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Modernisation de l’université

MODERNISATION DE L’UNIVERSITE : L’agenda de Bologne a tracé les lignes directrices de la modernisation, c’est-à-dire de la libéralisation de l’enseignement supérieur européen. Les changements dictés par Bologne, discrètement et sans débat, ont fait basculer les universités dans un autre monde. Il s’agit d’abord d’autonomiser les filières universitaires et les mettre en concurrence. La concurrence se traduit d’abord par la conquête des étudiants devenus des «parts de marché». Ensuite les établissements doivent se classer mieux que leurs concurrents dans les «rankings». Pour leurs instances dirigeantes il s’agira de «piloter» les universités de manière à améliorer leur classement et de donner les bons signaux aux facultés et départements, pour que leurs cadres, à savoir les professeurs et chercheurs, soient récompensés en fonction de leur capacité à se conformer aux «signaux». Pour rendre les produits universitaires plus attractifs, le «programme des cours» sera appelé «catalogue» de «l’offre de formation» et les traditions les plus désuètes, comme la toge et les cérémonies de remise de diplômes copiées des États-Unis, seront déterrées. Au «pilotage interne» par les organes centraux et départementaux, s’ajoute un «pilotage externe» par le secteur privé. Les entreprises occupent une place centrale dans les partenariats avec le privé. Les «produits intellectuels» issus des laboratoires sont privatisés sous forme de brevets. Les «spin off» assurent la transition marchande des innovations. Les employeurs exercent un «pilotage souple» par l’aval en manifestant, souvent de manière agressive, leurs besoins supposés de diplômés. L’université devient ainsi un lieu de formations et d’innovations commercialisables dans un marché compétitif. Enfin, tout comme pour les entreprises publiques en voie de privatisation, les universités doivent être attractives pour les investisseurs. On a vu à France Télécom le coût de cette attractivité en suicides. À présent, en Belgique, la poste et la SNCB sont en première ligne. Il leur faut faire disparaître des organigrammes les agents statutaires pour attirer les capitaux privés. Dans le monde académique, l’investisseur se nomme «mécène» et les capitaux peuvent être récoltés autour de «projets», de «chaires» et de «fondations». Encore faudra-t-il que les universités se donnent un look qui plaise aux mécènes. Les universités doivent désormais normer les produits de l’enseignement et de la recherche par des dispositifs de prescription et d’évaluation. Ainsi l’accent est-il moins mis sur la privatisation que sur la soumission aux signaux du marché. Le «pilotage des universités» ne repose plus sur des réformes et des débats mais sur la mise en œuvre de «signaux» c’est-à-dire d’incitations qui permettent, par le jeu de la carotte et du bâton, de signaler les meilleurs étudiants au marché du travail et de promouvoir les scientifiques qui le méritent. Pour faire son chemin dans cette «économie de la connaissance», il suffit, selon Isabelle Stengers, d’éviter les questions qui dérangent et se concentrer sur celles pour lesquelles les subventions abondent et rendent les partenariats possibles. La marginalisation guette cependant en permanence «les chercheurs qui refusent de publier où il faut ce qu’il faut». L’agenda de Bologne s’est imposé sous forme d’ajustements techniques successifs sans véritable débat politique. Cette méthode s’est révélée d’une efficacité redoutable dans la mesure où les universitaires ont accepté de mettre en œuvre des règles qu’ils auraient vraisemblablement contestées s’ils avaient eu à en délibérer démocratiquement. Ce consentement des universitaires qui a entrainé le basculement au marché de tout l’enseignement supérieur n’a cependant été possible que dans la mesure où ceux-ci étaient déjà au préalable acquis à la nécessité d’entrer en concurrence sur le modèle marchand. L’État viendra-t-il bientôt au secours de l’enseignement supérieur, comme il l’a fait pour les banques, lorsque le marché aura à son tour saccagé l’université ?