Retour aux articles →

Les médias avant le 7 juin (2009)

Un débat sur l’Europe ?

«Un hold-up sur la campagne» déclare José Bové ; il reproche à Nicolas Sarkozy, François Bayrou et François Hollande de n’avoir d’yeux que pour la future présidentielle. Dans Libération Daniel Cohn-Bendit évoque  «l’enlèvement de l’Europe». C’est un plaisir, en pleine campagne électorale, de s’immerger dans la réalité d’un pays voisin : le zoom sur la situation belge s’en trouve facilité, car on est dans un processus identique : le débat européen s’efface devant les figures de proue, leurs «petites phrases»… Des élections permettent souvent d’éclairer un sujet relégué à l’arrière-plan, comme récemment l’Afrique du Sud et l’Inde. Pour l’Europe cela pourrait être plus souvent : en 2005, l’approbation par le Parlement de la Constitution européenne était en septième position dans le journal de la VRT. Il n’y avait pourtant aucun évènement extraordinaire ; c’est juste la place habituelle de l’Europe. Et la Belgique n’a pas l’habitude de lancer ouvertement le débat européen. Pourtant des élections permettraient de rectifier le tir, avec de belles questions : Qu’attendre des institutions européennes devant les lacunes flagrantes mises à jour par la crise financière ? L’UE va-t-elle exercer un contrôle collectif au lieu de laisser ses États-membres (ou le marché) faire le ménage en rangs dispersés ? Que peut faire un Parlement combatif ? Enfin, quel avenir pour l’Europe sociale tellement en retard par rapport au projet économique qui a servi de base quasi exclusive à la construction européenne et où l’Union a montré récemment sa faiblesse ? En donnant une large interprétation au mot social : la sécurité sociale, le droit du travail, la solidarité avec le Sud, et la politique d’asile et d’immigration. Et çà ne s’arrête pas là. Alors que l’UE a raté l’occasion d’offrir une vraie constitution à ses citoyens pour n’avancer qu’avec un substitut comme le Traité de Lisbonne, le 7 juin était l’occasion rêvée d’expliquer à l’électeur une conception de l’avenir institutionnel européen et de son prochain élargissement, une approche pour remédier au déficit démocratique et à l’éloignement du citoyen. Suffit-il de placer un candidat d’origine turque en place éligible si l’on évite le débat sur l’adhésion de la Turquie ? On entend trop peu la vision des candidats, premiers responsables de la manière dont ils s’adressent à l’électeur. Les médias la relaient et c’est bien normal : il y a une dialectique entre la qualité du débat politique et celle des médias. Le lieu commun du monde politique consiste à se soumettre à une logique médiatique dominante, comme s’il y avait là une loi d’airain. Cela dit, la presse ne fait rien pour pousser les politiques à approfondir les choses : elle en reste aux clichés. Le livre de Verhofstadt est présenté mais sous l’aspect de l’admiration béate. Il n’y a qu’Edwy Plenel pour signaler que les idées de Verhofstadt diffèrent à peine de celles de Barroso. Venons-en au duel entre Dehaene et Verhofstadt : non seulement ce «match de boxe» évite la confrontation des idées, mais il relègue les autres candidats hors du ring. Première victime, Kathleen van Brempt du SP.A se signale par une publicité électorale sur le thème : «J’aurais voulu être une vache». En d’autres mots, il n’y a pas de vaches défavorisées, mais bien 19 millions d’enfants défavorisés. Réponse élégante du président du Boerenbond : «Je voudrais que Van Brempt soit une vache». Or la politique agricole commune va être revue, ce qui est une bonne chose pour les fermiers africains, mais aussi pour d’autres secteurs sous-estimés et sous-financés, dont peut-être les mesures sociales suggérées en faveur des enfants défavorisés. Dans sa pub, elle exige un doublement de l’allocation scolaire flamande. Le plaidoyer de Kathleen Van Brempt (voir son site web) pour une hausse des allocations familiales fait penser aux campagnes des années cinquante et rate sa cible : le déficit social de l’Europe. Mais la question qui reste dans les médias est de savoir si Van Brempt est ou non une vache. Elle n’a qu’à s’en prendre à elle-même, mais cela en dit long aussi sur les médias. Et puis au fond, c’est comme femme politique flamande qu’elle se profile plutôt qu’européenne. On y reviendra.

