Disparu à l’âge de 91 ans, Arthur Haulot a su rester jusqu’au bout un homme passionné. Statue de commandeur inattaquable, il aurait pu éviter d’écorner l’admiration unanime que la société lui portait. Ce n’était pas son style. Quelques mois avant sa mort, il se lança dans une polémique qui le vit se brouiller avec de vieux camarades et de jeunes admirateurs. Cette année, on commémorait le soixantième anniversaire de la libération des camps hitlériens. La date de référence choisie fut le 29 avril 1945, soit le jour de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. À la grande colère d’Arthur Haulot qui eut préféré le 27 avril 1945, date de la libération du camp de Dachau, là où il fut interné. Car parmi la vingtaine de camps de concentration nazis répertoriés, Auschwitz fut un cas particulier. Lieu institué en symbole de la destruction des Juifs d’Europe, il fut aussi le seul camp de concentration rassemblant uniquement des Juifs, que les Allemands avaient soustraits à la solution finale. Cette double face d’Auschwitz (en même temps centre de mise à mort immédiate dans les chambres à gaz et camp de concentration, auquel il était possible de survivre) a entraîné une confusion des mémoires. Parmi les rescapés de tous les camps, le point commun était une forme d’appartenance à la Résistance. C’était aussi le cas des survivants d’Auschwitz qui devaient souvent à leurs activités de résistance d’avoir été déporté dans les derniers convois, et donc d’avoir pu tenir jusqu’à la Libération. Ainsi se construisit une «mémoire» officielle de la déportation identifiée à la Résistance antinazie. Ce n’est que trente ans plus tard qu’une autre mémoire fit surface : la mémoire des déportés raciaux, déportés du simple fait d’être nés juifs, et exterminés dans leur immense majorité. L’émergence de cette nouvelle «mémoire» a fini par reléguer au second plan la saga héroïque de ceux qui n’étaient pas voués à l’extermination et qui prirent pourtant tous les risques pour défendre la liberté. Arthur Haulot n’a pas supporté ce qu’il vivait comme une inversion des valeurs. Pour lui comme pour d’autres résistants, celui qui meurt pour son engagement d’homme libre mérite plus de considération que la victime innocente. Pourtant, il ne s’agissait pas ici de hiérarchiser les victimes en fonction de leurs mérites, mais de hiérarchiser les crimes. Dans l’horreur, rien n’égale la folie génocidaire. L’affirmer ne retire rien à la reconnaissance due aux résistants dont Arthur Haulot fut le héraut magnifique jusqu’à son dernier souffle.