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L’été en hiver

Le sport est un bon indicateur de la réalité des choses. Le sport tel qu’il est bien sûr, pas tel qu’il se montre et se raconte. Dans sa version sublimée, le sport est un grand égalitariste : devant lui, il n’y a que des hommes et des femmes sans distinction d’origine, de couleur, de classe, de langue, de culture et de développement. Nord-Sud, connais pas ! Le sport est un langage universel, immédiatement communicable : le pauvre et le riche, le Noir et le Blanc, le lettré et l’analphabète sont égaux devant lui, avec même un certain avantage au pauvre, au Noir et à l’analphabète, qui y trouvent leur meilleure chance d’échapper à leur condition. La légende du sport fourmille de ces histoires de sous-prolétaires devenus multimilliardaires. Voilà donc pour la façade et la mise en scène. Toutes les cérémonies d’ouverture et de clôture des grands événements sportifs mondiaux n’en finissent pas de décliner cette égalité et cette fraternité. En réalité, le sport nous dit autre chose, en particulier lors de ces événements. La Coupe de monde de football a toujours lieu en juin-juillet. Les Jeux Olympiques ont toujours lieu en juillet-août. Quoi de plus normal, direz-vous, s’agissant des Jeux d’été ? Sauf que dans l’hémisphère sud, en juillet-août, c’est plutôt l’hiver. Voilà pourquoi, tous les JO depuis 1896 ont eu lieu dans des villes du nord, à une seule exception : Sydney en 2000. Les JO et les Mondiaux de foot coïncident tout naturellement avec les «vacances», ils se coulent dans le temps de loisir des gens du nord, quand l’air est doux et les soirées longues, propices à la contemplation télévisée de ces événements planétaire. Peu importe où ils ont lieu : en Afrique du Sud par exemple, ou au Brésil en 2014… Peu importe que là-bas les grandes vacances se situent en décembre et janvier. Pour les gens du sud, le Mondial de foot ne coïncide jamais avec leurs vacances d’été. C’est comme ça, ils ont l’habitude. Et quand on joue chez eux, les seuls surpris sont les gens du nord qui prennent vite froid au bord des terrains. Bref, en dépit des apparences, le Nord sportif dicte sa loi au Sud. En cela, il est conforme au modèle du football européen qui concentre la plupart des vedettes du football mondial, principalement africaines et latino-américaines. La Coupe du monde en Afrique du Sud, comme les précédentes, était en trompe-l’œil : les équipes nationales d’Afrique et d’Amérique latine y étaient largement, parfois entièrement (Nigeria, Cameroun, Côte d’Ivoire, Uruguay, Argentine, Brésil), constituées de joueurs des championnats européens. À l’exception de 4 équipes sur 32 (Japon, Corées du nord et du sud, Nouvelle-Zélande), la dernière Coupe du monde était une compétition européenne. On est ici dans une survivance du vieil impérialisme colonial, d’avant l’impérialisme américain (l’équipe des États-Unis est aussi faite de joueurs «européens»). Cet état de fait est le produit d’une double histoire, sportive et politique : le football a été inventé en Europe, dans l’Angleterre impériale, à l’époque où l’une et l’autre colonisaient le monde. Il était curieux de voir, avant les matchs de ce dernier Mondial, déployer une banderole «Say no to racism» et d’entendre les proclamations antiracistes des capitaines d’équipes. Il y avait quelque-chose d’absurde et d’anachronique dans ces parades. Qui songerait à dire oui au racisme ? Le sport, par la force des choses, n’échappe pas au racisme, mais il est aussi, par son universalisme, une sorte d’antithèse vivante du racisme. Cela fait cinquante ans que le football brésilien, le meilleur et le plus métissé du monde, a réglé la question. Le problème, c’est que la plupart des institutions sportives datent d’une époque antérieure, doublement révolue… Le problème n’est pas de «dire», mais d’agir, de décoloniser le sport, de défaire une à une les inégalités multiples, sociales, économiques, géographiques, linguistiques (les deux langues olympiques sont l’anglais et le français) dont il est à la fois le révélateur et le dissimulateur.