Une indigestion de nouvelles

Ni Albert II, ni Herman Van Rompuy ne sont présidentiables et pourtant… Nous avons eu droit au match de boxe entre Dehaene et Verhofstadt, et aussi au duel Reynders-Di Rupo pour le pouvoir en Wallonie sans trop de questions sur l’efficacité du plan Marshall. Voyez le duel De Gucht-Dedecker, annoncé avec orgueil par le media organisateur de ce combat de coqs : du show et de l’entertainment de premier ordre avec des politiques comme acteurs parce qu’il y a par hasard une campagne électorale. Qui donc fait des recherches sur l’information digitale disponible ? Personne ou presque. Or il y a là un terrain de premier choix pour des professionnels qui voudraient éclairer les choix du public. La matière est énorme. Sur les sites les avis les plus inintéressants reçoivent autant d’attention que les autres. Où est la hiérarchie qui doit permettre au lecteur, utilisateur, consommateur, de mettre de l’ordre ? La googlification, accompagnée de sa maxime all information is equal, est devenue trop forte. Dessinons les lignes de force de l’approche médiatique. D’abord le délassement pèse plus fort que jamais auparavant. La politique reçoit sa place dans le monde de la réalité virtuelle. Ensuite les médias font les politiciens. Cette tendance se marque surtout dans les programmes quotidiens : voyez comment Bracke & Crabbe ont fait de Freya Vandenbossche une nouvelle étoile. Plus personne ne se risque à attaquer «un homme intelligent comme Bart De Wever» depuis qu’il a révélé sa qualité de lecteur de Dag allemaal. Troisièmement, les personnes sont plus importantes que les thèmes. On le savait mais cela s’accentue. L’analyse critique du message doit faire place au dialogue jovial avec le messager. Les plombiers de grand format comme Dehaene ne passent plus dans le paysage médiatique actuel. Les parlementaires dévoreurs de dossiers et travailleurs tombent, dans le meilleur des cas, à des places inéligibles, voyez Ann Van Lancker. Ceux qui sont «médiagéniques» avec un bon look et un bon nom de famille ne doivent se présenter que comme Jean-Jacques, Tom, Peter, ou Freya, sous le regard fier des papas Karel, Jean-Luc, Herman et Luc. Le summum du culte de la personnalité est illustré par les démêlés de Marie-Rose Morel au sein du Vlaams Belang : on ne parle pas de son programme mais de sa place inéligible et de sa santé. Enfin, il y a le constat de ce que les élections européennes ne sont pas importantes, ni pour les politiques, ni pour les médias. En France elles ne sont qu’un baromètre de popularité pour Sarkozy. En Belgique elles sombrent dans le néant face aux élections régionales. La meilleure illustration : Patrick Janssens présentant l’équipe des candidats anversois pour les élections régionales avec Van Brempt présentée comme la meilleure candidate pour un poste de ministre flamand : sa première place sur la liste européenne n’avait visiblement pas d’importance. On peut à nouveau reprocher au monde politique de créer le brouillard. Mais les médias sont complices et ratent aussi l’occasion de mettre l’équipe anversoise sur le grill à propos du débat sur la mobilité à Anvers.

La Flandre lâche Bruxelles

Les élections flamandes ont donc mis l’Europe hors jeu. Mais à dire vrai le cordon ombilical avec le sol flamand ou le bois de chêne dont nous sommes faits n’a pas retenu notre attention. Il y a quand même aussi des élections régionales à Bruxelles, non ? Premier article trouvé : le Vlaams Belang attaque la commune d’Etterbeek pour une histoire d’affiches. Par ailleurs Pascal Smet veut rappeler à l’ordre la commune de Woluwé-Saint-Lambert qui imprime des convocations pour trois communes à facilités. En bref la politique politicienne bruxelloise. Bof me dit Gaston Lagaffe, c’est çà l’info que je reçois sur Bruxelles ? N’est-elle pas un point délicat de la nouvelle Belgique ? Bruxelles dont le carcan a déjà explosé sur le plan économique. Qui va bâtir politiquement sur les fondations construites par le Kunstenfestival des arts ? Par ailleurs, quelles solutions pour les nombreuses institutions manquant de transparence et d’efficacité ? Un article du Monde m’apprend que les bourgmestres sans écharpe de Kraainem, Linkebeek, et Wezembeek-Oppem organisent les élections, alors que leurs collègues nommés d’autres communes périphériques refusent de le faire. Qui va mettre en évidence les contradictions du ministre Keulen sanctionnant les uns et pas les autres ? Le Monde ne maîtrise pas bien la problématique de BHV, ce qui est inacceptable pour un journal de qualité. Mais au fond où en est l’idée de la scission exigée plusieurs fois par le parlement flamand ? C’était une question de cinq minutes de courage politique. BHV n’était pas un thème dans cette campagne, s’en souviendra-t-on après au sein de mes confrères de la presse écrite et audiovisuelle ?

