Retour aux articles →

Leterme Ier, l’art de ne pas choisir

Que peut-on espérer d’un gouvernement qui associe ceux qui veulent profondément réformer l’État et ceux qui n’y tiennent pas, ceux qu’obsède la date-butoir du 15 juillet et ceux qui s’en moquent, ceux qui ne voulaient à aucun prix du PS et ceux qui l’ont fait rentrer…? Rappelons ce truisme: la démocratie, c’est choisir.

En suivant de près les péripéties politiques qui séparent les élections du 10 juin 2007 de la constitution du gouvernement Leterme Ier en passant par l’épisode «Orange bleue» et le dernier intérim de Ver-hofstadt, il doit être possible de dénouer les logiques contradictoires à l’œuvre qui ont fait de cette curieuse pentapartite la seule coalition provisoirement praticable. Nous laisserons cet exercice à d’autres. Question d’hygiène mentale. À partir d’un certain degré d’absurdité, on n’a plus envie d’entendre les raisonnements savants capables de nous expliquer pourquoi il neigera au mois d’août. Pour reprendre ses esprits, il faut lever le nez du guidon et en revenir à quelques fondamentaux. Pour former un gouvernement fédéral en Belgique, on peut raisonner de deux façons. La plus logique, dans le cadre d’un État fédéral bicommunautaire qui ne compte plus de partis nationaux, eut été de faire gouverner ensemble les majorités, éventuellement différentes, qui peuvent se constituer au nord et au sud. C’est le modèle européen dont on dit souvent que la Belgique est la métaphore. En Europe, des États dirigés par des gouvernements de gauche, de droite ou du centre doivent trouver le moyen de s’accorder sur l’orientation à donner à la construction politique qui les englobe. Ce n’est pas facile, mais cahin-caha ça fonctionne. Mais pour d’obscures raisons, c’est une autre logique qui prévaut en Belgique. Paradoxalement, quand il s’agit de constituer un gouvernement fédéral, on voit se reconstituer des «familles», substituts improbables de partis nationaux dont pourtant plus personne ne veut mais dont l’arithmétique comparative détermine les équilibres et, notamment, le choix du Premier ministre. C’est ainsi que le CDH s’était retrouvé embringué dans l’Orange bleue avec les libéraux et son «grand frère» flamand du CD&V, ce qui n’avait pas l’air de l’enchanter spécialement. Dans ce cadre finalement très unitaire, le résultat des élections du 10 juin était sans équivoque. Tandis qu’en Communauté française, le rapport de force gauche-droite était resté stable (Écolo ayant progressé dans la même mesure que le PS reculait), la gauche s’effondrait en Flandre. Dans de telles conditions, en saine logique démocratique, elle devait prendre acte du reflux et abandonner l’exercice du pouvoir à un centre-droit légitimé par les électeurs. D’où l’Orange bleue qu’on pouvait discuter pour son programme mais pas dans son principe. Quant à la réforme des institutions, le sens de l’État commandait d’en faire un enjeu distinct de la constitution de la majorité gouvernementale. À côté des écologistes, vainqueurs en deuxième ligne des élections, qui ont rapidement défini des conditions claires pour une éventuelle participation et qui s’y sont tenus, il faut saluer l’attitude digne du SP.A dans la défaite. Par contre, on ne comprend pas celle du PS, qui n’avait pas moins de raisons que son alter ego du nord de s’offrir une cure d’opposition (opposition toute relative puisque les socialistes francophones auraient conservé la direction des exécutifs wallon, bruxellois et de la Communauté française). L’opposition n’est pas toujours un pis-aller pour un parti politique. C’est même, épisodiquement, une nécessité, et peut-être est-ce le cas aujourd’hui pour les socialistes dont la rénovation n’en finit pas de connaître des ratés. Aujourd’hui, commentant la déclaration gouvernementale, ceux-ci crient victoire à propos de telle ou telle déclaration d’intention, comme si le rapport de force leur était aussi favorable sous Leterme que sous Verhofstadt. Mais il y a un moment où l’habituelle argutie du «sans nous ce serait encore pire» ne convainc plus personne. Et, en particulier, la FGTB et le Mouvement ouvrier chrétien, soutiens critiques traditionnels des socialistes, n’ont pas vraiment l’air d’être convaincus. De deux choses l’une. Soit ce gouvernement est fait pour durer, et la crise de confiance entre le mouvement populaire et les partis politiques qui s’en réclament ne fera que croître. Soit ses jours sont comptés, il est destiné à capoter en juillet 2008 ou, dernier délai, au printemps 2009, et la crise de confiance s’étendra à toute la population à l’égard d’une «classe politique» traditionnelle à l’incapacité avérée. Plus que jamais, on a besoin de clarté. La distinction basique entre gauche et droite est peut-être simplificatrice, mais elle a surtout le grand avantage de rendre les affinités intelligibles. À force d’entendre, à chaque rendez-vous électoral, que toutes les coalitions sont possibles, qu’on va au scrutin les mains libres et qu’on est ouverts à toute proposition d’où qu’elle vienne, plus personne n’est en mesure de savoir à quoi l’engage son vote. Comme l’a déclaré la jeune présidente du SP.A, reprise par le président du Moc en clôture de la Semaine sociale, une coalition progressiste, de centre-gauche, est aujourd’hui mathématiquement possible en Belgique. Je ne suis pas sûr qu’une telle coalition répondrait à toutes les attentes, mais elle aurait au moins une vertu : celle de rendre la politique plus lisible et de faire baisser le niveau du désenchantement démocratique, qui est en ce moment au zénith. Donner du sens à la politique, c’est un acte de salut public. Si, à force de se perdre dans de petits calculs opaques, les partis classiques n’en sont plus capables, ce sera aux associations, aux syndicats et aux initiatives citoyennes de s’en charger. 8 avril 2008