Une sélection de 7 billets d’opinion d’étudiant·es en journalisme de l’Université libre de Bruxelles, après le débat « Faut-il interdire ChatGPT ? » organisé par Politique en collaboration avec l’École universitaire de journalisme de Bruxelles (ULB), lundi 16 octobre 2023.

La démocratie talonnée par ChatGPT

Faut-il interdire ChatGPT ? Impossible. Faut-il trouver des leviers pour garder nos boulots et notre démocratie ? Certainement. En sept secondes, ChatGPT a généré vingt (mauvais) titres pour ce billet d’opinion. La génération de titres : un job autrefois réalisé par le ou la journaliste, ou par son éditeur·ice en chef…

Au débat organisé à l’Université libre de Bruxelles (ULB), Aida Ponce del Castillo, chercheuse à l’Institut syndical européen, s’indigne : « Il faut dépasser l’approche binaire opportunités-risques. Les conséquences éthiques, environnementales et sociales de l’utilisation de ChatGPT doivent être analysées. »

Un rapport de Goldman Sachs annonce que deux tiers des emplois au niveau mondial pourraient être automatisés.

Les cinq conférencier·es présent·es s’accordent à dire qu’il est impossible de prédire exactement ce que ChatGPT est capable de générer. Peut-on alors prédire ses conséquences sur nos sociétés ? L’une d’elles se voit déjà : la substitution de certains emplois par l’intelligence artificielle générative de texte.

Aux États-Unis, Buzzfeed a ainsi remplacé 180 journalistes par ChatGPT. Un rapport de Goldman Sachs annonce que deux tiers des emplois mondiaux pourraient être automatisés, au moins en partie. Si la démocratie s’avère être une modalité pratique permettant aux êtres humains de prendre en main leur existence, en évitant d’être mû par des éléments extérieurs, comment peut-on envisager l’utilisation de ChatGPT, dont on ne sait prédire les conséquences ? On le voit, les législateurs ont donc bien du travail.

Maud Carlier d’Odeigne

(Brett Jordan. Unsplash)

Remplace-moi si tu peux !

Qu’il est difficile de résister au changement, et qu’il est difficile de se rappeler « comment on faisait avant ». L’intelligence artificielle semble déjà une technologie incontournable de nos quotidiens digitalisés.

Qu’à cela ne tienne, utilisons cet outil, si ce n’est pas encore le cas. Aussi artificielle et autonome que nous parait cette « intelligence », elle est pourtant générée initialement par l’intelligence humaine, comme le rappelle Jean Gabriel Ganascia1. Et comme chaque outil inventé par les humains, il nous confrontera à nos grandeurs et à nos décadences, à l’instar du nucléaire, fournissant une source d’énergie quasiment inépuisable, tout autant que la pire bombe jamais créée.

Qu’avons-nous généré en remplaçant des caissières par des caisses automatiques ?

J’ose croire que les IA seront vraiment utiles dans de nombreux domaines et qu’elles rationaliseront de multiples fonctions. Mais ne les laissons pas supplanter l’esprit critique et la créativité, qui font de nous des êtres si magnifiquement faillibles et subjectifs, plus encore dans le journalisme, comme l’a nuancé Laurence Dierickx pendant le débat.

Deux autres questions de fond se pose, face à l’usage de ces technologies : en dehors de toute prétention intellectuelle et en comparaison avec d’autres métiers, devons‑nous absolument gagner du temps ? Qu’avons-nous généré en remplaçant des caissières par des caisses automatiques, si ce n’est du chômage d’un côté et de l’argent de l’autre ? Et surtout, à terme, comment s’occuperont nos huit milliards de cohabitant·es terrien·nes, s’ils devaient être ainsi « remplacés » ?

