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Loin des bords de Meuse

Y aurait-il une malédiction politique liégeoise ? Comme si l’investissement dans la Cité ardente absorbait une telle quantité d’énergie qu’il n’en restait plus pour s’imposer ailleurs.
Les dernières pages du livre de François Brabant [1.Histoire secrète du PS liégeois. Cools, Mathot, Onkelinx, Daerden et les autres, La Boîte de Pandore, 2015.], je les ai lues au bord de la Meuse, dans le Parc de la Boverie, face à la nouvelle Tour des Finances. Cette tour est une métaphore du PS liégeois :
démesurée, imposante, incontournable, si pas phallique en tout cas très masculine. Elle englobe de son
orgueil qui s’en approche. Elle est immense et nous sommes tous petits.
Et même si son extravagance domine le paysage, nous l’approchons seulement lorsque les circonstances
l’obligent. Nous parlons d’elle, nous la vantons, mais son rayonnement s’oublie bien vite dès lors que nous avons déserté les abords de la ville.
Le PS liégeois est comme cette tour : impérialiste. Mais son omnipotence n’agit que sur ses terres.
Si l’expression « Nul n’est prophète en son pays » avait été écrite par un Liégeois, elle s’intitulerait « Si
tu es prophète à Liège, tu ne le seras pas ailleurs ». Depuis le décès d’André Cools, peut-être même
avant, il est difficile pour un représentant liégeois du PS d’avoir une assise forte à Liège et en dehors.
Souvent, il faut choisir. Il n’y a plus eu de président liégeois du PS depuis André Cools, à l’exception de
Thierry Giet, faisant office de président intérimaire, et qui n’avait aucune légitimité reconnue sur son terrain liégeois.

Michel Daerden et Jean-Claude Marcourt ont rêvé vainement d’une ministre-présidence. Demeyer et
Mathot ont convoité un ministère, désespérément. Laurette Onkelinx a touché le graal, mais elle n’a jamais
percé dans la politique locale et a finalement déserté la région.
Malgré le poids électoral de la fédération liégeoise, malgré l’existence encore vivace, jusqu’il y a
peu du moins, d’une véritable action commune à Liège, les caciques liégeois sont peu récompensés ou
seulement si leur allégeance se porte avant tout au Boulevard de l’Empereur.

Luttes intestines

Cette singularité n’est-elle que socialiste ? Un détour par des exemples issus d’autres partis suscite,
au minimum, un questionnement. Didier Reynders a caressé l’espoir de s’imposer sur ses terres. Président du MR, ministre des finances, ministre des Affaires étrangères, il n’est jamais parvenu à être le premier homme de la Cité ardente. Anne Delvaux, imposée à Liège par sa direction, espérant qu’elle incarne le renouveau d’un CDH local moribond, s’est heurtée aux chefs locaux et est partie par la petite porte. Jacky Morael, maître incontesté d’Écolo à Liège, père spirituel de nombreux jeunes et moins jeunes écologistes, artisan majeur de la victoire de 99, négociateur en chef des accords de gouvernement pour Écolo, a dû laisser sa place à Isabelle Durant, les Bruxellois refusant qu’il devienne ministre. Jean-Michel Javaux,
homme fort d’Écolo pendant plus de 10 ans est né à Liège, mais son terreau, c’est Amay, pas Liège,
quelques kilomètres qui font toute la différence. Les exemples ne manquent pas de ces hommes politiques liégeois qui n’ont pu être leader qu’à l’un ou l’autre endroit.
La comparaison semble facile, mais les causes restent inconnues. Tout au long du livre de François
Brabant, des constats s’imposent, des évidences apparaissent.
Mais nous restons chaque fois sans les éléments constitutifs permettant de comprendre les ressorts de ces réalités. Il reste au lecteur à avancer des hypothèses, à saisir ce qu’il en veut. Une opportunité
pour le lecteur qui peut construire sa propre perception du microcosme politique liégeois, une faiblesse pour celui qui voudrait comprendre plus avant les causes du désaveu.

N’ayant qu’une connaissance partielle et partiale de ce monde si particulier, j’en ai tiré mes propres conclusions, bien parcellaires et hypothétiques. La clanisation politique liégeoise sur fond de trahisons,
de loyauté marchandisée, d’asservissement, de longévité et de troc sont les vrais maux.
Les luttes intestines épuisent les idéalistes, détruisent les âmes sensibles, réduisent au silence les moins ambitieux. Pour réussir, il faut commencer jeune, ne jamais s’arrêter et espérer qu’un jour la patience, la soumission apparente et parfois les coups bas payeront.
Pour qui est prêt à sacrifier sa vie, parfois ses convictions et sa santé, le terreau liégeois est propice. Mais
à trop épuiser leurs forces dans des luttes fratricides localisées, les Liégeois manquent d’énergie, de pugnacité, de solidarité mais surtout de temps pour constituer une vraie force en mesure de peser dans les joutes politiques hors de Liège. « Chez nous à Liège » fait référence à la fierté des Liégeois d’être liégeois. En politique, visiblement, elle reflète l’incapacité à être ailleurs.