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Les prisons au bout du rouleau (présentation)

Les prisons sont un murmure perpétuel dans la presse et les discours politiques. Perpétuel, car les problèmes qu’elles rencontrent sont lancinants, redondants, récurrents : surpopulation, grève, insalubrité, violence, drogues… Murmure, car, bien qu’enjeu essentiel et représentatif de ce qu’une société offre comme perspective, ce sujet intéresse peu. Il ne doit pas faire de vagues, on ne doit pas en parler trop fort au risque de susciter des envolées passionnées sur un détenu ou l’autre alors qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg, la face visible d’un problème que les politiques préféreraient souvent enterrer. Pourtant, le malaise persistant que représente la réalité carcérale existe bel et bien et ne cessera pas simplement. Les problèmes complexes demandent des réponses complexes. Or, dans une société où la petite phrase est élevée au rang de discours politiques, « Enfermons-les tous ! », c’est plus simple, plus porteur et, finalement, le seul discours qu’on entend encore. Mais c’est faire fi des enquêtes, des recherches, des réalités statistiques qui montrent que la prison, telle qu’elle existe, ne règle pas grand-chose.

« Si l’on veut vraiment purger la société de la violence faite aux femmes, on ne peut pas compter uniquement sur la prison, qui a tendance à reproduire cette violence. » .Angela Davis.

Dans une interview au Soir, le 16 mai 2012, au moment où elle était faite Docteur honoris causa de l’ULB, Angela Davis, militante américaine des droits de l’Homme et professeur de philosophie, disait ceci à propos de la criminalisation des violences faites aux femmes : « Cette violence a été criminalisée : les hommes qui se rendent coupables de faits de violence sur les femmes sont de plus en plus systématiquement envoyés en prison. Mais dans le même temps, on se rend compte que le nombre d’agressions commises ne diminue absolument pas… Cela signifie que si l’on veut vraiment purger la société de la violence faite aux femmes, on ne peut pas compter uniquement sur la prison, qui a tendance à reproduire cette violence ». La violence, y compris sociale et sociétale, engendre la violence et ce constat est valable pour de nombreux crimes et délits. Nous avons souhaité nous emparer de cette thématique, la mettre à l’avant-plan, et transformer le murmure pour poser la question : « Nos prisons sont-elles représentatives de notre société ? », fil conducteur de ce dossier. Les prisons sont avant tout des institutions. Axel Piers, directeur de la prison de Mons, a répondu à nos questions. Il brosse un tableau général du quotidien d’une prison. Didier Breulheid, ancien agent pénitentiaire, qui est maintenant permanent syndical, aborde lui la question de la privatisation des prisons. Delphine Paci, juriste et directrice de l’Observatoire des prisons, et Rudy Schrouben, agent pénitentiaire, échangent sur deux sujets à l’origine de nombreuses tensions entre les détenus, et leurs représentants, et les gardiens : le service minimum et les sanctions en prison. Quant à Sophie Van Balberghe, ancienne membre du comité de surveillance de la prison de Forest, elle nous en parle comme d’un emblème involontaire des dysfonctionnements actuels. Dans les dysfonctionnements dont on entend le plus parler, la surpopulation arrive au sommet de la liste. Alexia Jonckheere et Éric Maes, chercheurs à l’Institut national de criminalistique et de criminologie, reviennent sur ses causes. Des représentants du PS, d’Écolo et du PTB, donneront leur point de vue sur quelques propositions politiques pour répondre aux problèmes engendrés par la surpopulation. Et Pierre Reynaert, de la direction générale des Maisons de justice, abordera la question des peines alternatives. Enfin, nous nous arrêtons sur la population en prison, sur ce qu’elle vit et sur qui y vit. Salim Megherbi, chercheur en criminologie à l’ULg, nous parle de la réinsertion des détenus, outil essentiel d’une justice réparatrice. Irène Kaufer évoque une population oubliée des prisons : les femmes. Fabienne Brion revient sur un cliché : « Ce sont surtout des étrangers en prison » et nous en offre une lecture différente. Joanne Clotuche aborde finalement une réalité cachée : ce sont surtout des pauvres en prison. Nous aurons alors un tableau presque complet des difficultés actuelles des prisons et les éléments pour entamer un travail de réflexion, affaire de tous. Ce Thème a été coordonné par Joanne Clotuche.