La fin de van Rompuy ?

Le véritable enjeu apparaît progressivement au cours de la campagne, à savoir qui a le pouvoir dans la Belgique fédérale. La possibilité de voir la composition du gouvernement changer au lendemain du 7 juin est annoncée par Karel De Gucht dans De Zevende Dag ; il indique au passage que pour lui la nouvelle équipe au pouvoir en Flandre pourrait aussi bien comporter la NVA que le SP.A comme partenaire, mais c’est moins important. Peu après, Didier Reynders lance une attaque frontale contre Elio Di Rupo : le 7 juin doit mettre fin à l’hégémonie du PS dans la Belgique francophone. Une telle évolution aurait quasi inévitablement comme conséquence d’amener la fin de la participation gouvernementale du PS au plan fédéral. La question de savoir si le gouvernement Van Rompuy va survivre à une modification importante et si nous n’allons pas inévitablement devoir en venir à des élections fédérales à l’automne n’est pas sans importance. Mais alors on pourrait penser qu’il va falloir déplacer le débat et que la question de l’opportunité d’élections simultanées revienne au devant de la scène. C’est alors qu’on remarque combien les médias d’aujourd’hui manquent de flexibilité. Les émissions et les articles sont préprogrammés, les personnes de référence et les thèmes de reportage aussi. Le menu paraît superbe, mais ce qu’on vous sert provoque une indigestion. C’est du fast food prémâché au lieu de plats composés avec les ingrédients du marché, «frais du jour». Une telle stratégie médiatique, élaborée des mois à l’avance et liée à une campagne de marketing, échoue dans ce qui fait la force du journalisme : la précision thématique et l’approfondissement du contenu.

La gauche va-t-elle rester sur la touche ?

L’éventualité de voir les élections du 7 juin éjecter le PS des gouvernements fédéral et wallon, et le SP.A du gouvernement flamand, est en soi à nouveau une opportunité de débat et de réflexion. Nous voyons depuis des années dans les pays voisins comment une alternative, qui se développe à gauche des partis socialistes, attire des électeurs. En Allemagne Die Linke , aux Pays-Bas le SP de Jan Marijnissen, en France le Nouveau parti anticapitaliste. Besancenot n’est toutefois pas parvenu à regrouper dans sa nouvelle formation politique l’ensemble de ceux qui se situent à gauche du PS. Les communistes ont formé un Front de gauche avec des socialistes de gauche en rupture de ban, et les trotskistes de Lutte ouvrière se sont également présentés séparément. Ce que ces partis, alliances, et listes, ont tous en commun, c’est leur insatisfaction par rapport à l’idéologie floue et l’action politique faiblarde des socialistes traditionnels. On aurait aimé voir éclairer cette évolution, au moins dans la presse progressiste. Mais non, on dirait que la Belgique est une île où les tendances qui apparaissent dans les pays voisins n’ont aucune retombée et où la surprise par rapport à la défaite électorale sera donc totale. Il est vrai que Jef Sleeckx n’a pas déposé de liste Cap, qu’Eric De Bruyn reste probablement trop marginal au SP.A, et que le PVDA – malgré le signe + derrière son nom – garde son aura de maoïste sectaire ; mais imaginez que PTB gagne un siège à Liège : les médias ne nous auront rien annoncé. Cela dit, si demain Peter Mertens du PVDA+ apportait la surprise de ces élections, ce ne sera pas parce que le service public de l’audiovisuel lui aura donné une tribune… Dans l’édition de Libération publiée sous le titre «Le printemps de Marx» (mais si), un journaliste français indique : «J’ai appris qu’il faut surveiller les contestataires de quelque bord qu’ils soient. Car c’est d’eux que viennent les idées de demain». Si l’on transpose cela à la situation belge, la question devient : quand le SP.A intègrera-t-il encore dans ses rangs un premier de classe comme le trotskiste Frank Vandenbroucke ? Où sont donc les démocrates chrétiens qui feront bientôt partie d’un bureau extraordinaire ? Quand Groen ! enverra-t-il encore au Parlement, pour plus longtemps que cinq ans, des élus ayant le calibre d’un ministre d’État ? Quelle sera la formation politique qui sera en mesure de disposer d’une réserve de talents, maintenant que la Volksunie a fourni sa dernière livraison ?

