On le pressentait : avec ces élections dans la belle Province, c’est un changement de paradigme, la souveraineté n’est plus à l’agenda politique du Québec. Sans trop forcer, l’axe gauche-droite s’installe comme le curseur dominant, reléguant l’axe souverainisme (indépendance du Québec)-fédéralisme (un Québec fort dans un Canada uni) dans une léthargie profonde.

Un double clivage

Ce qui donne un double clivage, une fragmentation électorale et politique à 4 morceaux, les vaincus sur l’axe souverainisme-fédéralisme[1] (parti québécois souverainiste et parti libéral fédéraliste) et les vainqueurs sur l’axe gauche-droite (C.A.Q. populiste de droite et Québec solidaire, écologiste et gauche radicale). La montée en force, voire le raz-de-marée de la Coalition Avenir Québec (C.A.Q.) à droite (+53 sièges) engendre à gauche une réplique modeste qui porte 10 candidats de Québec solidaire à l’Assemblée nationale (+7).

Les deux grands battus, le parti libéral du Québec (P.L.Q.), fédéraliste et le parti québécois, souverainiste, ont récolté moins de 43% des voix. Ces deux partis qui structuraient le curseur dominant connaissent une lourde défaite : l’existence du P.Q. est menacée de disparition et le parti libéral se replie dans ses comtés anglophones où la droite ne fait qu’une avec la protection canadienne du multiculturalisme et de la libre entreprise

Le souverainisme aux oubliettes ?

L’effondrement du parti québécois, (P.Q.) la conscience politique du souverainisme, fondé par la figure historique qu’était René Lévesque, ne fait que confirmer l’érosion : moins d’un jeune sur 10 se dit politiquement préoccupé par l’indépendance du Québec. Les thèmes politiques que les jeunes relèvent ne s’inscrivent plus dans cet agenda : leurs préoccupations vont à la qualité de l’éducation, à l’emploi, aux enjeux climatiques et environnementaux, à l’accès (problématique) aux soins de santé. Avec 17% des voix et 9 candidats élus, le parti paye un lourd tribut à l’arrogance de son chef, Jean-François Lisée, qui a refusé l’alliance possible avec Québec solidaire. L’infléchissement constant, depuis 20 ans du P.Q. vers la droite, a creusé sa propre tombe : le nationalisme de gauche (revendiquer la souveraineté comme condition nécessaire pour asseoir un village gaulois social-démocrate résistant au milieu l’océan néo-libéral) a cédé devant un nationalisme de droite : la crispation identitaire, – revendiquer la souveraineté pour elle-même – a fait bon ménage avec le détricotage des processus redistributifs et distributifs de la province social-démocrate, on croirait Bart de Wever affirmer, – où est la cohérence ? – nous sommes les Japonais de l’Europe et poursuivre en prônant le retour aux vertus ancestrales du Vlaamse Volk. Dans ce melting-pot égarant, Charles Maurras n’est jamais loin du lit de Margaret Tatcher mais gageons qu’ils ne passeront pas une bonne nuit ensemble.

Le parti libéral en cure d’amaigrissement

Quant au parti libéral, au pouvoir pendant 4 ans, et revendiquant un positionnement fédéraliste et centre-droit libéral, le jeune candidat défait à Sherbrooke, Luc Fortin indique que les gens qui sont un peu plus à gauche sont allés vers Québec solidaire; les gens un peu plus à droite, vers la Coalition avenir Québec. Cette analyse semble résumer les résultats du scrutin. Le parti libéral a gouverné ces 4 dernière années à droite en soutien de la politique multi-culturelle du gouvernement fédéral. Il a misé dans sa gouvernance sur la dynamique de l’enrichissement par la dynamique entrepreneuriale ouverte au monde: un Québec de centre-droit fort dans un Canada uni. Ce parti a moins de soucis à se faire que le P.Q. : bastionné au centre-droit canadien, replié sur ses comtés à majorité anglophone, il bénéficiera toujours du vote de droite classique de l’establishment anglophone et de ses affidés. C’est là que le C.E.T.A. (traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne) a trouvé, avec l’appui du P.Q. oubliant ses fondamentaux souverainistes, ses plus fidèles soutiens.

La vague caquiste

Dans un scrutin marqué aussi par la féminisation croissante des candidatures et l’accroissement des élues, la coalition Avenir Québec (C.A.Q.) a récolté la majorité absolue, passant de 21 sièges à 74 ! Les accents sont populistes : contrôles accrus et restriction de l’immigration, malgré les risques de surchauffe de l’emploi et de pénurie de main-d’œuvre, proposition d’expulser les nouveaux venus ayant raté leurs tests de français et de valeurs, interdiction de port de signes religieux chez certains représentants de l’Etat. Le parti se dote d’un programme ambitieux pour les soins de santé et en éducation : améliorer l’offre et l’accès aux soins et affronter les demandes corporatistes du puissance lobby des médecins, offrir un enseignement maternel à 4 ans et un meilleur salaire pour les enseignants. L’environnement, la culture et la défense de la langue française apparaissent les parents pauvres du programme. Mais les coûts des permis de chasse et de pêche sont revus à la baisse. L’analyste politique fûté serait bien en peine, au-delà des promesses, non chiffrées budgétairement, de discerner autre chose qu’un attrape-mouches tous azimuts qui témoigne à tout le moins d’une osmose avec le malaise de la petite classe moyenne. La C.A.Q. ratisse large dans le ventre mou, mais autant dans les grands centres urbains que dans les circonscriptions électorales les plus éloignées, c’est là un fait électoral et politique nouveau.

