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L’oeuf ou la poule ?

Fruit d’une nouvelle collaboration entre Solidarité Socialiste, l’agence InfoSud et la revue Politique, ce numéro hors série trouve cette fois son inspiration dans l’émergence et l’effervescence de mouvements sociaux aux quatre coins du globe à partir de 2008, mouvements qui se sont accentués en 2011 et 2012 : printemps arabes, indignés espagnols, étudiants québécois et autres Anonymous Collectif essentiellement actif sur Internet défendant le droit à la liberté d’expression. Dans leurs manifestations physiques, ils apparaissent avec le masque de Guy Fawkes, personnage de V dans la bande dessinée de la série « V pour Vendetta » d’Alan Moore et David Lloyd, réalisée entre 1982 et 1990 … Différentes formes d’expression (émeutes, révolutions, mouvements religieux radicaux, manifestations pacifiques, mobilisations citoyennes, revendications sociales…) suivies d’effets divers (répressions policières et militaires, négociations, référendums, jusqu’à la chute de certains régimes en place, à l’exemple de la Tunisie), mais qui traduisent manifestement de profondes fractures dans l’ordre sociopolitique mondial. La grave crise économique et financière que traverse le capitalisme depuis 2008 est sans nul doute en grande part responsable du séisme. Avec un peu de recul déjà, on peut essayer aujourd’hui d’analyser le phénomène. Fait global exprimé sous des modalités diverses, ou situations spécifiques et contextuelles que l’on a cru pouvoir comparer et amalgamer ? Quel est finalement le sens profond de ces signaux et, surtout, de quel avenir présagent-ils ? Leurs effets seront-ils durables et irréversibles ou ne s’est-il agi que de soubresauts désespérés, vouant à l’échec les propositions et les espoirs d’émancipation qu’ils portent ? Solidarité Socialiste a résolument fait le choix d’envisager la solidarité internationale et le développement au travers du prisme du changement social et de ses acteurs avérés ou potentiels Pour rappel, les précédents numéros hors série que nous avons publiés présentaient des alternatives au modèle économique dominant, sous la forme d’expériences réalisées en matière d’agriculture familiale, d’économie solidaire ou d’accès aux soins de santé. Il est donc assez logique que le phénomène des nouveaux mouvements sociaux, ses potentiels et ses limites, nous interpelle particulièrement. La présente publication se propose donc d’interroger un certain nombre d’acteurs et de témoins privilégiés de ces bouleversements socio-politiques sur les différents continents, tant au Sud qu’au Nord. Elle abordera, au travers de cas concrets, le rôle des mouvements sociaux, et, de manière plus large, des organisations de la société civile, dans les processus de démocratisation des États. La question du lien entre ces processus et le développement socio-économique des pays concernés retiendra elle aussi notre attention. Démocratie et développement vont-ils nécessairement de pair ? La démocratisation politique et sociale est-elle une condition sine qua non du développement, ou bien un résultat de ce dernier ? Qui parle de démocratisation parle évidemment aussi de démocratie ou, tout au moins, de « culture démocratique », y compris au sein des partis politiques et des organisations de la société civile. Dans le cadre de cette publication, nous entendons le concept de démocratie par son acception politique formelle (pluripartisme, séparation des pouvoirs, parlementarisme), mais aussi sociale (égalité des chances et dans l’accès aux droits économiques et sociaux) et participative (reconnaissance du rôle des « corps intermédiaires », des mouvements sociaux et associatifs dans le débat politique) Le sociologue chilien Jose Bengoa a conceptualisé ces « trois niveaux de la démocratie » dans ses travaux sur l’éducation populaire et les mouvements sociaux publiés en français par la revue d’Iteco, Antipodes. En démocratie, les interactions entre société civile et pouvoir politique sont en effet constantes et les rapports de force qu’elles produisent influencent sinon déterminent la décision politique. Mais peut-on construire la citoyenneté sans démocratie préalable et vice versa ? Autrement dit, est-ce la démocratie politique formelle qui permet l’émergence des mouvements sociaux et citoyens ou le contraire ? C’est la question posée par Fernando Pacheco à la lumière de l’expérience angolaise. Les pages qui suivent démontrent en tout cas que la réponse n’est pas univoque.