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Les Wallons sont nos amis

L’affaire est grave. Dans les stades flamands on chante «Les Wallons c’est du caca», on traite les Wallons de «pédophiles». Dernière trouvaille des vilains supporters : des cris et des banderoles sarcastiques proclamant «Les Wallons sont nos amis». Stop ! Halte-là ! La presse sportive francophone monte au créneau, tel le roi Albert de la chanson refoulant l’ennemi aux portes de l’Yser. La presse flamande est obligée de suivre le mouvement, la RTBF convoque le directeur général de l’Union belge sur le plateau de Studio 1 où veillent les gardiens du fair play, du foot propre, du beau jeu et des vrais supporters. Il faut savoir que chaque lundi soir, sur la Deux, Studio 1 organise un jeu de rôles, avec ses chroniqueurs à vif qui s’étripent sur des affaires de maillots tirés, de chutes simulées, de passes manquées (on ne dira jamais assez l’importance de l’«assist») et d’erreurs de marquage. Mais quand il s’agit de racisme, il n’y a plus qu’un seul homme. C’est aussitôt la paix des braves et l’union sacrée entre Rodrigo, Stéphane et Benoît. Eux vivants, le racisme ne passera pas ! Il y a toujours quelque chose de fascinant dans cette cécité assumée, revendiquée même, de la plupart des journalistes sportifs, dans leur obstination à traiter du sport comme s’il s’agissait d’une pure sublimation de l’être humain, d’une sorte d’extase où communient ceux qui offrent leur corps en spectacle et ceux qui s’y pressent pour les admirer. Ces journalistes vont au stade avec des œillères et les oreilles bouchées, ils ont un don d’amnésie exceptionnel. Ils ont oublié le Heysel millésime 85, ils n’ont jamais entendu des tribunes entières pousser des cris de singe quand un joueur noir touche le ballon (et ça dure depuis 35 ans, depuis que le football européen importe massivement des joueurs africains), ils ne se souviennent pas que l’année dernière, en France, une banderole avait fait grand scandale au match Paris-Saint-Germain – Lens : «Chômeurs, pédophiles, consanguins». Pédophiles, déjà… Ces mots étaient adressés par les supporters parisiens aux supporters lensois. L’imagination du supporter, de Paris ou d’Anvers, de Lens ou de Liège, n’est pas sa principale qualité. Dans tous les stades du monde, comme partout où la foule s’assemble pour assister à un combat, la tendance générale est plutôt à la régression (le «caca»…) qu’à l’élévation spirituelle. Il vaut mieux le savoir que s’en indigner par intermittence. Il a fallu dépenser des fortunes, grillager les tribunes, multiplier les mesures de sécurité, de surveillance, de répression pour réduire la violence dans les stades. Mais personne ne pourra jamais empêcher que ces lieux d’affrontement réglementé entre quartiers, villes, régions, pays, servent de défouloirs et permettent de libérer quelques vieux instincts. C’est aussi pour cela que le sport existe. Seuls ceux qui en vivent ne veulent pas le savoir. Pour en revenir à Studio 1, on y assista le 19 janvier à deux scènes édifiantes dont le héros malgré lui fut Stéphane Pauwels. Son rôle est habituellement de ruer dans les brancards, de faire l’arsouille et de laisser parler son grand cœur. Ce soir là, Studio 1 recevait Lilian Thuram, joueur français d’origine guadeloupéenne. Avant l’arrivée de Thuram en studio, Pauwels a surgi grimé en «Noir», comme on le faisait dans les pièces de théâtre jusqu’au milieu du XXe siècle, il a hurlé «Yes we can», a tenu quelques propos incohérents sur le thème du racisme, mélangeant Thuram et Obama, puis il a disparu. Quand il est revenu plus tard en studio, démaquillé, pour participer au débat avec Thuram, il s’est tourné vers le joueur français et lui a dit d’un air consterné : «Je n’aime pas le mot ‘noir’, dire ‘un Noir’, je n’aime pas ça, c’est pas beau»… Le regard de Thuram disait combien il aurait apprécié que Pauwels, déjà aveugle et sourd, s’essaie un peu au mutisme…