Quelle attitude adopter à l’égard d’une petite formation activiste comme le PTB (Parti du Travail de Belgique)? Cette question revient à celle-ci: quel jugement porter, en dernière analyse, sur des organisations qui poursuivent des objectifs détestables tout en menant des actions pratiques qui semblent soulager la misère sociale? C’est bien le cas du PTB. Son objectif jamais démenti reste l’avènement d’une société dite communiste conforme aux modèles régulièrement encensés de la Russie de Staline, de l’Allemagne de l’Est et de la Corée du Nord. Objectif détestable: la démocratie, le respect des droits humains, l’existence d’un État de droit sont les préconditions absolues — bien sûr non suffisantes — d’une existence humaine digne, laquelle suppose la capacité des hommes et des femmes à maîtriser un tant soit peu leur destin individuel et collectif. Sous cet angle-là, Staline ne vaut pas mieux qu’Hitler. Mais la pratique du PTB avec, comme figures de proue, ses médecins soignant gratuitement les patients dans le besoin, ne peut pas inspirer un désaveu de cet ordre. Avec un dévouement sans borne, ses militants se placent «aux côtés du peuple», qu’il s’agisse d’ouvriers injustement licenciés et mal défendus par leur syndicat comme ceux de Clabecq ou de jeunes d’origine étrangère en butte à des bavures policières. Le plus souvent, les militants du PTB viennent mettre en évidence les carences bien réelles de l’État social et l’impuissance ou le renoncement de la gauche « installée » à prendre en charge les souffrances sociales. Peut-on, au nom de cette pratique jugée globalement positive, faire de la critique du stalinisme du PTB un reproche mineur d’autant plus accessoire qu’il s’agirait d’un stalinisme « virtuel » projeté dans un avenir lointain ? Ce point de vue est défendu par quelques intellectuels qui semblent vouloir reconstituer autour du PTB la catégorie historique bien connue dans la galaxie communiste des « compagnons de route ». Avec sa double caractéristique, le PTB suggère un rapprochement. Non pas avec l’extrême droite — dont on ne voit nulle part qu’elle « soulage la misère sociale » — … mais avec les propagandistes de l’islamisme radical. Qu’il s’agisse du FIS algérien à ses débuts ou du Hamas palestinien aujourd’hui, on est en présence d’organisations dont l’objectif avoué est la construction d’une société totalitaire se référant à une parole sacrée interprétée par des prophètes infaillibles. Tous deux ont pourtant bâti leur popularité en développant un estimable travail social de terrain dans des quartiers pauvres abandonnés par un État corrompu (Algérie) ou par une bureaucratie embourgeoisée (Palestine), grâce à des militants prêts à tous les sacrifices. À part la localisation au ciel ou sur terre du paradis annoncé, le parallèle est troublant. À part aussi ceci: l’État islamique n’est plus une perspective virtuelle, et personne ne songerait à ne juger le FIS ou le Hamas qu’à partir de leur travail social de terrain, quels que soient ses éventuels mérites. Très logiquement, on se dit qu’il y a un lien entre le but et les moyens, lesquels ne prennent leur signification qu’au regard de l’objectif final. Autrement dit : le but est déjà dans les moyens et se retrouve dans la manière dont des formations potentiellement totalitaires pratiquent leur travail de terrain. S’agissant du PTB, il faut distinguer ce qui relève de la bienfaisance et du travail politique. Dans le premier registre, on trouve la «Médecine pour le peuple». La pratique médicale des médecins du PTB s’apparente à celle qu’on retrouve dans la plupart des maisons médicales progressistes qui font moins de tapage, la seule différence étant sans doute dans la lecture plus ou moins édifiante proposée en salle d’attente. Dans le deuxième registre, on trouve tout le reste. Qu’il s’agisse du travail antiraciste, de quartier ou de solidarité avec le tiers-monde, on doit se demander pourquoi le PTB a toujours été incapable de mener une démarche unitaire quelconque avec d’autres courants progressistes, pourquoi il consacre une telle énergie à les dénoncer sans aucune exception, des plus modérés aux plus radicaux, pourquoi il est obligé, dans tous les domaines, de créer des organisations-paravents dont il assure seul la direction. Ainsi, au cœur même de son travail de terrain, il sème cette idée insupportable qu’il existe une vérité univoque dont un seul courant — lui-même — serait par nature dépositaire. Il ne s’en cache d’ailleurs pas : on ne peut pas « vaincre » sans qu’un véritable parti communiste ait conquis l’hégémonie au sein de peuple, ce qui passe par l’élimination de ses concurrents. En attendant, qu’importe si cette démarche sectaire divise et mène à l’échec: l’important c’est d’avoir ouvert les yeux de quelques personnes sur la traîtrise des uns et sur la mollesse des autres… Voilà comment le ver du communisme totalitaire s’introduit dans le fruit de la lutte anticapitaliste. Trop longtemps, la gauche (ou du moins une partie d’entre elle) a donné foi à un usage purement rhétorique de la notion de «démocratie», en avalisant l’imposture des «démocraties populaires», terme par lequel se désignaient les régimes communistes d’Europe de l’Est. Raison de plus pour en faire un élément central des luttes toujours nécessaires contre un système générateur d’injustices et d’inégalités: la reconnaissance positive et réciproque de leur diversité par tous les acteurs du changement social est indispensable si l’on veut garantir à jamais que de nouvelles Loubianka ne soient pas bâties sur les ruines des prochaines Bastilles.