Simon Potie

Si seulement nous apprenions de nos erreurs

Vers quel monde allons-nous ? Un futur dans lequel l’intelligence artificielle est le nouveau « Google search », vers qui, égaré·es, nous rampons pour atteindre un peu de clarté ? Un futur dans lequel les mathématicien·nes ont eu le temps de résoudre les plus grandes énigmes qui peuplent ce bas monde ?

Certes, la pollution numérique n’aura jamais été aussi haute. En 2023, il s’agit déjà de 3 à 4 % de la pollution mondiale. Lors du débat, Jeremy Gosman nous préviens : « C’est surtout la croissance la plus grande en termes d’émission de dioxyde de carbone. » Qu’importe, 8, 10, ou 15 % de la pollution mondiale ? L’innovation le vaut bien ! N’est-ce pas ?

L’exemple de Tay, intelligence artificielle devenue nazie en moins de 24h aurait pu nous alerter.

Certes, l’exemple de Tay – intelligence artificielle développée par Microsoft en 2016 – devenue nazie en moins de 24h2 aurait pu nous alerter sur les dérives éthiques potentielles… Mais enfin, l’erreur est humaine. Et artificielle, visiblement.

Comme d’autres « innovations » auparavant, l’IA fera partie de notre quotidien. Elle sera un produit de l’être humain qui, entraîné par sa ferveur et son désir d’innover, aura perdu tout sens des répercussions. Un futur où la pollution numérique atteindra des records. Où l’éthique aura laissé place aux intérêts économiques, une fois de plus.

Ah, si seulement nous apprenions de nos erreurs.

Elise Allaire

L’IA, une alliée de l’humanité

Sujette à de multiples controverses, l’intelligence artificielle questionne et inquiète. Le fait est que les IA font désormais partie intégrante de notre quotidien et peuvent se révéler une aide précieuse, si elles sont utilisées à bon escient. Lors du débat organisé à l’ULB, Laurence Dierickx indique le gain de temps qu’elles peuvent offrir en termes de brainstorming, de recherches de sources ou encore d’optimisation des moteurs de recherche.

Il faut arrêter de voir l’IA comme un ennemi de l’Homme et commencer à l’envisager comme une alliée. « Ce n’est pas la machine qui va trouver des solutions, mais la synergie entre l’homme et la machine », remarque quant à lui David Grunewald. Il faut donc cesser de dire que l’on triche avec ChatGPT et se remettre en question, réfléchir à la manière de travailler avec ces nouveaux outils. L’IA permet d’accéder à des sources nombreuses, qui peuvent être le point de départ d’une réflexion personnelle.

L’IA permet d’accéder à des sources nombreuses, point de départ d’une réflexion personnelle.

« Il faut voir l’IA comme un assistant et pas un remplacement de l’homme », souligne, de son côté, Mathieu Louis. Dans le domaine de la médecine notamment, l’IA est prometteuse. Pour les maladies dégénératives comme la sclérose en plaques, l’utilisation de l’intelligence artificielle pourrait favoriser un diagnostic plus précoce et améliorer l’efficacité des traitements visant à ralentir l’évolution de la maladie. La collaboration entre les médecins et l’IA pourrait être source de grandes avancées dans le domaine médical.

Kim Gaudaire

(Vackground-com. Unsplash)

Un couteau suisse numérique

« Je suis fermement convaincue que l’utilisation croissante des intelligences artificielles dans le journalisme est une évolution inévitable et bénéfique. L’IA peut être un atout précieux pour les journalistes en leur fournissant des informations et des analyses plus rapidement et efficacement. Plutôt que de craindre cette transformation, les journalistes devraient travailler main dans la main avec les IA afin de révolutionner le journalisme. »

Voici ce que ChatGPT a généré lorsque je lui ai demandé de me rédiger un billet d’opinion en faveur des intelligences artificielles dans le journalisme. Devrais-je en être satisfaite ? Sans doute ! Mais je ne parviens pas à me contenter de ces quelques phrases laconiques et sans profondeur3.

Il faut évoluer avec son temps, mais pas à n’importe quel prix.

