Depuis plusieurs mois, de nombreux mouvements émergent dans le paysage public belge et européen. Tous se réclament à des degrés divers d’une rupture avec les usages traditionnels tant de la politique que de la démocratie telle qu’elle fonctionne : Shame, les Indignés, Not in our name, Pirates, G1000… surfent sur une tendance populaire réclamant une « politique autrement » ou « une autre politique ». La volonté de faire de la politique autrement a longtemps été incarnée par le mouvement vert. Elle se double désormais de la revendication d’une autre politique. Cette revendication s’impose aujourd’hui comme jamais, tant la sortie des « Trente glorieuses » a remis en cause le modèle social forgé depuis l’après-guerre, la social-démocratie qui en était le rempart historique ayant fait le choix du social-libéralisme plutôt que de l’écologie comme prix de sa modernisation.

Pourtant, mener de front cette double dynamique est la condition impérative pour apparaître comme la réponse politique adéquate aux revendications des nouveaux mouvements citoyens.

Cette situation exige des écologistes une sorte de redéploiement de leur investissement : ils doivent concrétiser la volonté de faire de la politique autrement de manière à ce qu’à cet autrement de la politique s’ajoute l’alternative systémique à l’offre politique unidimensionnelle existante, arc-boutée au productivisme, extrême gauche comprise. Or, cette double dynamique ne va pas de soi pour un mouvement devenu parti qui s’est « installé » davantage au sein du champ politique (notamment en intégrant les exécutifs) tout en demeurant relativement isolé pour porter haut la critique politique organisée contre le modèle de développement ultra-dominant. Pourtant, mener de front cette double dynamique est la condition impérative pour apparaître comme la réponse politique adéquate aux revendications des nouveaux mouvements citoyens. On se trouve là face à une grande difficulté structurelle pour les écologistes, qui ont décidé de changer le système de l’intérieur tout en pesant sur le réel mais qui n’ont plus a priori la virginité politique nécessaire pour s’associer à des mouvements citoyens se proclamant apolitiques et/ou non partisans. Certains, par leur souci de proposer un autre modèle, non productiviste, et par la priorité accordée à la participation citoyenne voire à la démocratie directe, devraient être des alliés naturels des écologistes. Cependant, la participation au pouvoir l’empêche, car elle implique des compromis, et que dans le contexte actuel de défiance vis-à-vis du politique, l’étiquette « parti » est devenue suspecte.

Ecolo doit s’interroger

Un parallèle peut aussi être fait avec les mouvements de la transition, tels que « Villes en transition », qui, estimant que les enjeux et l’urgence sont tellement grands, se doivent de transcender les clivages, notamment gauche-droite, et idéalement de rassembler tous les partis, toutes les associations, tous les citoyens. Ecolo ne pourra plus revenir en arrière, redevenir un mouvement. Toutefois, la plus grande attention doit être accordée à rester en accord avec nos fondamentaux : faire de la politique autrement, pour une transition de l’économie et de la société, avec, par et pour tous les citoyens. Ces dernières années, Ecolo a pu donner l’impression de se consacrer trop à la participation (ou à l’opposition) au pouvoir, et pas assez à la construction d’une société avec tous ses acteurs. Des processus tels que « Ecolo au Pluriel » Visant à créer du lien avec des publics qu’Ecolo ne touche malheureusement pas assez (précaires, citoyens issus de l’immigration…) et à diversifier militants et électeurs, majoritairement classe moyenne universitaire , et les « Rencontres de l’écologie politique » Les « REP », ce sont les nouveaux « États généraux », qui nous avaient conduit à la rencontre de l’ensemble de la société civile dans les années nonante, à la refonte complète de notre programme, et finalement auront contribué à la victoire devraient y pallier. Il est évident que ces éléments ne seront cependant pas suffisants. En interne comme vers l’extérieur, nous devons rester constamment vigilants pour que compromis et pragmatisme ne deviennent pas compromission et capitulation face au système en place (sur le mode largement usité au PS de « ok, notre présence ne change rien, mais sans nous, ce serait pire »). Pour cela, Ecolo devra continuer à s’interroger, sans tabous, sur une diversité de thèmes comme celui, en interne, du non-cumul des mandats, de leur nombre limité dans le temps, des pratiques de dérogations (qui ont tendance à devenir automatiques) ou, vers l’extérieur, de notre mobilisation dans les manifestations ainsi que notre présence sur le terrain. La réflexion est constante, les moyens toujours limités, mais force est de constater qu’Ecolo est encore trop peu présent dans certains lieux, et parmi certains segments de la population. Nous nous devons, de façon générale, de mettre en place concrètement des outils participatifs, à tous les niveaux, afin d’impliquer tous les citoyens dans les prises de décisions. Nous devrons aussi en permanence nous ajuster à l’évolution des nouvelles technologies, les opportunités de démocratie participative qu’elles offrent, et surtout le potentiel d’émancipation qu’elles permettent, en combattant leur potentiel tout aussi présent de répression des libertés individuelles et de dérives sécuritaires. Cette démarche se réalise déjà dans le cadre des Rencontres de l’écologie politique, sous l’impulsion notamment d’écolo j.