La crise n’est pas le thème des élections

Puisque nous en sommes à la gauche, il est frappant de voir comment elle n’a pas mis à profit la crise économique et financière qui nous a frappés. La Belgique vend ses bijoux de famille : Fortis est dans des mains françaises ; si Opel reste en activité à Anvers, ce sera pour tomber dans les mains de la mafia russe (ou presque). C’est de nouveau en consultant Le Monde, qui titre à la une «La France fait-elle main basse sur les entreprises belges ?», que je vois cité un banquier flamand anonyme : «Sans l’Euro c’eut été l’Islande». Du pain bénit pour la gauche allez-vous penser, avec ces élections qui approchent. Pas du tout. Qui entendons-nous par contre, au début de la crise bancaire, plaider pour la nationalisation de Fortis ? Le professeur d’université et ancien sénateur libéral Paul De Grauwe. Du côté du front de gauche rien à signaler. Mais ce phénomène de la social-démocratie d’Europe occidentale restant sans réponse face à la crise doit être replacé dans un contexte plus large. L’électeur allemand cherche le salut auprès d’Angela Merkel de la CDU, Die Linke voit sa popularité augmenter. Avec Martine Aubry le PS ne se profile pas cette fois-ci comme un parti d’opposition : les voix protestataires iraient plutôt selon les sondages vers une figure centriste comme Bayrou. Il y a clairement quelque chose qui cloche au sein de la gauche européenne. Dommage que la presse se soit si peu intéressée à mettre ce phénomène en évidence et à l’analyser. Si dans cette période difficile l’électeur en vient à considérer qu’il n’y a rien à attendre de la gauche, alors les progressistes européens se retrouvent avec un problème énorme. Avec l’arrivée prochaine de la Croatie, l’Europe va évoluer à grands pas vers la droite.

La droite fait de la musculation

Le phénomène marquant en Flandre, mais qui dépasse de loin les limites de la région, c’est la montée de partis populistes et conservateurs radicaux, qui ont en partie pris de la distance avec certains éléments nauséabonds. LDD et NVA ne sont pas des exceptions. La Forza Italia de Berlusconi peut être le modèle d’une Forza Flandria qui verrait le jour lors des suites d’une prochaine copulation, après la première tentative avortée. En France, Sarkozy a coupé le souffle du Front national en exécutant simplement une bonne partie de son programme, à l’exception de ce qui concerne les chambres à gaz. Aux Pays-Bas, Geert Wilders a rentabilisé l’héritage de Pim Fortuyn et le PVDA a perdu la moitié de ses partisans. En Pologne les jumeaux Kaczinski gardent un poids politique majeur. Ce qui est manifestement infâme a été banni du discours de la droite musclée. On ne parle plus de charters pour ramener les étrangers chez eux, mais l’Italie renvoie impitoyablement ses demandeurs d’asile en Afrique. Sarkozy menace de nettoyer des quartiers parisiens au karcher, et dans les rues de la Varsovie des Kaczinski on ne veut pas d’une manifestation homo. Même si les aspérités les plus laides sont donc polies, la vision de la société que ces messieurs soutiennent ne fait plus penser à aucun égard aux idéaux de Robert Schuman lors de la création de l’Europe des Six. Pour combien de temps encore le Alle Menschen werden Brüder européen fera-t-il entendre son hymne à la joie ? Donner une réponse face à cette évolution marquante, voilà un défi de tout premier plan pour le monde politique. Mais si les médias flamands n’étaient pas à ce point préoccupés de ce qui se passe sous leurs clochers, et s’ils avaient la capacité de prendre de la distance par rapport au narcissisme du monde politique, alors ils auraient pu mieux replacer des phénomènes comme la LDD et la NVA.

