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Maroc : Des actions qui porteront un jour leurs fruits

Les manifestations menées par le Mouvement du 20 février (M20) n’ont pas fait vaciller le pouvoir. Peut-on dire que le Maroc a échappé au Printemps arabe ? Abdellah Zaazaa : Je voudrais d’abord émettre une petite réserve quant à l’adjectif « arabe ». Je préfère « le printemps sud-méditerranéen ». Cette formule a l’avantage d’intégrer les populations d’autres pays comme l’Iran ou la Turquie. Et, au sein même des pays dits « arabe », de répondre à l’attente des populations qui, même lorsqu’elles ne rejettent pas la dimension culturelle arabe, voudraient quand même faire ressortir leurs spécificités culturelles et linguistiques. Cela étant dit, le Maroc n’a pas échappé à ce printemps si on entend par « printemps » non des événements éclatants mais un mouvement qui montre le dérouillement des ressorts au sein de la société. De ce point de vue, aucun des pays de la rive sud-méditerranéenne n’échappe à cette « vague ». La différence réside dans l’intensité des événements. La datation du mouvement au Maroc correspond au 20 février 2011, jour où quelques centaines de milliers de personnes (principalement des jeunes) sont sorties dans les rues de 106 villes et patelins du pays. On peut comparer ce mouvement au déclenchement de la lutte contre le colonialisme. Une nouvelle constitution a alors été adoptée. Pensez-vous qu’elle l’a été démocratiquement ? En êtes-vous satisfait ? Abdellah Zaazaa : Au-delà des détails qui peuvent être positifs, cette constitution renforce avant tout l’absolutisme monarchique. Je ne suis pas contre l’établissement d’une monarchie constitutionnelle – encore faudrait-il que la monarchie soit disposée à en discuter et à l’accepter. Mais je n’y crois pas. On oublie toujours que ce genre de régime s’est concrétisé en Occident à un moment où la colonisation permettait de retirer suffisamment de dividendes à partager entre la bourgeoisie européenne et la noblesse. Or un Tiers-Monde libéré ne saurait tolérer le maintien de privilèges pour la monarchie et fermer les yeux sur sa scandaleuse fortune actuelle. Ce serait aberrant. Avez-vous participé au Mouvement du 20 février ? Abdellah Zaazaa : Quand j’ai entendu parler, à travers Facebook, du projet de manifestation en janvier 2011 en lien avec les événements qui se déroulaient en Tunisie, j’avoue que, pour moi, ce n’était alors qu’une énième manière de se solidariser avec les luttes ayant lieu dans les pays « arabes ». Mais, au fil des jours, le régime développait une intox extrême visant à discréditer les jeunes initiateurs. Je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression que beaucoup de militants se sont investis pour soutenir les jeunes et les aider à relever le défi. D’un point de vue pratique, mon appui a d’abord concerné les militants de mon entourage. J’ai ensuite sollicité un appui formel des réseaux locaux et leur participation aux manifestations. Je ne fais pas partie des instances ni de l’Assemblée générale du 20 février, mais j’ai tenu à respecter la composition « jeunes » de ce mouvement. Quel a été l’apport des organisations du Resaq (Réseau des organisations de quartier de Casablanca) dans l’émergence du M20 ? Abdellah Zaazaa : Le travail de formation des nouvelles élites implantées dans les quartiers populaires y est pour beaucoup. Les jeunes qui se sont retrouvés dans la mouvance étaient parmi les initiateurs du Mouvement du 20 février à Casablanca, alors même que leurs associations n’avaient élaboré aucune position à ce sujet. Depuis 2008, les associations se sont données comme objectifs de contribuer au soutien des citoyens. Concrètement, cela se traduit par un travail à l’échelle de neuf quartiers populaires avec près de 14 000 familles, en particulier avec les jeunes, les femmes travailleuses à domicile, les vendeurs ambulants et les personnes âgées. Cela se concrétise par l’autocréation de nouvelles associations ou comités de jeunes et de femmes de quartiers, et des activités allant de l’auto-organisation d’activités sportives, de production artisanale et de la sensibilisation autour de l’économie sociale et solidaire, en passant par des plaidoyers contre la cherté de la vie et la promotion de la démocratie. Vous êtes activiste de la première heure au Maroc, vous avez passé plus d’un séjour dans les geôles du roi Hassan II à cause de votre engagement. À la lumière de votre expérience, que pensez-vous de ces récents mouvements sociaux ? Abdellah Zaazaa : Le fait que je sois dans le militantisme depuis près de 40 ans me permet de juger avec une certaine distance l’avancement vers un monde meilleur. Dans les années 70, le travail que nous faisions n’était perçu qu’au travers du prisme de la contre-violence. Aujourd’hui, je reste optimiste, car il est question de travail en profondeur, dont les effets ne sont pas immédiats mais qui seront durables. Propos recueillis par Wendy Bashi (InfoSud Belgique).