nom de la revendication à l’autonomie individuelle. — Il précise que «ce cas extrême est loin d’être représentatif»… — … mais il y consacre tout de même deux pages. — Mais Le Goff n’est pas plus tendre ou complaisant avec les autres aspects de Mai… — Certes, et on ne peut lui reprocher de bonne foi ni son regard critique, ni même sa sévérité. Par contre, ce qui est navrant — mais tellement habituel, hélas! — c’est ce regard masculin qui ne s’assume pas comme tel, mais se prétend universel. — Euh, oui, mais encore… — Eh bien, il faut lire l’histoire d’un certain Roger, qui serait typique des «déboires des militants amoureux de féministes». — On frémit déjà. — Roger quitte femme et enfants pour cohabiter avec Anne, «malgré les réticences de cette dernière». Voilà qui commence bien: elle ne veut pas, il s’installe, et on nous demande de compatir à ses malheurs à lui. «La rééducation de Roger est difficile. Il passe l’aspirateur et fait la vaisselle». — … on sent une montée d’indignation chez les mâles… — «Cela ne peut suffire. Devant les récriminations incessantes de Anne, il finit tout simplement par proposer de manger au restaurant et de prendre une femme de ménage». — Ah les hommes, quel esprit pratique ! Bizarre que les femmes n’y aient jamais songé, au lieu de râler sur l’injuste partage des tâches ménagères ! — Commentaire de sa compagne: «Il renvoie la solution du problème ailleurs». Ben oui… sur une autre femme, justement… Passons sur ses problèmes au lit. L’effet dévirilisant de l’aspirateur, peut-être… ? Mais il y a pire. Le malheureux assiste, «recroquevillé dans un coin», à des réunions où il est décidé d’exclure les hommes, dont lui, dont les efforts sont si mal récompensés… — Il est évident que jamais, une femme n’a été exclue d’une réunion de mâles. On est en pleine tragédie. Encore un peu et il devait apporter du café à ces enragées! — «Anne passe désormais son temps avec ses copines et délaisse Roger…» Jamais un homme ne ferait une chose pareille, passer du temps avec ses copains en délaissant sa femme. Enfin, Anne tombera amoureuse d’une autre femme et abandonnera Roger pour de bon. Ecrasons une larme. On aurait aimé connaître la suite, mais «on ne saura pas ce qu’il est advenu de Roger… compagnon éphémère d’une féministe qui est allée jusqu’au bout». On ne saura pas davantage, du moins dans le bouquin, ce qu’il est advenu d’Anne… mais qui cela intéresse-t-il ? — Pour clore l’exercice, il suffit de remplacer Roger par Régine et Anne par Anatole. Et on aurait là le résumé hélas si banal de la vie de tant de femmes…. dont si peu d’hommes trouvent à s’indigner.