Des cendres sur le front

Tant les médias que le monde politique ont des cendres sur le front, car ce sont leurs manquements qui ont permis à un Dedecker de jouer à Calimero. C’est précisément pendant cette période que l’éminence grise des politologues, Luc Huyse Le lecteur de Politique relira avec intérêt le texte de Luc Huyse publié dans le n°54 d’avril 2008 sous le titre «Questions à mon fabricant de journaux». (NdT.).., a fait la leçon aux médias avec son style acéré et précis. Il met en évidence deux éléments. D’abord exprimez votre critique comme consommateur des médias, pas uniquement en votre nom mais de manière collective ; formez un groupe d’intérêts qui exprime son mécontentement : «L’activisme du lecteur, de l’auditeur, du téléspectateurla construction d’un mouvement des consommateurs de médias serait de loin le pas le plus important. Car la parole n’est vraiment libre que lorsqu’elle reçoit l’appui d’un groupe». Cela me fait penser au débat récent sur France Inter entre des auditeurs mécontents des nombreux sondages à fiabilité discutable et la rédactrice en chef qui leur répondit et annonça une diminution de la référence à des sondages pendant le reste de la campagne. La deuxième proposition de Huyze c’est la nécessité d’un forum où chacun puisse exprimer ses remarques comme consommateurs des médias. «Pour un grand nombre de produits et de services, le consommateur peut faire appel un mouvement de consommateurs dynamique et actif… ou à un ombudsman indépendant qui rassemble les plaintes et les traduit en réflexions critiques et en propositions… Les journaux, la radio, et la télévision, livrent un produit qui a pris énormément d’ampleur. Et pourtant on doit constater l’absence de toute forme de mobilisation de leurs consommateurs.» Les initiatives de pressformore.be et mediakritiek.be sont intéressantes à cet égard. Pourtant il y a peu de professions qui s’interrogent autant sur elles-mêmes, y compris publiquement. Comparez le Conseil du journalisme avec l’Ordre des médecins ou celui des avocats. La note de la VRT d’il y a une dizaine d’années concernant le Vlaams Blok est un bel exemple de référence pour indiquer comment approcher des thèmes difficiles. Mais combien de fois a-t-on confronté un communiqué, une interview, un reportage, un débat aux consignes contenue dans cette note ? Plus personne aujourd’hui ne connaît encore son existence. C’est un bel exemple de ce qui cloche dans les médias : une fois le débat interne mené, les journalistes passent simplement à l’ordre du jour, et les mécanismes sous-jacents sont tellement dominants que l’indispensable autocorrection n’a pas lieu. Avec le poids des approches médiatiques motivées par des motifs économiques, la déontologie a peu de chances de survie.

Une campagne attendue et prévisible

Les points saillants de cette campagne se comptent sur les doigts de la main. Il s’est quand même trouvé quelqu’un, à savoir Bart De Wever, pour affirmer que certains aspects de la propagande et le programme du Vlaams Belang étaient racistes. C’est pour cela que les autres partis avaient érigé en son temps le cordon sanitaire. Est-ce çà on pourrait aussi l’entendre svp ? Est-ce que Fientje Moerman pourrait la prochaine fois simplement dire que le programme du VB est inacceptable et arrêter de chipoter en disant qu’il est trop loin de celui de l’Open-VLD ? Le prix de la meilleure petite phrase peut être décerné à Frank Vandenbroucke pour sa transformation du slogan du VB «eenzijdige onafhankelijkheidsverklaring» en «extreem onhaalbar verhaaltje» «déclaration unilatérale d’indépendance» et «petit plan totalement irréalisable»… Le prix de consolation ira à Mieke Vogels qui par le saucissonnage du dernier débat TV a été obligée de discuter de détails de la politique de santé au lieu de pouvoir exposer le new deal ambitieux des verts et est retombée, horresco referens, sur le «anders gaan leven» «vivre autrement», qui servit de base au nom précédent des verts flamands Agalev.. du Père Versteylen, et s’est fait allumer par les commentateurs à la fin du débat comme l’une des grandes perdantes. Il faut dire que la discussion sur la crise économique était strictement limitée à la question de savoir s’il fallait ou non des aides publiques pour Opel… La pierre d’achoppement est comme toujours le recours à de nombreux sondages. Visiblement l’opérateur public de télévision n’a plus de budgets pour des exit polls et leur analyse. Par ailleurs il se limite à citer régulièrement les sondages réalisés par d’autres médias. Vérifier soi-même la fiabilité de l’info n’est plus un critère. Un dernier point : pour évaluer l’intervention des médias pendant une campagne, il ne faut pas limiter aux quelques semaines qui les précèdent et à leurs nombreuses émissions et pages spéciales. Ce serait comparables aux missions d’observation qui vont voir si tout est free and fair et vont pour cela 48 heures ou une semaine sur le terrain. Quand ils arrivent tout s’est déjà passé : règlements de compte, menaces, manipulations, préparation de la fraude électorale organisée. Il faut une surveillance permanente. Il en va de même pour les médias dans ce qui nous occupe : la façon dont on informe et la programmation audiovisuelle pendant les mois et les années qui séparent deux élections pèse lourdement. C’est ainsi que les médias ont créé le phénomène des BV («Bekende Vlamingen») qui a catapulté des poids légers en politique. Ce dernier hiver nous avons pu observer Bart De Wever superstar. Le culte de la personnalité est aussi un facteur qui empêche d’ôter de l’écran les ragots à la Jean-Marie Dedecker. On a visiblement pas tiré les leçons de l’époque malsaine où un escroc nommé Jean-Pierre van Rossem recevait la parole à tout bout de champ. Comme disait Jan Fabre en 1982, «c’est du théâtre comme on l’avait prévu et comme il fallait s’y attendre». Sa pièce a fait fureur partout dans le monde. Cette dernière campagne montre que cela a aussi été le cas au sein du monde politique et de celui des médias.