Les années 30 sont-elles de retour ? Trois mois avant les élections combinées de 2024 – pour lesquelles le Vlaams Belang se dirige vers une majorité confortable au nord du pays – la question continue d’agiter l’opinion publique. D’autant que le Voka refuse de se prononcer sur le respect du cordon sanitaire, rappelant l’atmosphère ambiguë du siècle passé qui permit à l’extrême-droite d’arriver au pouvoir en Allemagne.

Dans une proportion croissante de pays européens, l’extrême droite est déjà au pouvoir ou bénéficie d’un soutien tacite. La Belgique sera-t-elle la suivante ? Même la puissante association flamande des entreprises, le Voka, – dont De Wever a pu dire qu’elle était le véritable « patron » de son parti – s’est récemment sentie obligée de prendre la parole à ce sujet.

Réagissant à une interview que j’avais accordée à Knack1, où j’alertais l’opinion sur cette hypothèse, l’organisation patronale s’est défendue publiquement contre toute velléité d’alliance avec le Vlaams Belang (VB)2. Le contexte reste pourtant délicat : depuis dix ans et sa première participation au gouvernement fédéral, la N-VA ne parvient pas à mettre en œuvre un programme qui satisfasse les préférences du Voka, et l’électorat du parti de Bart de Wever se rétrécit visiblement. «On ne peut pas manquer de respect à l’électeur», a déclaré en 2019, le directeur du Voka Hans Maertens sur la première antenne flamande «Radio 1», au sujet de la probité d’une invitation de Van Grieken au palais royal. «Discutons», telle était la devise, similaire à celle que les employeurs allemands lancèrent à Hitler avant son investiture comme chancelier.

Le Voka s’oppose farouchement à de telles comparaisons, l’organisation affirme qu’elle n’est «ni redevable, ni liée à un parti politique » et qu’elle «part en premier lieu des besoins et des intérêts des entreprises flamandes». Pas de lien mentionné avec l’«Intérêt flamand» (Vlaams belang), donc, et encore moins de lien exclusif.

Que cette déclaration du Voka suffise à balayer exhaustivement la comparaison avec les années 30 reste douteux. Une lecture pseudo-marxisante affirme souvent que le nazisme a été ardemment soutenu par l’élite économique allemande. En réalité, à l’exception de quelques capitalistes excentriques, les liens étaient faibles au départ, et ce n’est que lorsque le parti a commencé à gagner des élections, que l’attitude du capital organisé a changé : on a fait valoir qu’Hitler pouvait servir d’«homme de main» contre le mouvement ouvrier allemand, et on s’arrangerait ensuite pour le diriger sur le droit chemin.

Ce fut une erreur spectaculaire : la pousse du NSDAP s’est rapidement émancipée de ses tuteurs. Et il n’est d’ailleurs pas nécessaire qu’une association patronale ait des liens explicites avec un parti pour lui faciliter les choses. En Italie aussi, les employeurs se sont récemment résignés au gouvernement de Giorgia Meloni, surtout après qu’il ait commencé à couper dans les dépenses sociales. Et tant que la Voka ne se prononce pas sur le cordon sanitaire, les options restent ouvertes.

Dans ce dilemme l’organisation patronale flamande est indéniablement confrontée à un choix difficile. Une déclaration en faveur du cordon sanitaire pourrait renforcer l’aura antiélitiste du VB. La N-VA préfère également l’ambivalence : «Nous devons unir nos forces pour sauvegarder les intérêts flamands (de Vlaamse belangen)», a récemment déclaré le président de la N-VA dans l’hebdomadaire Humo.

Sur le plan économique, les convergences entre le Voka et le VB restent faibles. Mais la politique n’est pas une affaire de statistique, et un accord de gouvernement est toujours une question de compromis. Par exemple : avant son ascension, Hitler avait fait d’extravagantes promesses d’expropriation des grands propriétaires terriens et d’augmentation des impôts; au final, peu de ces choses furent réalisées. Une entente semblable pourrait se nouer entre le Voka et le VB : la partie sociale du programme d’extrême-droite serait mise de côté, tandis que la partie culturelle serait nettement maintenue. Le directeur Hans Maertens n’avait pas non plus exclu cette option aux dernières élections de 2019.

Reste à savoir si le parti nazi (NSDAP) et le VB méritent cette comparaison chargée. La société belge, hormis le cas du loup solitaire Jürgen Conings, n’est pas en proie à la violence paramilitaire typique des années ’20 et ’30. Il n’y a pas de groupe d’anciens combattants prêts à en découdre avec le régime en place. Et alors qu’à l’époque, la société était étroitement organisée en partis de masse, aujourd’hui, les partis traditionnels tournent à vide. Par ailleurs, la Belgique est l’un des rares pays d’Europe où la société civile est restée relativement solide : la politique au sens purement électoral y est moins prépondérante. Et bien que la N-VA n’ait jamais officiellement apposé sa signature sur le respect du cordon sanitaire, elle exhorte calmement les mandataires locaux à ne pas former de listes avec le VB.

Les syndicats se sont déjà associés au pacte contre le Vlaams Blok. Mais si demain, le risque était là, comment ceux-ci entendraient-ils protéger le malheureux cordon? Au besoin par des grèves, des manifestations, des pétitions? Comment le Voka lui-même réagirait-il? Du point de vue des coalitions, l’association patronale marquait des limites. Quelle stratégie, alors, pour les maintenir efficacement? Il n’y a pas de réponse simpliste à ces questions, et elles subsistent cependant.