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Modernisation royale, royal blabla

La prestation de serment du roi Philippe vient clore un épisode relativement long – sans précédent – de frénésie médiatique autour d’une éventuelle abdication royale, d’abord, et autour de l’événement qu’elle constituera, ensuite.

Le 21 juillet 2013 est venu couronner cette fièvre journalistique, les principales chaînes de télévision offrant alors plus de 12h de programme en direct, couvrant chaque instant du programme, du Te Deum au feu d’artifice en passant par l’abdication d’Albert II, la prestation de serment de Philippe et le défilé militaire.

Les spéculations allaient bon train, particulièrement depuis deux mois quand l’annonce de l’abdication a été… annoncée le 3 juillet, les télévisions prenant l’antenne dès que l’information d’une future communication royale est tombée. Cette allocution royale allait mettre fin à une série de spéculations et d’interminables dissertations d’experts en tous genres (journalistes politiques, historiens, constitutionnalistes, politologues…).

Force est de constater que l’entourage du nouveau roi ne donne pas de grands gages de modernisation. Tout au plus est-il un peu moins francophone et chrétien.

Tout (et son contraire) a été dit : le roi mourra sur le trône, le roi est fatigué et veut se retirer, il abdiquera le 21 juillet ou le 15 novembre… Dans le bruit médiatique que cet événement a généré, on peut cependant pointer une constante : l’apparition et la répétition à l’envi de l’expression « modernisation de la monarchie ». L’antienne ressassée durant de nombreuses semaines constituera d’ailleurs un indice d’une probable abdication. L’usage de ce mot permet de couvrir des dimensions très variées liées non pas exclusivement à la fonction royale, mais en réalité concernant l’ensemble de la famille royale.

Cette modernisation semble correspondre, d’une part, à l’adaptation de pratiques opaques à un plus haut niveau de transparence et, d’autre part, à l’adoption d’un nouveau mode de communication également plus transparent (qui trancherait avec le traditionnel « pas de commentaire » du Palais) et plus en phase avec les outils de communication actuels. Ces deux éléments peuvent également être combinés puisque, au bout du compte, l’absence de transparence empêche une communication appropriée pour désamorcer certaines petites bombes médiatico-politiques (la fondation de la reine Fabiola, les « casseroles » du prince Laurent, notamment l’histoire des fraudes à la marine…) et déclenche le cercle vicieux du dénigrement de la monarchie. On notera toutefois que le principe d’irresponsabilité du roi le protège judicieusement de toute critique ou tentative d’affaiblissement.

Sa communication publique systématiquement et constitutionnellement visée par un ministre l’empêche de prêter le flanc à la critique, l’épisode « Delphine » mis à part, mais dans ce cas c’est plus l’absence de réaction qui a été pointée. La figure du chef de l’État reste donc relativement préservée. On ne peut pas en dire autant du reste de la famille royale, singulièrement de l’héritier. Or indirectement en affaiblissant ses enfants, le roi est visé.

Transparence et com’

Dans le « storytelling royal »[1.Nicolas Baygert, « Storytelling royal : vers une abdication médiatique », 22 juin 2013.] des derniers mois, on retrouve ces deux facettes, ce qui a certainement dû accroître les soupçons d’abdication au sein des rédactions (à moins que ce ne soit l’agitation des rédactions qui ait achevé de convaincre le Palais et le Premier ministre, sorte de prophétie auto-réalisatrice déclenchée par les médias). Côté transparence, on relève le vote, particulièrement rapide, de la limitation des dotations et de la fin de certaines exonérations fiscales dont bénéficiait le Palais. En ces temps de crise, modernisation rime avec réduction des frais. Côté communication, l’opération visant à renouveler l’image du prince Philippe n’aura échappé à personne. Barbe rasée, joggeur accompli, supporter des Diables, allant même jusqu’à évoquer l’envoi d’un tweet. Grosses ficelles de communication. Plus que modernisation de celle-ci, c’est l’héritier qui revient d’une cure de jouvence.