Ce dont je suis convaincue, c’est qu’il faut évoluer avec son temps, mais pas à n’importe quel prix. Comme Laurence Dierickx l’a expliqué, ChatGPT est une intelligence « artificielle », non pas une intelligence au sens humain du terme. Cet outil ne pourra donc jamais se substituer à une pensée humaine, profonde, personnelle et réelle. Et, finalement, n’est-ce pas cela le propre du bon journalisme ?

Pour moi, les IA seront éventuellement nos partenaires techniques, mais jamais nos remplaçantes. Frédéric Pouchot les qualifie d’ailleurs de « couteaux suisses numériques »4.

Seuls un esprit critique et des limites éthiques à cette utilisation pourront rendre pérenne la profession de journaliste, ainsi que la distinction claire entre réalité et invention, comme l’a souligné Aïda Pons Del Castillo au débat organisé à l’ULB.

Valentine Guerrier

Vivre avec son temps

Qui regrette l’époque où les vêtements ne se lavaient qu’à la main ? Où l’on se déplaçait en calèche et l’on s’éclairait à la bougie ? Eh bien… pas moi. Le progrès technologique fait partie de l’avenir.

Attention, ce qui est techniquement possible n’est pas toujours humainement souhaitable. Il est vrai que nous devons remettre en question chacun des progrès qui s’imposent à nous. D’un point de vue éthique, social ou encore environnemental, comme l’a mentionné Mathieu Louis dans son intervention au débat de l’ULB.

Être complètement opposé à l’IA, avant même de savoir ce qu’elle peut nous offrir, est idiot.

Mais y être complètement opposé, avant même de s’être penché sur ce que cette technologie peut nous offrir, est idiot. Certains pensent que recourir à des chatbots fera de nous des « débiles ». Suis-je bête parce que je ne sais pas exactement comment fonctionne une machine à laver, alors que j’en ai besoin ?

Ma grand-mère ne serait certainement pas d’accord avec mon point de vue… mais je ne pense pas qu’elle sache de quelle manière on allume un feu avec du silex.

Letizia Del Vecchio

(Mauro Sbicego. Unsplash)

L’intelligence artificielle n’en est pas une

Ne tombons pas dans le piège de sa dénomination : l’intelligence artificielle n’en est pas une. Comme l’explique Laurence Dierickx, chercheuse en technologies de l’information et de la communication, « l’IA ne fait qu’extrapoler des données5 ». Il ne s’agit en rien d’une reproduction exacte des capacités cérébrales humaines. Partant de ce constat, son utilisation doit être relativisée.

L’intelligence artificielle doit être vue comme un outil, non une fin en soi. Considérons le secteur du journalisme. Générer des titres, produire du contenu informatif et pertinent, fournir des idées dans un brainstorming… L’IA, dans un travail journalistique, peut apporter une plus‑value non négligeable. Mais pour les journalistes, ce ne sont que des ressources. Au même titre qu’un carnet d’appel ou une bibliographie.

L’intelligence artificielle doit être vue comme un outil, non une fin en soi.

Dès lors que l’on sort de ce cadre, et que l’on envisage l’IA comme une force journalistique à part entière, les faiblesses de cette technologie se font ressentir. Ainsi, Bernard Claverie rappelle que « l’IA réussit magnifiquement dans de nombreuses tâches spécialisées, mais reste encore démunie pour tout ce qui demande du sens commun6 ». Ce sens commun est justement ce qui est propre aux êtres humains, et particulièrement nécessaire aux journalistes.

L’IA fascine autant qu’elle effraie. Elle fait l’objet, depuis quelques années maintenant, d’une attention particulière dans le milieu universitaire. Mais pour citer encore Bernard Claverie, adaptant lui-même les mots de Racine, « l’IA ne mérite […] ni l’excès d’honneur qu’on lui accorde, ni l’indignité liée à la crainte qu’elle suscite7».


Pol Lecointe