Québec solidaire : un programme plus ambitieux que ses résultats

Québec solidaire ? 10 sièges et sans doute qu’une votation à la proportionnelle (le Québec connait le mode de scrutin uninominal à un tour par circonscription) aurait apporté à ce parti un plus grand nombre de sièges. A l’attrape-tout de la droite caquiste répond une dissertation que ne désavouerait pas le socialisme de la chaire.

Nous sommes de gauche, affirme le programme : Nous faisons la promotion de la justice sociale, de l’égalité, de la solidarité. Nous estimons que l’État doit intervenir pour garantir le respect des droits humains, redistribuer la richesse, encadrer l’économie. Il doit agir afin d’assurer l’universalité des services publics et parapublics, la pleine accessibilité à l’éducation ainsi que des programmes sociaux partout au Québec. Nous sommes démocrates, …nous sommes féministes, la recherche de l’égalité entre les hommes et les femmes inspire notre démarche politique tout comme notre fonctionnement interne.  Nous sommes altermondialistes Nous voulons travailler à établir des liens plus solidaires, plus égalitaires et plus harmonieux entre les peuples du monde entier. Nous sommes d’un Québec pluriel Ces principes altermondialistes et pacifistes s’appliquent aux relations que nous voulons établir avec les autres peuples habitant le territoire du Québec. Nous considérons les Autochtones comme des peuples à part entière et nous voulons que soient reconnus, y compris par des ententes formelles, leurs droits ancestraux et territoriaux. Nous sommes d’un Québec souverain et solidaire La population québécoise forme une nation qui a de nombreuses caractéristiques spécifiques dont une langue commune – le français –, une culture, une histoire et des institutions politiques, économiques et sociales propres. Elle inclut des personnes de toutes origines auxquelles il appartient désormais de définir, ensemble, en toute égalité, son présent comme son avenir politique. Cette nation a le droit absolu de décider elle-même cet avenir, sans ingérence de l’extérieur. Québec solidaire est un parti jeune animé par des jeunes urbains fumeurs de pot pas rien que théorique mais s’efforce de faire entendre sa voix en région. Pour rappel, la superficie du Québec fait 84 fois la Belgique et une circonscription de l’Abitibi-Témiscamingue s’étend sur plus de 1.000 km. Imaginons un parti qui rassemblerait dans sa plate-forme les revendications portées par le P.T.B., Ecolo, le P.S. et le mouvement populaire wallon prêchant la concorde coopérative avec le mouvement flamand !

Malgré le relatif succès de Québec solidaire, une gueule de bois pour les progressistes ?

La montée en force du curseur gauche-droite n’a pas de quoi rassurer les syndicats ni les citoyens et associations formatés à gauche. La droite gagne largement dans ce bouleversement structurel du paysage politique. Pour Daniel Boyer, le président de la F.T.Q, (fédération des travailleurs du Québec), la C.A.Q. lui semble le parti le plus éloigné des positions syndicales : refus de la hausse du salaire minimum, réduction du nombre de fonctionnaires, peu ou pas de culture de dialogue social : il y a comme quelque chose qui ne marche pas dans la position de la C.A.Q., à savoir diminuer les taxes et les impôts, de diminuer le personnel dans la fonction publique, et en même temps améliorer les services en santé, en éducation et dans notre fonction publique. Les deux autres grands syndicats, la centrale des syndicats du Québec (C.S.Q.) et la confédération des syndicats nationaux, (C.S.N.) partagent cette inquiétude. Après 4 ans de médecine néo-libérale, les acteurs sociaux craignent la poursuite des mêmes médications qui rogneraient encore davantage sur les droits et les assurances sociaux. Est-ce que le pendant populiste « à l’écoute du peuple, nous sommes connectés avec vos besoins » de la C.A.Q. cédera devant les assauts de la déferlante néo-libérale nord-américaine ? 75% du commerce extérieur du Québec, une des économies les plus ouvertes au monde, s’effectue avec les Etats-Unis. Le temps des de Gaulle « vive le Québec libre ! », des Charlebois, Vigneault et autres Félix Leclerc est bien passé. La francophonie culturelle et linguistique a bien du mal à persister dans l’américano-conformité dopée par la dynamique commerciale et marchande du Canada anglophone. Gros à parier, que, sauf maladresses insultantes dont le gouvernement canadien est coutumier, la langue française, – la culture parisienne est absente sauf dans quelques cénacles cultureux haut-bourgeois – et le culte compassé des racines historiques gagneront les musées pédagogiques dont le Québec est friant et s’est fait une spécialité.

[1] Fédéralisme : en idiome politique canadien, ce concept désigne l’adhésion politique au fédéralisme canadien et à sa construction : nation building.