Modernisation, transparence, voilà un vocabulaire finalement déjà ancien. En effet, si l’on rajoute l’éthique ou la nouvelle culture politique, il renvoie immanquablement au programme du gouvernement arc-en-ciel de 1999, pour se cantonner au registre belgo-belge. Rien de neuf sous le soleil donc, ce qui est relativement amusant s’agissant précisément de modernisation. D’autant que la modernisation de la monarchie, il en fut déjà question au lendemain de l’impossibilité de régner de Baudouin. En 1990 donc.

L’optimiste pointerait une politique des petits pas, mais l’observateur critique reviendrait sur la notion même de modernisation qui, classiquement, vise à rompre avec des pratiques d’ancien régime pour adopter celles d’une société dite moderne. Depuis le 3 juillet et l’annonce de l’abdication, les partis politiques se sont empressés de baliser cette modernisation royale. Parmi les réformes les plus citées figurent la suppression de la signature des lois par le roi (réforme « light ») ou la fin de son rôle central dans la formation des gouvernements (réforme « lourde »). Si cette dernière est clairement rejetée par les partis francophones, la première ne réunit pas pour autant de consensus à l’heure actuelle. Curieusement, personne n’a évoqué le rôle du roi dans la nomination (et la révocation selon la formule consacrée) des ministres. La prestation de serment devant le roi constitue certainement un symbole de la monarchie constitutionnelle, plus que de la démocratie parlementaire que la Belgique est (aussi). Difficile d’être moins moderne.

Cosmétique

Il y a pourtant des pistes à explorer. Un autre terme fréquemment associé à la modernisation politique et à la transparence est la légitimité. Selon Max Weber, le roi tire sa légitimité de la tradition. Éventuellement de son charisme (d’où l’intérêt de la modernisation de l’image de Philippe) également. Certes cela tient encore fort de l’ancien régime, mais ceux qui souffrent sans doute du plus grand déficit de légitimité aujourd’hui font partie de l’entourage du roi, notamment son chef de cabinet dont la nomination est laissée à la discrétion du roi. De par son influence (imaginaire ou réelle) sur le roi et sur le cours des affaires politiques, particulièrement en cas de formation gouvernementale, sa nomination gagnerait à être plus transparente, quitte à ce que cela soit synonyme de… nomination politique au même titre que l’administrateur délégué de la SNCB. Force est de constater que l’entourage du nouveau roi ne donne pas de grands gages de modernisation. Tout au plus est-il un peu moins francophone et chrétien[2.Pour l’anecdote à propos de la communication, le couple royal qui orne le bandeau du site www.monarchie.be est toujours, 3 semaines après l’abdication, constitué d’Albert et Paola].

Deux fois par an, le roi s’expose lors du traditionnel discours à l’occasion de la fête nationale et lors du discours de Noël. Contrairement au Royaume-Uni où le chef de l’État lit d’une voix monocorde le discours préparé par le Premier ministre, en Belgique, le roi rédige lui-même son texte qui devra ensuite être validé par le chef du gouvernement. Depuis 1831, les pouvoirs du roi se sont estompés à un point qu’aujourd’hui, dès que le discours royal se veut un peu politique, on se demande s’il ne s’agit pas purement et simplement des mots du Premier ministre. Un vent nouveau pourrait souffler sur cette institution dans l’agenda médiatique en jouant clairement cartes sur table, ce qui éviterait aux commentateurs de devoir spéculer et prêter des intentions.

À côté de ces changements, on pourrait encore rompre avec de réelles pratiques de l’ancien régime, à savoir les anoblissements, mais aussi s’interroger sur l’intérêt de nommer des ministres d’État et supprimer le Conseil de la couronne. Mais finalement, il s’agirait de modernisation cosmétique, symbolique. La vraie modernisation est celle que plus aucun parti francophone n’ose évoquer, à savoir la suppression de la monarchie, prétextant le rôle central du roi lors de la formation des gouvernements. Sans doute transparaît-il dans cette position un traumatisme lié aux 540 jours de crise de 2010-2011. Toujours est-il que, aujourd’hui, l’ensemble des partis et des observateurs politiques attendent Philippe au tournant. Aucune erreur ne devrait lui être pardonnée au lendemain des élections de mai 2014. S’il relève le défi, il est probable que la modernisation ne figure plus à l’ordre du jour. S’il échoue, la question ne devrait même plus se poser.