Retour aux articles →

L’Olivier et la question du pouvoir

Le projet de déclaration de politique régionale wallonne pose une question fondamentale mais peut-être sans le savoir, où en tous cas sans vouloir faire savoir qu’il formule une question fondamentale… Implicitement en effet, il remet sur la table le vieux débat sur le rôle de l’élu dans la cité, sur la fonction du parlementaire en démocratie, sur le sens d’un tel métier vis-à-vis des autres professions : l’élu doit-il être un citoyen de base, sans objectif de carrière particulier, avec un métier et une vie normale qu’il mettrait de côté le temps d’un mandat politique ? Ou au contraire, doit-il être un professionnel de la politique («une bête politique»), entrer jeune en politique, découvrir et maîtriser les rouages de cette dernière, et à termes, grâce à sa sphère d’influence, ses gardes rapprochées, ses électeurs et ses «clients», devenir indéboulonnable quel que soit son poids électoral ? La déclaration pousse l’élu de demain à adopter deux attitudes contradictoires. Dans un sens, elle propose d’encourager celui-ci à abandonner tout ce qui constitue sa vie professionnelle antérieure, et dans l’autre, elle offre de contrôler et de limiter les pratiques qui permettent précisément de devenir un élu politique professionnel et donc de ne plus s’inquiéter de son ancienne carrière (au cas où il faudrait la relancer !). Le gouvernement propose pêle-mêle «l’impossibilité pour les membres des gouvernements d’exercer une autre profession ou un autre mandat (…)» ou de «percevoir d’autre rétribution que leur traitement de Ministre». Il promet d’étudier les règles relatives aux incompatibilités et aux conflits d’intérêt entre certaines professions et un mandat public (réviseur, avocat, architecte, consultant… travaillant pour des administrations et des services publics). Il évoque un plafonnement des rémunérations, la limitation progressive du nombre de députés wallons membres d’un collège communal, et le soutien à «l’adoption au niveau fédéral de règles mettant fin au système des candidatures multiples en cas d’élections simultanées» Ces extraits proviennent de la déclaration de politique régionale wallonne (2009-2014) disponible sur le portail de la Région wallonne : www.wallonie.be. Le paradoxe de ces promesses et de bien d’autres objectifs de la déclaration sur la bonne gouvernance vient du fait que si l’élu est tenté aujourd’hui de multiplier les casquettes ou de conserver son ancien métier, ou à défaut une bonne relation avec ses anciens clients, c’est précisément pour s’assurer que son niveau de vie reste inchangé, soit parce qu’il conserve et fait fructifier ses affaires pendant sa fonction exécutive ou parlementaire, soit parce qu’il multiplie les rôles politiques afin d’être toujours en place là où il faut, même en cas de désastre électoral. La tentation du pouvoir pousse même certains à agir sur les deux plans en même temps afin de devenir une sorte «d’élu-institution» incontournable en politique, tout en restant un acteur professionnel bien présent sur la place concernée. Sans l’indiquer comme tel, la déclaration propose de mettre un terme aux deux stratégies les plus anciennes et les plus efficaces pour rester un homme de pouvoir sur le long terme et éviter ainsi le destin funeste de celui qui n’avait pas préparé l’avenir : rappelons-nous l’ancien ministre des Affaires sociales Thierry Detienne expliquant sur la RTBF qu’il cherchait du travail quelques jours après la débâcle des Verts en 2003. Si la déclaration porte en elle un vrai projet démocratique, elle touche à un aspect fondamental de la vie des élus aujourd’hui et, à ce titre, il n’est pas du tout certain qu’elle trouvera un écho, même partiel, sur le terrain. Car en définitive, ceux qui devront écrire, voter et appliquer les textes concernés seront à leur tour, bien légitimement, préoccupés par leur carrière politique, et professionnelle…