L’écologie, seule voie de salut

Enfin, nous devrons nous opposer à « l’austérité qui vient », qu’on nous annonce comme inéluctable, démontrant actuellement en Grèce, au Royaume-Uni… toute son absurdité, ajoutant ad nauseam de l’injustice à un système qui montre chaque jour, de plus en plus, ses limites. À nous de proposer des solutions positives pour ce monde en transition.

Nous devons rester constamment vigilants pour que compromis et pragmatisme ne deviennent pas compromission et capitulation face au système en place.

Les enjeux sont énormes. La politique, aujourd’hui plus que jamais, dégoûte, parait à la fois violente et impuissante, d’autant plus en Belgique avec la crise institutionnelle de ces derniers mois et années. Le caractère usant et corrupteur du pouvoir, ainsi que la volonté de la plupart de ceux qui le détiennent d’en maintenir éloigné le peuple, a depuis bien longtemps maintenu un fossé entre le citoyen et ses élus. Le capitalisme mondialisé a creusé ce fossé, concomitamment au gouffre des inégalités sociales, macro et micro, et à la destruction de la planète. Enfin, l’abdication de la presque totalité du monde politique, ayant pour seule variable d’ajustement la volonté plus ou moins forte de renforcer ou réduire les « stabilisateurs économiques », et pour seul projet de ne pas froisser marchés financiers et agences de notation, au détriment de l’emploi et des politiques sociales, achève de démontrer jour après jour aux citoyens son impuissance et son asservissement à l’économie et à la finance, aux solutions néolibérales imposées par la Troika (UE, FMI, BCE), et ouvre grand la voie aux populistes. Le modèle craque de partout, nous sommes au carrefour de toutes les crises, c’est une évidence. Bien. L’écologie politique est, j’en suis convaincu, la réponse, et la seule idéologie apte à appréhender le XXIe siècle. Certes. Mais pour le « parti vert le plus puissant du monde » Proportionnellement, selon un célèbre coprésident de parti, dont les propos ont transité par la bouche d’un ambassadeur, puis de wikileaks, et été traduits par le PTB , le risque existe de devenir également le parti vert le plus mainstream du monde. Pour l’éviter, pour se faire le catalyseur des nouveaux mouvements sociaux et des défis qu’ils affrontent, pour défendre l’intérêt général et répondre aux attentes de tous les citoyens, même et surtout de ceux qu’on n’entend jamais, une mutation et des adaptations constantes sont nécessaires. L’énergie, l’envie et les idées sont là. Il ne s’agit plus de réformer le système, il s’agit de réinventer la politique.